(cw: pensées suicidaires)

Il y a des périodes comme ça, des jours qui s’écoulent pour se transformer en longues semaines où le monde tourne sans la présence de Miyuki en son sein. Elle n’en a plus envie, elle n’a plus la force d’essayer. Pourtant, ce n’est pas la première fois que ça arrive, après toutes ces décennies à avoir été obligée de vivre. Quand Miyuki ne le supporte plus, elle s’isole et préfère être seule. Elle ne manquera pas à grand monde de toute façon, c’est ce qu’elle se dit et elle est bien incapable de penser à autre chose.

Alors elle reste chez elle, enfermée dans sa chambre à l’étage depuis maintenant plusieurs jours, elle n’a pas compté. Elle n’a prévenu personne, à quoi bon après tout, elle aimerait tant qu’on l’oublie pour de bon. Les rideaux sont tirés pour être assurée qu’aucun rayon de soleil ne perturbe son abandon. Parfois elle y a pensé, à laisser la plus grande étoile l’éteindre pour de bon, mais Miyuki est si lâche, cela lui semble bien plus simple de se laisser s’affamer dans la solitude la plus totale, comme une punition pour le monstre qu’elle est contre son gré. Malheureusement, le silence de ses derniers retranchements laisse toujours trop de place à toutes ces pensées obscures, tous ces souvenirs qui la font encore tant souffrir, même après tant de temps.

La voilà allongée dans son lit, le regard vitreux perdu sur ses affaires éparpillées dans sa chambre ici et là, à la recherche d’une distraction. En attendant, elle sent la faim tirailler tout son corps, ses canines prêtes à s’allonger, Miyuki y est habituée à tout ça. Elle peut attendre encore un peu, elle le sait. Elle ne fait que ça de toute façon, attendre, elle ne sait pas quoi ni pourquoi, ce n’est pas comme s’il y avait quoi que ce soit à attendre au final. Du moins, elle s’en était persuadée depuis si longtemps.

Mais Miyuki ne devrait pas croire à ses propres pensées, car au loin elle entend du bruit comme si on toquait à sa porte. Cela lui semble si étouffé de là où elle est, puis elle se persuade que ce n’est qu’une hallucination, qu’elle a tellement faim maintenant qu’elle s’imagine déjà des choses. Elle n’a de toute façon pas la force pour descendre ouvrir à qui que ce soit. Elle s’enroule un peu plus dans la couverture qui la recouvre, tente d’oublier tous ces bruits qui semblent d’être de plus en plus insistants, comme si maintenant elle entendait une voix.

Tant pis, elle l’oublierait tôt ou tard. Cela n’a plus d’importance, ce n’est pas comme si elle pensait à fermer sa porte à clé de toute manière. Qui que ce soit, iel pourrait faire ce qui le chante, elle n’a plus la force de rien aujourd’hui.

Ce n’est pas souvent que cela arrive, mais Miyuki se serait presque endormie. Le sommeil est devenu quelque chose de bien anodin dans sa vie immortelle, le repos n’est plus quelque chose de nécessaire. Seulement, lorsqu’elle a si faim et qu’elle est si faible, c’est une échappatoire qui lui permet de tout oublier le temps de quelques heures, même si ce n’est rien comparé à ces longues années à errer et supporter la faim qui la tiraille. Elle se serait laissée aller à ses vices de nombreuses fois, c’est pourtant si facile d’être un vampire, dangereuse comme est leur nature, elle pourrait s’abreuver jusqu’à la dernière goutte sans aucun souci. Mais hors de question pour Miyuki d’oublier sa vraie nature, celle d’une jeune femme trop douce pour ce monde, en aucun cas elle veut blesser qui que ce soit, jamais elle ne voudrait gâcher la vie de quiconque comme on lui a gâché la sienne.

