Ces adolescents, issus d'une des écoles les plus prestigieuses du quartier. Leurs mines étaient si grises. Maussades, rien, un triste spectacle. Noah, en les prenant sous ton aile, tu as fait le bon choix. Quelqu'un doit les guider. Aujourd'hui, après ton travail, parti pour les retrouver, leur glisser quelques mots. Ils t'admirent, boivent tes paroles. Jusqu'où iront-ils ? La colère au sein du lycée, le murmure d'une révolte, Sa Majesté des Mouches grandeur nature.

Un repos mérité. Noah se dirigea vers son appartement avec l’esprit qui fusait. Il restait beaucoup de choses à faire, observer, des gens à recadrer, son travail secret, et le Purgatory, seul moment de battement dans son quotidien. La clef dans la porte, et une fois à l'entrée, il s’arrête net à l’entrée. Quelque chose qui cloche, une ambiance nauséabonde qui plane. Les rattes ne font aucun bruit et un léger courant d’air. Quelqu'un est de passage, c'est certain. Pas de chance, ça fait longtemps qu’il ne s’est pas nourri, ça commence à lui peser. Il ne sait pas qui de la faim ou de la fatigue l’obsède le plus. Au moins, il a le sentiment d’être vivant, il n'en dort plus, chaque minute pour savourer cette sensation.


Il ne prit pas la peine d’enlever ses chaussures, mais prit celle, en revanche, d’agripper une arme à feu. Il l’a récupéré sur un cadavre, c’est rare au Japon, une occasion à ne pas louper. Que lui veut cette personne ? Quelqu’un qui viole son intimité, son sanctuaire. Donc, prêt à ne jamais en sortir. Car c’est la sentence qu’il lui réserve. Pas la mort, juste l’assurance que cette personne ne remettra plus jamais les pieds dehors. Il progresse dans les pièces, dans le noir, son arme pointée droit devant lui, et arrivé dans le salon, il le voit son intrus : Jeokyeon. Le petit coq.

Noah, sérénité incarnée et pourtant vaguement agacé. Il a réussi à créer une ride à la surface du lac, une soif meurtrière. Il reste quelques instants sans baisser son arme. Savoir que c’est quelque chose qu’il s’est permis de faire, et qu’il n’en sera pas immédiatement puni... Un culot que peu ont. Jeokyeon, tu cherches vraiment à te faire tuer, c’est irritant.

Il baisse le pistolet, avec un léger soupir. Est-ce qu’il est venu pour en finir avec lui ? Peu importe, c’est l’heure de toutes façons. Ou bien, serait-ce lié à ces vilaines rumeurs à propos du trafic humain ? Il ne l’avait pas attendu pour commencer à enquêter et renforcer les mesures. À son échelle, il faisait ce qu’il pouvait. Ce qui n'empêchait pas qu'il attendait son coup de fil avec impatience. Il eut un regard pour ses rattes, qu’il pensait retrouver étripées, mais non, elles étaient là. Terrifiées, mais vivantes.

Il le regarda d'abord à peine et se posa sur le canapé en face de lui, dans une position nonchalante, les jambes et les bras écartés. Puis quelques secondes où il reste muet, redirigeant son attention vers son supérieur, qu'il fixe avec une expression désabusée et légèrement cynique. Tap, tap, tap, son arme à feu qu'il tapote sur l'accoudoir.

- Jeokyeon. Je t’en prie entre, fais comme chez toi.

Combien de temps avant qu’il succombe et qu’il repeigne la pièce en rouge ? La tentation de la mort, sa douce amie, qu’il hésitait franchement à retrouver.

Jeokyeon était vraiment un imbécile fini et il commençait à lui taper sur le système. Ils s'étaient rendus à la même soirée, Noah n'avait eu qu'à demander son nom à une autre personne (mais aussi celui des autres invités) pour le connaître. De plus, ces manières autoritaires, comme si le monde lui appartenait, le renvoyait à sa condition fragile. Un vampire n'est pas immortel, il a une vie et elle peut s'arrêter en un claquement de doigts. Par ailleurs, sa remarque, qu'il comprit comme si Noah avait froissé les règles de politesse élémentaires, ne faisait que souligner l'ironie de la situation et cette évidence ne sembla pas frapper son patron. À moins qu'il s'en fichait. Il n'était pas vraiment impressionné par ce pseudo-chef. Il stoppa net son tapotement.

- Tu ne me l'as pas donné, je l'ai demandé à la soirée.

