Cassandre avait bien remarqué l’expression attendrie que Satomi avait posée sur lui. Oui, bah… il ne pouvait rien y faire, son esprit allait plus vite que sa logique. Il était absorbé par cette idée de productivité, de bien faire… Il était comme ça et c’était tout.

Il attendait la réponse de son invité en la détaillant, à l’affût du moindre changement. Visiblement, elle n’était pas froissée. Et c’était plutôt tant mieux, car il ne pouvait pas faire autrement que d’être brutalement honnête. Si elle avait plus susceptible que ça, les choses ne se seraient certainement pas fini et il n’avait pas de temps à prendre en cris et en énervement. Pas de sous-entendu, très bien. Il soutint son regard, reflétant la même expression. Il a donc été cherché la complication, mais il préférait que les choses soient bien à plats et compréhensibles pour tout le monde. C’était mieux ainsi. Note pour plus tard : ne pas sortir sans donner d’explications. Il tâcherait de ne pas l’oublier. Elle devait s’être sentie abandonnée…ou juste profondément confuse.

L’éclat de son sourire l’apaisa et il la laissa s’enfuir vers la salle de bain. Seul dans le salon, il baissa les yeux, pensif et se réjouit de la voir heureuse, même si ce n’était qu’éphémère, c’était important. Il profita de ce moment de solitude pour préparer la trousse de Mino et lui faire quelques câlins en secrets. Même s’il était horripilant, il allait un peu lui manquer… jusqu’à la prochaine fois où son père lui rapporterait un autre oiseau… même s’il préférait quand même avoir un chiot… Il grattouilla le piaf en le félicitant de s’être bien conduit et en lui expliquant où est-ce qu’ils allaient l’emmener.

Satomi ne tarda pas à revenir. Il se redressa et la détailla des pieds à la tête en retenant sa respiration. Elle était somptueuse, élégante, et cet air si sûr d’elle qui l’accompagnait valait en réalité, n’importe quelle tenue. Il crevait d’envie de lui lâcher que lui plus satisfaisant était que ce soit elle qui le porte, mais il se retint. Il ne voulait pas en faire trop… il n’avait pas les mots… il ne savait pas… Aussi se contenta-t-il de lui répondre gravement :

— On-ne-peut-plus.


Il ferma la cage de Mino et se saisit de sa trousse :
— Allons-y si tu es prête.


Ils s’habillèrent et Satomi lui indiqua l’endroit où était garée sa voiture. Mino était confortablement installé à l’arrière et commençait par ailleurs à être très bavard, visiblement un peu inquiet de ce soudain changement. Ils prirent place dans la voiture, et Cassandre lui indiqua le chemin de sa maison. Il reçut par ailleurs un appel de sa mère, mais ne lui fit aucune délicatesse et raccrocha puis mit son téléphone en mode avion. Elle allait lui poser tout un tas de questions, sur pourquoi sa cousine ne répondait pas, qui était la fille à qui il avait parlé, s’il avait bien passé le bonjour de sa part à telle ou telle personne et il n’avait pas envie de subir tout ça, surtout avec Satomi à côté de lui.

Ils arrivèrent finalement à destination et le portail s’ouvrit sur un jardin verdoyant et une maison au design moderne. Voilà, c’était là où il avait grandi. Il indiqua à Satomi le bout parking où elle pouvait se garer, juste à côté du véhicule de son père. Cassandre ouvrit la portière et attrapa Mino et attendit que la demoiselle descende elle aussi de la voiture. Au même moment, son père, un homme gigantesques aux cheveux châtain clair et aux petites lunettes blondes, ouvrit la porte d’entrée et deux labradors en profitèrent pour s’échapper et leur foncer dessus.

— Oui, oui, je suis là, je suis là.


D’une main, il souleva Mino qui commençait à paniquer et à battre des ailes, de l’autre, il caressa les deux toutous en leur parlant d’une voix un peu gaga. Ceux-ci sautèrent sur la nouvelle invité et Cassandre se dit qu’il y avait vraiment du laisser-aller dans leur éducation. Il soupira en les reprenant à plusieurs reprises, sans toutefois pouvoir regagner le contrôle sur les deux tornades. Son père vint à leur rencontre en essayant de les calmer :

— Bonjour…  je suis le papa de Cassandre. Désolé, ils sont vraiment… Énergiques ! Rentrez, rentrez !