Les pensées sombres et le bruit qu’elle semble halluciner la force à fermer les yeux, à s’enfoncer un peu plus sous ses draps. Elle préfère tout oublier, lâche comme elle, elle ne voit pas d’autres solutions. Elle a toujours été comme ça, préférant fermer les yeux sur tout ce qui l’entoure, oublier qui elle est et qui sont là pour elle. De toute façon, elle n’a plus personne, pas vrai ? C’est ce qu’elle pourrait croire, mais la réalité est toute autre. Bien assez vite, elle va se rendre compte que toutes ces pensées ne sont pas si réelles, elles peuvent être tant accablantes, mais elles sont toutes aussi faussées. Seulement, c’est une longue épreuve de se raisonner ainsi et même l’immortalité ne permet pas d’avoir le temps de le comprendre pour quelqu’un comme Miyuki.

Elle commence à s’endormir, ou à s’évanouir tant la faim est intenable à cet instant, elle tremble un peu à cause de cela, peut-être un peu trop même. Le sommeil pèse autant que les draps recouvrant tout son corps, elle s’abandonne enfin à son triste sort, mais pas pour longtemps. Soudainement, elle entend quelqu’un l’appeler au pied du lit, la voix est trop forte, et cela suffit à la sortir de sa torpeur directement. Elle sursaute et ses dernières forces sont usées pour la redresser directement, dévoilant son visage pâle et malade à la vue de tous, à celle de Shinji surtout.

Elle semble le fixer, mais son regard est vitreux, perdu. Elle n’a pas réellement l’impression de le voir là en face d’elle, mais ce n’est jamais Shinji dont elle peut halluciner parfois. Shinji, bien trop gentil, est venu jusqu’à elle aujourd’hui, sûrement parce qu’il s’inquiétait. C’est une chose qu’elle a tant faite pour lui auparavant, et cela la touche un peu trop de savoir qu’il en est tout autant capable.

Elle n’est plus seule.

« Shinji… Qu’est-ce que tu fais ici ? »

Les mots sortent tout seuls entre ses lèvres. Sa voix est si faible, presque inaudible mais ils ne sont que tous les deux dans la pièce jusqu’à maintenant si silencieuse. Elle regagne bien vite son calme habituel de toute manière, mais son corps continue d’avoir quelques soubresauts, preuve de sa terrible faim. D’habitude, elle se serait bien mieux présentée, elle serait sortie du lit pour rester près de Shinji, car elle aime tant sa compagnie. Elle n’arrive à rien aujourd’hui, là voilà juste là, perdue entre ses draps dans un état pitoyable, mais une condition que son ami connait que trop bien aussi.

« Désolée … » est tout ce qu’elle réussit à dire, parce qu’elle aimerait ne pas se montrer ainsi à Shinji, elle avait toujours essayé de se montrer forte dès qu’il était là avec elle, mais Miyuki n’a plus aucune force, elle n’en a jamais vraiment eu. Ce n’est qu’une façon de prétendre, de n’inquiéter personne, mais la voilà enfin la vérité qu’elle ne peut plus cacher, que Shinji s’en doutait de toute façon.

L’anxiété de Shinji ne semble même pas l’atteindre, bien que ses mots forts et durs semblent précipiter ses tremblements. Miyuki voudrait simplement se laisser oublier, retourner sous les draps et se laisser accabler par la faim et la tristesse, la migraine qui veut la pousser à laisser apparaître ses traits vampiriques. Mais elle puise dans ses dernières forces pour ne pas se laisser à ça, cela ne sert à rien de toute manière. Malgré tout, elle n’aime pas se montrer aussi faible à Shinji, bien qu’elle n’y puisse rien de toute manière, son corps déjà si fragile d’habitude ne supporte plus son poids, elle est si misérable aujourd’hui, et tout ce qu’elle trouve à faire, Miyuki, c’est s’excuser lamentablement.