Il écouta la suite avec un ennui non dissimulé. Un peu de sympathie lui écorcherait la bouche. Il n'était pas venu pour le tuer, donc le niveau d'urgence de la situation avait clairement baissé. Il fallait néanmoins rester vigilant, un faux pas, et il devrait se débrouiller pour que la BAV ne l'attrape pas et pour trouver un moyen de noyer Jeokyeon dans le Styx. Il se leva avec une lenteur infinie, laissant négligemment son arme sur le rebord du canapé, et alla dans la cuisine chercher la nourriture de ses rats. Elles devaient mourir de faim les pauvres. Depuis son placard, il répondit doucement à sa question :


- J'ai commencé oui, ça ne donne pas grand-chose pour le moment. Et puis je ne peux pas surveiller tout le monde.

Il revint dans le salon et ouvrit leur cage pour les nourrir. Même avec l'odeur et la faim, elles n'osaient pas bouger, l'autre devait avoir utilisé son aura vampirique pour leur ficher la trouille. Le vrai rat ici...besoin d'être éduqué...:


- Mais je travaille dans un bar, et ça grouille d'informateurs donc...j'observe quelques collègues et j'ai demandé à mes gars de les surveiller.

Il retourna dans la cuisine pour y chercher une bouteille d'eau et remplit le réservoir de Pif et Caligula. Le problème dans cette histoire, c'était que son collègue lui-même était possiblement au fait de...quelque chose. En deux ans, il avait bien compris qu'il jouait de ses relations et comprenait certaines des choses qui se tramaient dans la ville. S'il pouvait éviter de le tuer, ce serait préférable, sinon, il devrait s'en charger. Bref, une discussion sérieuse avec lui s'imposait. Il se rassit en attrapant le pistolet. Voilà, c'était l'heure des adieux, peut-être. Le moment de décider, s'il devait rester ou non. Il se concentra dessus, sa couleur charbon. Un coup, il souffrirait, il en avait besoin, il en avait envie :


- Tu as des directives à me donner ? Des suggestions ?

Et puis cette soif, qui grondait, tordait son estomac...il avait la bouche sèche. L’appel du vide… il pourrait diviser la douleur, la partager avec Jeokyeon. Son boss, puis lui. Un peu d'adrénaline, de peur, de quelque chose qui le ramène à la réalité. Long, gris, chaque jour se réveiller, répéter les mêmes gestes, à l'infini. Au moins Noah, tu es plus libre que Sisyphe, lui roule sa pierre, sans possibilité de mourir. Ce choix, une torture, comme chaque soir.

Noah ouvrit le barillet de l'arme et compta le nombre de balles. Six. Donc, il devait en enlever cinq. "Dire ce qu'il savait." Dans la pénombre de la pièce, il s'en doutait. Jeokyeon ne lui faisait pas confiance. Il était parti du principe qu'il ne lui avait pas tout dit. Il avait l'habitude de travailler avec des gens comme lui. S'entourer de personnes en qui on a une confiance seulement mesurée, c'est très très dangereux tu sais... Paranoïaque, est-ce que ta propre ombre réussie à te faire frissonner ? Est-ce que ne sont pas les pires traites qui restent persuadés que les autres cachent, dissimulent, ont des secrets à garder ? Noah devait être exemplaire. Il devait le croire sur parole. Il était temps de changer la dynamique de leur relation, sinon, il n'arriverait à rien. Une à une, il posa les balles sur l'accoudoir, alignées. La roulette russe, c'était excitant généralement. Ça aidera peut-être :

- Tu penses que je te cache quelque chose ? Je serais fou de le faire. Tu as des yeux partout, tu me l'as bien prouvé ce soir. Un mensonge, et c'en est fini de Noah. Je ne te dissimulerais jamais quelque chose, peu importe le sujet.

Il enleva le cran d'arrêt, le cri du pistolet qui résonne dans la pièce. Des années à tous les rouler, tu es un menteur hors pair Noah. Et si tu finissais par un énième coup de théâtre ? C'en est devenu une seconde nature, même plus besoin de réfléchir lorsque tu inventes, manipules. Aucun remords, pas pour lui, il ment comme il respire. À tout le monde, mais surtout, surtout à lui. C'est un gosse, il est terrifié, peu importe qu'il soit à la tête de cette organisation ou son nombre de victimes, au fond, il tremble :

- Si tu veux tout savoir, quelqu'un m'a appris qu'un de mes collègues savait pas mal de trucs. Il connaît sûrement l'informateur qui a été en contact avec un de nos membres. Une fois que j'aurais retrouvé cet informateur, je te le dirai et on fera à ta guise.