En vérité, Cassandre était fou de joie à l'idée de revoir Daphnée et Pringles, les deux chiens de son adolescence. Depuis que la sienne avait quitté ce monde, il avait une folle envie de câlin, qui restait bien souvent inassouvie. Il rentra et confia Mino à son père, en lui faisant état de ses yeux qui n'avaient toujours pas guéri. À sa grande surprise, il nota quelques améliorations qui avaient échappé à son fils et dressait un bilan plutôt encourageant. Mino était un battant, et avec les conseils de son père, et il pourrait bientôt retourner chez lui. Voilà qui était une bonne nouvelle.

Il ne craignait pas de laisser Satomi à son père, qui était ravi d'avoir quelqu'un avec qui discuter de ses passions. Durant les premières années de sa vie, il avait lui aussi été émerveillé par tous les récits de son père, et il l'était encore parfois, mais à force d'entendre cela à longueur de journée, en plus d'être devenu (contre son gré) un expert en ornithologie, sa mère et lui ne lui prêtait qu'une oreille inattentive. De son côté, avait l'air aux anges. L'inspecteur en profita pour scanner le salon et remarquer tout ce qui n'allait pas. Sa mère allait rentrer dans quelques jours et son père s'était laissé débordé par les papiers, il avait besoin d'aide. Après s'être déshabillé et avoir rangé la veste de Satomi, il rassembla les papiers en plusieurs piles et y accrocha des post-it pour aider son père à s'y retrouver. Il en profita évidemment pour papouiller Pringles quand ce dernier se décidait à quitter Satomi et son père pour s'intéresser à lui. Il se permit même de lui donner quelques gourmandises que le chien avala goulûment.


Le désordre succomba vite à la redoutable efficacité de Cassandre et il vint se joindre à la discussion. Ou plutôt, il resta debout et les écouta en silence en donnant lui aussi de l'attention au chien et en les reprenant quand ces derniers devenaient un peu trop agités. Si la matinée avait débuté avec une certaine angoisse, il se sentait maintenant le cœur plus léger. Il se décida à enlever le mode avion de son téléphone pour découvrir que sa mère l'avait appelé une deuxième fois et laissé un message pour lui partager son avis sur son manque de politesse. Puisque les deux avaient l'air bien occupés, il en profita pour s'éloigner et l'appeler. Il répondit à ses reproches d'une façon très peu concernée et lui raconta l'essentiel de la soirée en omettant soigneusement le passage où il s'était retrouvé ivre et où il avait ramené une jeune femme chez lui. Pour ce qui était de la visite surprise de la fille des Nakamura chez eux, elle l'apprendrait de la bouche de son père. La discussion fut heureusement vite écourtée et Cassandre pu les rejoindre dans le salon. Dès qu'il en eut l'occasion (ou plutôt, dès fut décidé à créer une occasion), il ajouta :

- Je te l'ai dit par SMS, mais je voudrais prêter certains de tes Stephen King à Satomi, on peut aller dans ton bureau ?

- Oh, vous aimez Stephen King ?


Le visage de Cassandre se figea et son père, habitué à décoder les subtilités des expressions de son fils, comprit tout de suite qu'il craignait que la discussion ne s'éternise trop, mais qu'il n'avait pas non plus envie de les interrompre pour autant :

- Oui, oui, bien sûr, vous pouvez ! Je dois encore m'occuper de papier pour Mino, mais prenez-en autant que vous le voulez. J'ai d'autres livres dédicacés si ça vous intéresse.