Pourtant, elle n’a rien à s’excuser, et son ami lui fait très bien savoir. Elle baisse les yeux, n’ose plus rencontrer son regard empli d’inquiétude. Elle ne mérite pas de pitié, c’est seulement sa faute si elle en est là aujourd’hui. Pourtant, elle a tant l’habitude, de se laisser aller au point de voir des hallucinations. D’habitude, elle est seule, mais maintenant que Shinji est là, elle ne semble plus vraiment halluciner. Elle tient encore le coup, elle reste présente, à moitié. Sans le voir, elle entend que Shinji s’assoit à côté d’elle sur une chaise, comprenant qu’il a prévu de rester à ses côtés pour le moment. Il ne va pas l’abandonner comme elle ne l’a jamais abandonné. Ça lui réchauffe un peu le cœur, de se savoir accompagnée, d’avoir quelqu’un sur qui compter, mais cela lui fait un peu peur aussi. La dernière fois que cela s’est passé ainsi, cela n’avait pas duré longtemps.

Elle ne veut pas que Shinji finisse par l’abandonner aussi, elle ne le supporterait pas.

Elle secoue la tête à la proposition de se rallonger, elle ne peut pas nier sur le fait qu’elle se sent mal, ce n’est que la réalité. Mais elle ne veut pas non plus se laisser aller, elle ne veut pas être vue comme lamentable aux yeux de son ami, alors elle reste assise, elle s’assoie plus confortablement même, du moins elle s’en donne l’impression malgré sa tête qui tourne désagréablement. Le silence est de nouveau pesant, mais Miyuki n’a pas la force de parler, si ce n’est pour poser des questions bêtes ou prétendre qu’elle ne veut pas que Shinji soit là, qu’il ferait mieux de la laisser tranquille. Elle ne dit rien, car ce n’est pas ce qu’elle pense vraiment, c’est même tout le contraire.

Elle ne veut plus être seule.

Puis Shinji lui demande depuis combien de temps, combien de temps elle est comme ça elle suppose, et Miyuki hésite, car elle ne sait pas, ou plutôt elle ne sait plus. Lorsque la faim tiraille son corps tout entier, les jours paraissent plus longs et elle ne les a pas non plus compté, elle n’a pas de raison pour. Alors les mots qui sortent sont un peu dits au hasard, sans trop de conviction :

« Peut-être bientôt deux semaines… »

De toute façon Shinji s’enfonce dans son inquiétude, lui demandant de se nourrir pour éviter qu’elle ne reste dans cet état, qu’il s’empire aussi. Elle sait, qu’il craint qu’elle en arrive au point où elle ne pourra plus rien faire et qu’elle sera forcée de s’oublier comme la vie l’a déjà oubliée depuis si longtemps. Mais de nouveau, elle secoue la tête. Miyuki, elle est lâche pour tout, lâche aussi pour en finir comme ça. Elle n’a pas la force de se nourrir, mais pas celle de continuer de souffrir ainsi indéfiniment non plus.

« J’ai l’habitude, Shinji… Je vais me nourrir, bientôt… Pas ce soir. Tu ne le savais pas, mais j’ai toujours été comme ça, à me nourrir au dernier moment, parce que… Tu peux comprendre que je n’aime pas ça, faire souffrir les autres. Je suis bien obligée pour survivre, mais un peu plus tard… »

Elle soupire, ce n’est peut-être pas le moment de parler de se nourrir maintenant. Elle est faible et fragile, mais c’est une raison de plus pour se laisser aller à ses pulsions et devenir dangereuse en puisant dans ses derniers retranchements. Quelque chose de bien risqué et peu utile dans l’instant présent, alors elle oublie ceci pour l’instant. Elle relève la tête et se concentre sur Shinji, elle ne peut faire que ça pour l’instant.

« Je sais… Que tu veux pas m’entendre dire ça, mais je suis quand même désolée. Désolée de t’avoir inquiété assez pour que tu sois là devant moi ce soir, désolée que tu doives me voir ainsi. Je suis navrée d’avoir toujours voulu te cacher ce côté là… Mais je suis comme ça, moi aussi, misérable monstre. »

Elle ne réfléchit plus à ce qu’elle dit, les mots sont dits à voix haute comme ils le sont pensé au fond d’elle. Elle le regrettera plus tard, se rappelant que toutes ces excuses ne font que renvoyer ce que Shinji pense déjà assez de lui-même.