Une ombre, il le vit se lever, déposer sa main sur son arme. Noah se figea et releva mollement les yeux. Pardon...? C'est une blague...? Où est le caméraman ? C'est le signal pour se tirer une balle, c'est ça...? Son regard ambre et perçant, à deux doigts de virer au rouge. Il le sonde, le découpe, l'analyse. Jeokyeon un petit être insignifiant parmi tant d'autres. D'une telle familiarité avec Dieu. Je devrais peut-être te suspendre à une poutre et laisser le feu te consumer. Hypocrisie infinie ! Ah, on se soucie de son prochain soudainement...? Tuez-moi, je vais vomir. Un homme avec autant de sang sur les mains, prêt à lui trancher la gorge pour un regard déplacé, ici pour lui donner des leçons de morale. C'est un danger, il faut le corriger. Maintenant.

Il se remet tranquillement debout et jette son arme vers un point inconnu dans la pièce. Un geste dangereux, un peu de malchance et le coup serait parti. Il entend le cœur des rattes s'accélérer. La tension, déjà bien présente, vient d'augmenter d'un cran.

- Qu'est-ce qui ne m'aidera pas Jeokyeon ?

Une voix ? Non, un souffle glacé. Un grondement. Noah n'aura jamais un mot plus haut que l'autre, mais son ton est sans appel. Exprime-toi avec des mots clairs. Sinon on ne comprend pas.

Hmm, voilà qui était mieux. Qu'il l'insulte, ce n'était pas grave. Il était habitué au personnage, il ne le prenait pas personnellement. Mieux que cette démonstration de pitié, cette empathie dégoutante. Pas si vite en revanche, ils allaient prendre le temps de revenir sur tout ça. Une balle dans le crâne, c'était exactement ce à quoi il pensait, juste en dessus du menton. Histoire de... Il fallait avoir une confiance excessive en son jugement pour partir du principe que ce n'était pas lui à qui il voulait faire la peau. Jeokyeon, la tête explosée, il n'y céderait pas. Noah soutint son regard, une expression concentrée. Son sourire... l'autre ne s'en déferait pas. Une manière de dire "Ça ne m'atteint pas, je m'en fiche." Très bien, très bien. Ça, il le savait, ça, il acceptait, alors où est-ce que ça avait disjoncté quand il lui avait dit que « ça ne l'aiderait pas » ? Hm ?

Un relent, un souvenir, quelque chose qui avait ramené ce vampire aux cheveux de neige, à une époque où lui aussi avait hésité à appuyer sur la gâchette. Et dans sa grande mansuétude, lui conseiller de ne pas suivre ses pas. La compassion, la pitié, non du mépris ! L'apanage des rois ! Noah se fiche bien du travail, là n'est pas la question. Tout le monde peut faire preuve de sympathie, certes, mais ne vient pas la salir avec des grands discours. Est-ce que tu tires la langue quand on te tapote sur la tête et qu’on te rappelle à quel point tu es sage ? À quel point tu as toujours, toujours, toujours raison ? Jeokyeon… exaspérant.

Noah ne bouge pas d'un poil, une statue qui ne se remet en marche qu’il l'insulte. Il laisse échapper un gloussement. D'accord, c'est mieux comme ça, il est revenu à ses sens le boss. Oh oui, tu es méchant, froid, insensible, continue de te le répéter encore et encore. Ça te ressemble déjà plus. En revanche... il se couvre la bouche, il n'est pas censé rire. En tant que personne, il aurait dû se sentir humilié. Par conséquent, il fallait l'humilier lui.

- Je suis rassuré. Ça te ressemble plus de me dire ça.

Il agita sa main, ça le démangeait… dans son état, il ne pouvait pas faire grand-chose. Prépare-toi au pire Noah ! Ça va partir ! Non c'est hors de question, je ne vais pas me battre pour une bêtise pareille.

Il prit lentement la direction de son frigo, s'accroupit et l'ouvrit. Une lumière jaunâtre se déversa dans la pièce, et il se saisit d'une bouteille de sang. Il datait d'hier, le goût était sûrement infect, mais ça lui permettrait de reprendre un peu de force. Couleur carmin, il n'arrivait plus à retenir ses tremblements. Ça faisait trop longtemps qu'il n'en avait pas bu. Il laissa la faim le consumer et ses yeux prendre cette teinte si particulière.


- Tu as perdu une occasion de te taire tout à l'heure. Ce conseil... c'était d'un ridicule. Tu réalises que c'est toi le plus pathétique de nous deux ou tu te crois vraiment si intelligent que ça ?