Le brun savait que son père s'était fait violence pour ne pas se lancer dans une tirade pour expliquer la fois où il avait rencontré l'auteur. Il savait aussi qu'il n'allait de toutes façons pas la laisser repartir si facilement et il soupçonnait qu'il était déjà en train de réfléchir à un goûter à leur préparer, comme s'ils avaient quatre ans. Même s'il ne le montrait pas, le jeune Roy était toujours touché par ses attentions. Son père était vraiment quelqu'un de bien. Il se leva en conduit Satomi à travers les couloirs, pour la mener vers un bureau à l'allure moins moderne que le reste de la maison. Le mobilier était entièrement en bois et une bibliothèque massive y trônait fièrement. La pièce était à l'image de ce qu'avait été le salon, rempli de papier. Cassandre n'osa toutefois pas y faire le tri, son père s'énervait rarement, mais il avait compris très tôt qu'il valait mieux laisser la pièce tel quel. Même sa mère ne s'y risquait pas.

- Hm, voilà. Ça doit être là.


Il fut pris d'une soudaine crise de timidité, soudain trop conscient d'être seule avec Satomi.  Il sentait à l'étroit dans son pull et il avait l'impression de ne pas savoir comment se tenir, ce qu'il devait faire de ses bras, quelle expression il devait avoir... Il pointa du doigt la rangé, à hauteur des yeux de Cassandre et en sortit quelques livres qu'il posa sur le bureau de son père, et également un album photos qu'il consulta, suspicieux. Le papier glacé affichait le célèbre auteur, en compagnie de son père et de lui à 12 ans. Il avait vraiment honte de sa tête, mais il montra néanmoins la photographie à la demoiselle :

- Mon père l'a rencontré quand on était en vacances aux Etats-Unis. Il a dédicacé un de ses livres... et on l'a aussi revu à un salon du livre donc on a d'autres de dédicacés. Il y en a un que tu préfères ou que tu n'as pas lu ? Lui demanda-t-il doucement

Cassandre ne s'attendait pas vraiment à ce que Satomi s'entende aussi bien avec son père. À vrai dire, il n'y avait pas réfléchi. Ce dernier étant du genre taciturne, il avait l'habitude de lancer un timide bonjour, du bout des lèvres et de s'en retourner à ses activités du moment. Ça lui faisait plaisir. Il lui ressemblait beaucoup et ne connaissait que trop bien la solitude qui pesait sur le vieil homme. Si l'inspecteur de la BAV s'en accommodait (des années de police et le tempérament de feu qu'il avait hérité de sa mère n'y était pas pour rien), il n'était pas sûr que son père en fasse de même. Quoi qu'il ne laissait jamais rien paraître. Avec un étrange sentiment de gratitude, il laissa son regard se perdre sur Satomi. Elle ne faisait pas semblant. Elle s'y intéressait vraiment. Combien, au juste, crachait sur le dos de son paternel ? Combien ne prenait même pas la peine de la considérer ?

Il resta pantois devant la remarque de la jeune femme. Son expression ne bougea pas d’un pouce, c'est-à-dire qu'il avait les sourcils froncés et le regard résolument sévère :

- C'est si terrible que ça ?

De ce point de vue, il avait l'air tout ce qu'il a de plus conventionnel. Il aurait même dit que, sans sa taille et ses  traits étrangers, il aurait été ennuyant à en mourir et ce serait donc parfaitement fondu dans la masse (Cela ne resterait malheureusement qu'un fantasme.) Néanmoins, à force de lui répéter qu'il paraissait aussi aimable qu'une porte de prison, il avait fini par comprendre qu'il avait vraiment la tête de l'emploi. Satomi, cette taquinerie... Étrangement, elle lui faisait penser à son ami. Il ne manquait jamais une occasion de le titiller. C'était bon d'avoir une discussion amicale, mais soudain, il craignait qu'elle ne s'envole et que le rêve s'arrête ici.

- Sans vouloir me vanter, j'étais plutôt populaire au collège et au lycée.

Preuve que fut un temps où il n'était pas crispé au point de faire fuir les autres. Il nota les préférences de la miss et rassembla les quatre ouvrages en prenant le soin d'y ajouter un autre livre. Son père ne lui en voudrait pas et, si ça ne tenait qu'à lui, il lui aurait certainement donné la bibliothèque entière. Cassandre aussi remarque... il y aurait songé. Il ne savait pas. Peut-être.