Les mots ont été lâchés trop vite, Miyuki ne cherche de toute façon plus à réfléchir, à mesurer ses propos dont elle avait tant l’habitude. Ce soir, elle n’est plus rien, qu’une âme meurtrie qui n’attend plus qu’une seule goutte de sang pour se sentir revigorée, mais cette pensée continue de l’écœurer, de l’apeurer. Elle y est pourtant habituée, ce n’est pas la première fois que ça arrive pour toutes ces années immortelles, et ce ne sera pas la dernière. Parce que Miyuki ne peut pas s’abandonner, elle ne sait pas et ne saura jamais. Elle ne sait même plus vraiment pourquoi, ce qui est sûr c’est que ce n’est pas pour elle, peut-être que ce n’est qu’une preuve de sa lâcheté, ou bien pour lui.

(mais quel lui ?)

Elle se force tant bien que mal de soutenir le regard de Shinji (peut-être que c’est ce lui maintenant). Il est peiné, elle le voit dans ses yeux et il le dit de toute façon lui-même. Miyuki se sent encore plus désolée, mais elle n’a plus la force de se fondre dans les excuses incessantes, son ami n’a pas envie de ça non plus. Seul un soupir échappe de ses lèvres. Un soupir fatigué parce que c’est tout c’est ce qu’elle ressent surtout, et la fatigue n’est que la conséquence de toutes ces pensées voraces et destructives. Elle vaut mieux que ça, apparemment, c’est pas bon pour elle de se laisser aller comme ça selon Shinji. Et peut-être bien qu’il a raison.

Miyuki le laisse attraper sa main sans dire un mot. Les deux ne sont pas les plus tactiles d’habitude, mais parfois le contact lui suffit à la rappeler à la réalité, à lui montrer aussi qu’elle n’est pas seule, qu’elle ne l’est plus. Elle tremble encore à cause de la faim, mais elle serre ses doigts entre les siens. Elle se rassure de sa présence, mais la nouvelle question de Shinji suffit à relancer de nouveau l’angoisse. Elle n’a pas envie d’aller se nourrir, elle lui a dit pourtant. Elle préférait plus tard, elle pouvait attendre encore peu… Mais cela faisait déjà trop longtemps, elle était à bout de force et il lui était difficile d’imaginer comment elle pourrait se débrouiller les jours prochains.

Elle tente d’y réfléchir, et Miyuki met du temps à répondre. Elle pourrait dire non, essayer d’insister mais face à Shinji, ça n’en vaut pas la peine à part le frustrer, qui sait ce qu’il finirait par penser d’elle. Puis après tout, il vaut peut-être mieux qu’elle soit accompagnée pour se nourrir, cela faisait une éternité qu’elle se nourrissait toujours toute seule, qu’elle n’avait jamais dit oui à un peu d’aide. C’était peut-être le moment.

« Bon, d’accord… Tu as raison. »

Elle ne pouvait plus chercher à le contredire, et il valait peut-être mieux comme ça. Cela avait toujours été elle qui s’empressait d’aider Shinji quand il en avait le besoin, les rôles s’échangeaient enfin et elle ne pouvait pas lui en empêcher. Alors Miyuki se force à se lever du lit, elle était déjà toute habillée, une simple robe qui ne couvre pas assez par rapport à la fraicheur de la nuit qui les attend dehors, mais elle a l’habitude. Elle lâche la main de Shinji pour récupérer un cardigan qui trainait par là, tout était préparé comme si elle comptait sortir à tout moment. C’était son habitude, même si elle se laissait sombrer, elle avait se réflexe à se préparer tous les jours au cas où elle se déciderait enfin que c’était le dernier moment pour aller se nourrir. Cette fois-ci c’est quelqu’un d’autre qui le décide à sa place, mais cela revenait au même finalement.

Elle se retourne vers Shinji, passe ses mains dans ses cheveux pour les tirer en arrière, tant pis pour les brosser, elle n’a plus vraiment l’envie de se préoccuper de son apparence. Tout de suite, il n’y a que l’idée du sang qui lui tourne en tête et qui décide de ses pas. Elle n’a qu’une hâte, se nourrir puis retourner à la maison, retrouver son lit qu’elle vient tout juste de quitter.