- Tiens, c'est une vielle copie de 1984, de George Orwell. On l'a retrouvé dans des vieux cartons de mon grand-père avec une lettre de l'auteur. On ne sait pas trop comment c'est arrivé chez nous...Et elle ne nous ait pas destiné mais... Il se balança d'une jambe à l'autre, un peu nerveux, pas certain de savoir pourquoi il lui racontait tout ça, ...c'est intéressant.

Il s'éclaircit la gorge :
- Il doit y avoir un sac quelque part dans la maison pour que tu ne portes pas tout à la main.

Il n'esquissa aucun geste, et se contenta de scanner la bibliothèque du regard, avant d'en sortir un album photos énorme, placé sur la plus haute étagère. Il l'ouvrit doucement et fit rapidement défiler les pages cornées, pas sûr de vouloir montrer des photos de lui enfant sur le pot à Satomi. Il s'accrochait à sa pudeur absurde, et ce malgré la soirée qu'ils avaient partagée. Il trouva finalement ce qu'il cherchait. Lui, plus vieux que sur la dernière photo, entouré de ses amis, une planche de Ouija à la main, il posait sourire aux lèvres au milieu de ce beau monde. (Son père avait trouvé ce passe-temps tout à fait fascinant et sa mère avait insisté pour immortaliser le moment et ressortir la photo à chaque réunion de famille pour embarrasser son fils). Il ne dit rien et la montra simplement à Satomi, pour lui montrer cette part de lui qu'elle ne connaissait sans doute pas.

Ce passé où son ami était encore son ami. À cette époque, Cassandre n'avait pas compris ce qu'il ressentait pour lui. Maintenant, qu'il revoyait cette image, il relevait des détails nouveaux. Sa main posée sur son épaule, le fait qu'il était légèrement plus proche que les autres. C'était étrange. Il ne ressentait ni regret, ni peine. Il était... serein.

Il reporta son attention sur son invité. S'il demeurait indéchiffrable, il était en fait particulièrement curieux de connaître sa réaction.

Satomi avec une expression si sérieuse...c'était...adorable ? Il n'y mettrait pas sa main à couper, mais quelque chose lui disait qu'elle était encore en train de se moquer de lui. Pour autant, c'était loin d'être désagréable. Elle lui offrait tout un panel d'expression qu'il ne se lassait pas d'observer. Voyons les choses autrement :si comme il le pensait, elle plaisantait bel et bien, c'est que ses allures de gardien de prison ne la vexaient pas tant que ça. Ce qui était une bonne chose, un progrès même. Rares étaient ceux qui ne s'exaspéraient pas devant ses manies et lui ne s'en rendait compte qu'après qu'ils aient quitté sa vie.

Suicidaire ? Il laissa tomber ses yeux dans les siens.

- Il faut être au moins à moitié suicidaire pour travailler dans la BAV. répondit-il du tac au au tac

Sa passion pour l'ésotérisme demeurait bien cachée, mais elle était toujours présente. Il était curieux, il souhaitait comprendre ce monde qu'il ne voyait pas. Celui-ci qui avait longtemps semblé hors de portée, jusqu'à ce jour où il l'avait enfin touché du doigt. Il n'avait pas abandonné sa rationalité pour autant. Le paranormal répondait à des règles et à des lois. Il y avait une explication. Et ce n'est pas parce qu'ils ne l'avaient pas encore trouvé qu'elle n'existait pas. En bref, il était assez fou pour risquer sa peau par amour de la vérité, mais tout de même assez sensé pour ne pas mourir bêtement.

- Et au moins un quart suicidaire pour discuter avec un inspecteur de la BAV.

Et ce n'était pas seulement dû à l'influence de sa grand-mère. Sous ses airs de fille de bonne famille, elle était intrépide, et même s'il l'avait mal jugé, il descellait chez elle une témérité qui pourrait lui faire défaut. Rien que l'expérience ne saurait lui donner. Il avait foi en elle. Elle était assez réfléchie pour éviter le drame.

Soudain, il se raidit et fixa le jeune homme imprimé sur le papier glacé. Il ne lui en avait pas parlé. Il n'aurait jamais abordé ce sujet. Quasiment personne n'était au courant. Et ceux qu'ils l'étaient évitaient le sujet à tout prix. Dans ces moments-là, Cassandre balayait ses sentiments d'un revers de la main. Il prenait son air le plus distant et envoyait balader son interlocuteur. Ce n'est pas une confidence qu'il aurait faite à Satomi. Pas sobre en tout cas. La vérité s'imposa à lui. Hier, il avait trop bu et il avait craché le morceau. Il ferma le livre aussi sec. Jusqu'à où s'était-il trahi ?

« Ça ne te regard pas.", c'est ce qu'il s'apprêtait à lui dire. Mais elle en décida autrement et se saisit de ses joues sans aucune pitié. Comme un chaton apeuré (mais avec l'espoir de conserver sa dignité), il tressaillit. Au début, il avait cru à une énième tentative de séduction. Les mains de Satomi étaient si douces... Puis il avait vite compris qu'il n'était rien de plus qu'un animal qu'on papouille. Elle le traitait comme Daphnée et Pringles là, on est d'accord ?!

- Mais ?! Qu'est-ce qui te prend Satomi ? Ça ressemble à une tentative de diversion !

Comme par hasard, elle n'attendait pas sa réponse et se jetait sur lui pour faire quelque chose qui n'avait ni queue ni tête. Il n'était pas dupe, ce soudain changement d'atmosphère n'était pas que le fruit du hasard. Ce qui voulait dire, qu'elle le connaissait assez pour comprendre qu'il était au moins aussi réservé qu'elle et qu'un sujet abordé sous l'emprise de l'alcool était une chose, en discuter sobre en était une autre.

Il lui aurait bien tiré les joues en retour, mais les choses s'enchaînèrent. À croire qu'il n'avait pas son mot à dire ! Elle l'embrassa, ce qui le surprit, mais ne lui déplu pas. Il la fixa avec deux grands yeux ronds. C'était...calculé... c'était calculé ! C'était calculé et il ne trouvait rien à y redire. Sa remarque l'avait mis de méchante humeur, mais à présent, il ne réussirait même pas à faire semblant. Et puisqu'il ne souhaitait pas s'attarder sur le sujet...:

- Incorrigible. C'est pas croyable.

Il plissa les yeux, attentif :

- Je ne suis pas rancunier, mais je pourrais vouloir me venger.

Une manière cryptique pour lui signifier qu'en fait, il prendrait n'importe quel prétexte pour lui rendre la pareille. Lui tirer les joues, l'embrasser peut-être, mais surtout, faire diversion s'il abordait un thème qu'elle préfère éviter.

- C'est tout pour moi. Conclu-t-il solennellement avant de l'inviter à sortir de la pièce.

Il se prépara à dire au revoir à son père (et aux chiens), mais il comprit très vite que ce ne serait pas si facile lorsqu'une odeur sucrée l'enveloppa. Son père apparu vêtu d'un tablier, de gants et avec une assiette entre les mains :

- J'ai fait des cookies. J'ai testé une nouvelle recette. Il jeta une œillade nerveuse à Cassandre et à Satomi. À votre âge, j'avais tout le temps faim. Je les pose sur le plan de travail, servez-vous, je vais les poser dans la cuisine. Il disparut, tout guilleret.

Comment avait-il pu être aussi rapide ? Ça dépassait les lois de la physique et du bon sens. Et puis il n'avait plus six ans et ce n'était même pas leur du goûter... ! Mais il ne souhaitait pas briser le coeur de son pauvre papa. Il se tourna donc vers la jeune fille et l'averti discrètement :

- Ils...quoi qu'il arrive ne critique ses cookies sous aucun prétexte.