« Je te fais confiance alors… Cela fait… Longtemps. Longtemps, que je n’ai pas été trouver quelqu’un pour pouvoir me nourrir avec de l’aide, alors je te laisse m’emmener où tu veux. J’en ai rien à faire… Je veux juste que ça se finisse. »

Elle se rapproche un peu plus près de lui, et passe son bras autour du sien pour trouver un peu de soutien. Il l’a dit et il avait raison, elle ne pouvait pas attendre plus longtemps.

Désormais, Miyuki ne fait qu’acquiescer aux questions et aux propositions de Shinji. Elle est si fatiguée, elle qui est déjà si calme, elle préfère se taire comme si ça pouvait lui réserver encore un peu d’énergie jusqu’au moment venu, jusqu’à l’heure où il faudra enfin se nourrir. Puis, elle savait que Shinji la comprenait à chaque fois, respectait du mieux qu’il pouvait ses choix. Elle n’aurait pas froid, elle le laissera la promener n’importe où dans Mihara jusqu’à trouver une âme perdue. Elle n’a plus très envie de réfléchir de toute manière, ou en tout cas elle n’en a plus vraiment la force. Alors elle reste accrochée à lui et le suit jusqu’en bas, puis elle finit par constater que sa porte d’entrée est grande ouverte, même complètement dégondée. Miyuki est un peu ailleurs, alors elle a du mal à réagir ou même à croire aux explications de Shinji, ce n’était pas si grave de toute manière. Elle le laisse se détacher et remettre la porte à sa place. Puis, il est enfin temps de partir, d’aller à la chasse.


Le trajet s’est fait silencieusement, les voilà maintenant en train de s’aventurer dans les bois. Ce n’est pas la première fois que Miyuki vient se nourrir dans ce coin, c’est plus discret ainsi. Elle se demande comment Shinji se débrouille, elle n’a jamais vraiment su, elle n’a jamais demandé car elle sait que ce n’est pas une partie de plaisir pour lui non plus. Ça ne le sera jamais, même si avoir de la compagnie cette fois-ci avait quelque chose de rassurant, mais un côté angoissant aussi. Miyuki ne savait pas comment cela allait pouvoir se passer. Elle faisait pourtant confiance à l’autre vampire, mais cela faisait si longtemps que plus personne ne l’avait vu mordre un humain, que plus personne ne l’épaulait pour pouvoir ne nourrir. Elle avait été trop habituée à être seule, et même si c’était finalement réconfortant de ne plus l’être, c’était tout aussi terrifiant.

« Shinji… »

Elle tente, d’une voix faible, de l’interpeller. Puis elle finit par s’arrêter au milieu des bois, toujours accrochée à lui. Elle lève les yeux vers lui, arrive à deviner les traits de son visage malgré l’obscurité. La Lune est encore très haute dans le ciel, la nuit est loin d’être terminée, ils ont encore un peu de temps devant eux.

« Quand on trouvera quelqu’un, j’espère… Comment on fait, est-ce que j’y vais seule, est-ce que c’est toi qui tentes de l’influencer, ou à deux…? »

Elle aurait aimé ajouter plus, lui dire qu’elle pourrait peut-être avoir du mal à se retenir, la faim était si forte qu’elle pourrait très bien être capable d’aller mordre d’abord avant même de tenter de contrôler la proie d’abord. Ce sont des choses qu’elle ne voudrait pas que Shinji voit d’elle, bien qu’il pourrait aussi comprendre, elle en était terrifiée. Au fond, elle regrette un peu d’avoir dit oui, mais il était déjà trop tard.

Elle attend encore un peu, écoutant attentivement les indications de Shinji. Seulement, derrière elle, elle entend des pas, des feuilles et des bouts de branches craquer. Les bruits semblent encore loin, peut-être que ce n’était que l’imagination de Miyuki, mais cela suffit à la faire paniquer, elle serre ses doigts fermement autour du bras de l’autre vampire et elle chuchote :

« Shinji, je crois que quelqu’un arrive… »

Comme toujours, Shinji arrive à rassurer Miyuki aisément, sa voix douce et ses mains contre sa peau la ramènent à la réalité. Cela la réconforte assez pour se sentir à l’aise avec l’autre vampire à ses côtés, retrouver un semblant de confiance en elle, le temps de quelques instants. Elle savait qu’elle n’avait de toute façon pas à s’inquiéter, Shinji n’était pas le même que lui, c’était différent. Tout était différent, et en mieux.
Seulement, Miyuki n’a pas forcément le temps de plus profiter des mots rassurants de son ami, car elle entend au loin quelqu’un s’approcher. Elle prévient Shinji, qui lui confirme ce qu’elle a entendu. Elle n’hallucine pas et même si l’autre vampire reste patient, elle sait très bien qu’elle n’a pas plus le temps de se préparer, il fallait y aller. Elle prend alors sur elle, et acquiesce vivement pour répondre à la question. Elle semble prête, tout du moins, il le fallait.

Elle laisse alors Shinji décider de s’approcher un peu plus, d’aller voir qui cela pouvait être. Miyuki tentait de se concentrer du mieux qu’elle pouvait, cela allait être à elle de passer à l’action alors que jusqu’à maintenant elle laissait Shinji décider de tout. Elle allait devoir puiser dans ses dernières forces, tenter d’influencer la personne qu’elle s’apprêtait à mordre. Ils s’approchent alors tous les deux et Shinji décide de s’arrêter à quelques mètres, restant à l’abri derrière les arbres pour se pas se faire voir pour le moment. Miyuki observe l’homme titubant, il semblait assez saoul pour faciliter son approche, c’était rassurant, un peu redoutant aussi car l’alcool dans le sang n’était jamais très plaisant pour les vampires, mais cela fera l’affaire comme Shinji l’annonce.

« Ok… Je vais y aller alors. »

Miyuki lâche le bras de Shinji, elle s’éloigne de quelques pas de lui et lui jette un dernier coup d’œil, comme pour s’assurer qu’il restait bien là au moindre problème. Elle prend une inspiration et s’élance à la rencontre de l’autre homme à quelques mètres. Elle avait l’habitude, elle était déjà allée se nourrir dans un état pire que celui-là. Même si Miyuki n’avait jamais confiance en elle, elle avait malgré tout assez d’expérience pour savoir comment s’y prendre, c’était devenu une habitude après tant de décennies à devoir mordre pour se nourrir, elle n’avait presque plus besoin d’y réfléchir.

Elle aborde timidement l’homme qui la remarque et s’arrête pour l’écouter, la reluquer aussi d’une certaine manière, mais Miyuki n’y prête pas attention, elle sait que c’est aussi un atout pour arriver à son but. Elle lui raconte des mensonges, lui dit qu’elle s’est perdue dans les bois et qu’elle est contente de trouver quelqu’un, qu’elle se sent rassurée maintenant qu’elle n’est plus seule. Tout est faux, mais cela suffit à pouvoir la rapprocher assez, à pouvoir répondre à l’appel du sang. Le moment était venu.

« Eh, dis… Ce serait bien que tu m’accordes un service, tu veux bien ? Alors, tu ne dois plus bouger et ne pas paniquer, tout va bien se passer, laisse moi faire. »

L’homme semble un peu hébété de la demande, mais il s’exécute sans rechigner, ce qui confirme à Miyuki que son pouvoir a fonctionné sur lui et qu’il ne lui restait plus qu’à pouvoir se nourrir. Elle se rapproche encore, tire délicatement sur sa chemise pour dévoiler sa nuque, puis elle le mord sans attendre plus longtemps. Sa peau se perce sous ses dents et le sang chaud rencontre directement sa langue qui n’avait plus senti ce goût là depuis trop longtemps. Elle se nourrit pendant de longues secondes, peut-être un peu trop longues et l’homme semble tourner de l’œil, déjà affaibli par l’alcool, mais Miyuki ne s’en rend pas tout de suite compte.