Elle était avertie. Pour Papa Roy, "J'ai testé une nouvelle recette" signifiait plus ou moins : "Au secours, ta mère n'est pas là et je me sens terriblement seul. Qu'est-ce que ça donnerait si je mélangeais du chou et du chocolat ?" Cassandre avait souffert ses mélanges étranges pendant toute son enfance. Et lui et sa franchise habituelle avait fait comprendre à son père que ses gâteaux étaient infects. La tristesse et la déception qu'il avait lu dans ses yeux étaient sans commune mesure. L'héritière des Nakumura devait être préparée au pire.

Cassandre allait mourir. Oui. Il allait mourir. La miss était beaucoup trop adorable pour son propre bien. Il n'aimait PAS la pente vers laquelle il glissait. Et pourtant, il se laissait aller avec délice. Depuis combien de temps est-ce que ça ne lui était pas arrivé ? Quatre, cinq ans ? Peut-être même six ? Lui qui s'enfermait habituellement dans sa solitude, lui qui s'acharnait au travail rivalisant presque avec l'endurance des vampires, se retrouvait en train de batifoler comme un adolescent. Maintenant, venait l'épreuve du biscuit. Pas besoin de plus d'explication, Satomi comprendrait bien assez tôt. Il attrapa un biscuit qu'il croqua du bout des dents.

Mauvais. Son père avait beaucoup de talents. C'est un ornithologue hors pair. Un photographe d'exception. Un scientifique renommé, mais pas un cuisinier. Et pourtant, que ce soit par passion ou pas naïveté, il s'entêtait. Satomi fit étalage de toute sa diplomatie et son éducation de bonne famille. De son côté, Cassandre choisit le silence et hochement de tête subtil. C'était au moins l'avantage d'être peu expressif, même son père ne se posait plus de question lorsqu'il voyait la mine renfrognée de son fils. "Surprenant" n'était pas le mot qu'il aurait utilisé, mais son père l'accueilli avec un grand sourire, lui reproposant même des cookies :

— Ça ira, merci. Intervint rapidement Cassandre pour éviter le drame, il réfléchit rapidement : On a tous les deux pas mal de choses à faire et puis je suis certain que Maman sera ravi d'avoir quelque chose à goûter une fois rentrer.

Il n'était pas du genre à se venger, mais il devait avouer que ça lui faisait plaisir de savoir qu'elle goûterait elle aussi à ses...choses si délicatement préparées. Il tourna vivement la tête adressant un regard rempli d'éclair et d'incrédulité à son invité. Mais non ! Pourquoi est-ce qu'elle l'encourageait ? Le visage de son père s'illumina d'un sourire :

— Je n'y avais pas pensé... c'est en effet une très bonne idée ! Je pourrais même rajouter de la carotte, ou de la citrouille.

— C'est ça. lança-t-il à la volée. Les mots lui avaient échappé. Il resta quelques secondes sans bouger.

Le désavantage de cette excuse était qu'ils allaient vraiment de voir s'en aller. En effet, ll était leur de partir et déjà, son père avait sorti un papier et s'appliquait à noter les idées incongrues que la demoiselle lui avait mis dans la tête. Il ne pouvait pas la retenir plus longtemps.

— On va y aller, au revoir.

Habitué aux manières froides de son fils conscient du fait qu'il était en réalité plus heureux de l'avoir vu qu'il n'y paraissait, son père répondit par un sourire poli, avant de se tourner vers Satomi :

— Ça a été un plaisir de vous rencontrer mademoiselle. Vous êtes ici chez vous.

De son côté, Cassandre s'occupait de dire au revoir aux chiens, les sourcils froncés et un sourire timide au coin des lèvres. C'était... une bonne journée. Lorsqu'il s'était réveillé ce matin, il avait eu très peur. Ses angoisses, cette soirée... il avait pensé à une erreur. Le reste de la journée avait été moins catastrophique qu'il ne l'aurait imaginé. Il espérait qu'elle était de cet avis. Il savait qu'il n'était pas commode, mais il avait essayé. C'était la moindre des choses... Reste que son ancien mentor ne devait JAMAIS l'apprendre. Il se redressa et observa Satomi, l'incitant à le suivre dehors et jusqu'à la voiture.