Le monstre enfoui tout au fond est enfin de sortie et il ne peut maintenant que s’enivrer du sang qui coule. Rien n’est plus important.

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lancers de dé: l'homme est d'influence niv. 5 et s'est fait influencé.

Il n’y a plus que le sang qui compte, ce liquide chaud qui coule le long de sa gorge, qui la réanime vivement et lui redonne de l’énergie suffisante. Si seulement elle n’avait pas tant peur de blesser, si seulement elle pouvait se nourrir sans risquer le danger, mais ce n’était pas possible, pas encore, peut-être un jour qui sait. Tout du moins, pour le moment elle ne pensait plus à tout ça et continuait de se nourrir tant qu’elle le pouvait, sans retenue. Peut-être qu’elle s’était trop reposée sur Shinji et qu’elle s’était désormais oubliée, laissant la faim l’emporter.

Heureusement, l’autre vampire n’était pas très loin et vient très vite à la rescousse en remarquant l’homme mordu commencer à perdre connaissance. Comme à chaque fois, Shinji ramène Miyuki de nouveau à la réalité d’une voix douce mais malgré tout ferme, mais seule la main qui la tire en arrière arrive à l’arrêter. La vampire regarde l’homme qu’elle vient de mordre avec stupeur, comme si elle venait finalement de se rendre compte de ses agissements. Elle essuie frénétiquement le sang qui s’écoule entre ses lèvres et elle laisse, encore une fois, Shinji gérer la situation. Elle acquiesce seulement à sa question, elle sait qu’elle va bien, du moins elle va mieux maintenant qu’elle s’est nourri.

Elle ira mieux, pour sûr, mais elle se sent déjà un peu plus en forme. Ses pensées sont plus claires, la faim est enfin passée et elle pourra de nouveau enterrer ce monstre dont elle a honte tout au fond d’elle, du moins seulement quand elle se sera éloignée de l’homme dont elle a provoqué son évanouissement. Elle y était allée un peu fort cette fois-ci, et heureusement que Shinji avait été là, qui sait ce qu’il se serait passé sinon.

« Oui, ça va… Merci, d’être là pour moi. »

Elle peut maintenant tenir debout sans mal, mais elle ne peut pas s’empêcher d’accepter le bras que Shinji lui tend, s’accrochant de nouveau à lui. Ils n’étaient pourtant pas si tactiles d’habitude, mais ce n’était pas pour lui déplaire. Peut-être qu’elle l’avait trop inquiété ce soir, se dit-elle. Peut-être qu’il se souciait plus qu’elle ne pouvait se l’imaginer, se demande-t-elle. En tout cas, elle pouvait être sûre que la présence de Shinji était rassurante et réconfortante, elle n’était plus seule quand il était là à ses côtés et quelque part au fond d’elle, Miyuki n’avait plus envie de se retrouver toute seule, elle craignait la solitude.


Le chemin du retour jusqu’à la maison a été tout aussi calme qu’à l’allée, plus tranquille au moins. Miyuki se sent mieux et plus paisible enfin, elle n’est plus tiraillée par la faim et ses douleurs s’était atténuées, même s’il lui fallait encore sûrement un peu de repos avant de retrouver son état normal. Miyuki aperçoit sa maison au loin, mais son emprise autour du bras de Shinji se resserre un peu plus, plus affectueusement, avec crainte aussi. Ils continuent de marcher silencieusement, mais une fois devant la porte, elle s’empresse de parler avant qu’il ne commence à lui dire déjà au revoir, peut-être.

« Hey, dis… Ça te dirait, de rester avec moi, au moins ce soir ? »

Elle n’avait pas envie de se retrouver seule déjà, maintenant qu’il était là, quelque chose au fond d’elle lui assurait qu’elle voulait le garder près d’elle. Elle lève les yeux vers lui, dans l’attente d’une réponse, mais avant, elle rajoute encore :

« On n’est pas obligés de dormir… En tout cas, si tu n’es pas fatigué je vais rester avec toi, mais je n’ai juste pas envie de rester seule ce soir. Je l’ai été un peu trop longtemps, je me rends compte. »

Elle lui avoue, elle pourrait tout lui dire à vrai dire. C’était la seule personne en qui elle avait entièrement confiance aujourd’hui.

L’accord de Shinji rassure directement Miyuki, bien qu’il précise malgré tout qu’il partira le lendemain matin. Elle ne peut pas le retenir trop longtemps non plus de toute manière, il devra quitter sa maison et retourner dans la sienne avant le lever du soleil, une malheureuse contrainte liée à leur nature. Alors Miyuki ne peut le contredire, elle ne peut insister plus, le fait qu’il accepte déjà sa demande sans hésiter lui suffit amplement. Alors, ses lèvres s’étirent pour ne former qu’un léger sourire en réponse au sien.

« Merci, j’apprécie beaucoup. »

Ta présence, surtout, elle sait qu’elle ne pourrait jamais s’en lasser. Les deux vampires rentrent enfin à l’intérieur de la maison, retrouvent leur confort et la chaleur, s’oubliant de la nuit qui finira par passer. Pour l’instant, Miyuki reste près de Shinji, bien qu’il rompt le contact pour pouvoir les défaire de leurs vestes pour être plus à l’aise. Elle le regarde faire distraitement, acquiesçant silencieusement à sa première question. Sa peau était toujours aussi fraiche, elle est toujours si peu chaudement habillée, même en intérieur, mais Miyuki n’en avait que faire, elle s’était tant habituée au froid, le plus important est qu’elle n’est enfin plus seule.

« On peut faire ce que tu veux, toi. Mais on peut déjà s’installer sur le canapé, et discuter. Cela fait trop longtemps que je n’ai plus parlé, que je ne t’ai plus parlé. »

La lecture est quelque chose qui plaît à Miyuki pourtant, elle aurait pu aussi proposer d’aller se coucher déjà après toutes ces péripéties. Seulement, elle avait passé trop de temps allongée dans son lit, trop de temps à se laisser accabler par le silence pesant de la solitude dans sa propre chambre. Elle qui pourtant n’est pas tant une grande bavarde, elle qui se complaît d’habitude dans le silence, elle n’en a plus envie ce soir. Elle veut en profiter, maintenant qu’elle se sent mieux, maintenant qu’elle arrive enfin à réfléchir correctement, que sa vue n’est enfin plus troublée par de drôles hallucinations floues. Elle va alors s’installer sur le canapé un peu plus loin dans le salon, elle laisse Shinji la rejoindre et s’installer à côté d’elle. Tout d’abord, elle hésite un peu, mais elle finit par reposer sa tête contre son épaule, recherchant toujours un peu plus de proximité, une complicité intime nouvelle mais aucunement désagréable. C’était nouveau, mais cela semblait tout autant évident pour elle. D’une certaine manière, ça la ramène à la réalité, ça lui rappelle qu’il est bien là, pour de vrai, qu’elle n’est plus seule, qu’elle ne le sera plus jamais, qu’on ne l’abandonnera plus, elle espère.

« Dis, est-ce que cela fait longtemps que tu t’es nourri, toi ? »

Evidemment, les inquiétudes reviennent à la charge. Maintenant, Miyuki se rappelle enfin qu’elle n’est pas la seule à s’affamer autant pour ne pas blesser. Shinji semblait être en forme, mais quelque part au fond, elle espère qu’il n’avait pas pris sur lui-même pour pouvoir l’aider. Elle le sait capable, autant qu’elle a déjà pu le faire pour lui par le passé…

« Sinon, il faudra que je te rende la pareille dans les prochains jours, comme à nos anciennes habitudes… Je sais qu’on a nos vies respectives, que tu as tes fleurs à t’occuper. Mais… J’aimerais qu’on se voit de nouveau plus souvent, un peu comme au départ. Je n’ai plus envie… d’être seule. »