Il prit de grandes gorgées. C'était froid, un goût métallique, pas aussi fluide que s'il l'avait pris à la source, mais il savourait quand même la sensation du liquide qui coulait le long de sa gorge, de ses forces qu'il reprenait petit à petit. Il y voyait déjà plus clair. Il avait essayé, mais parler à l’autre vampire ne serait certainement d’aucune utilité. Il était trop borné pour cela. Une fois fini, il posa doucement la bouteille dans l'évier et se retourna pour faire face à Jeokyeon, les bras appuyés sur son plan de travail.

En colère, toujours, la seule émotion acceptable pour Jeokyeon. Colère, mépris, dégoût, luxure, tant qu'il est au-dessus, c'est parfait. Noah se détendit un peu et ses yeux reprirent leur couleur ambre. Cet élan de bonté lui était passé et lui était parvenu, sans aucune difficulté, à irriter son interlocuteur. Ce n'avait pas été assez pour qu'il se sente humilié et c'était bien dommage. Il secoua de nouveau la main. Ça le démangeait encore, lui en coller une. C'est ce qu'il aurait fait à son petit frère, pour qu'il comprenne la leçon. Les paroles s'envolent, mais la douleur... reste ? La honte, quelque chose. Il allait avoir du boulot avec celui-là. Ceci, couplé au fait qu'il devait assurer son rôle de petit soldat. Il ne l'aurait pas en le confrontant, mais il ne l'aurait pas non plus par les sentiments. Noah n'avait pas pu laisser passer sa remarque, mais il devait s'y résoudre, il devait jouer la carte de la soumission pour l'avoir.

Après avoir autant bu, il avait sommeil. Il avait la force de se battre, mais il ferait mieux de désamorcer la situation, ou le laisser se défouler sur lui, mais l'idée d'encaisser ses coups sans rien faire ne lui plaisait pas trop. Il avait déjà gâché sa soirée et maintenant, il n'y avait plus grand chose à faire. Il ne pouvait pas non plus lui dire ce qu'il voulait entendre (À part : "oui Ô grand vampire, vous êtes formidable monsieur, est-ce qu'on vous l'a déjà dit ?"). Il avait déjà essayé lors de leur première rencontre et Jeokyeon n'avait pas eu l'air tant convaincu. Autant jouer la carte de l'honnêteté :

- Et moi, je pense que tu es suffisamment solide pour entendre mon opinion. Je sais que tu aurais préféré que je la garde pour moi, mais on gagne mieux à connaître ses hommes, j'ai tort ?

Il le détailla, des pieds à la tête. Jeokyeon était grand, son cœur était froid, mais il était moins sanguinaire que ce que Noah aurait cru. Plus magnanime. À sa place... à sa place, il aurait déjà puni cet affront :

- Si tu décides qu'une sanction est applicable, alors vas-y. Personnellement, je n'aime pas l'arrogance, j'estime qu'elle doit être corrigée. Ton élan de bonté n'était pas utile. Pour autant, j'aimerais mieux qu’on ne se crêpe pas le chignon et que notre relation se base sur une confiance mutuelle.


Noah ignorait s'il entretenait ce genre de rapport avec les autres, ou s'ils avaient trop peur de lui. Ils étaient peut-être plus admiratifs, mais s'ils agissaient tous comme il le faisait... son patron avait une patience bien plus grande qu'il n'y laissait paraître.

- Mais tout de même, laisse-moi être franc : méfie-toi, souffla-t-il, tu n'es pas à l'abri de tomber sur quelqu'un de plus fort que toi et de plus retors. Je n'affirme pas être cette personne, et je n'ai pas l'intention de te tromper, mais un autre aurait pu. Oui, pour être respecté, tu dois être craint, mais méfie toi, tu n'es pas intouchable.

Ici, il le conseillait, comme il l'aurait fait avec un autre. C'était la réalité et il y était confronté aujourd'hui et maintenant. Noah considérait ne pas être quelqu'un à prendre à la légère et si l'autre vampire avait été un peu plus sympathique, sa première décision n'aurait pas été de lui trancher la gorge. Il n'était pas déterministe, et même si tôt ou tard les péchés de Jeokyeon le rattrapaient, cela n'empêchait pas qu'il puisse décider de changer. Ou bien, le bougre utiliserait ses conseils pour devenir plus pernicieux encore. Dans tous les cas, Noah sera là pour rendre sa sentence. Il n'en tirait aucun plaisir, au contraire, plus que tout, il priait, non, il agissait pour construire un monde paisible.

Un coup, une morsure, le pilori, une exécution, autant de choses auxquelles il s'attendait de sa part. Autant de choses que lui aurait fait pour recadrer un soldat désobéissant. Tout ça, mais pas une telle clémence. Noah le surveillait, prudent. L'autre resta là sans bouger, toujours aussi froid, les yeux écarlates. On aurait dit un lion à deux doigts de se jeter sur sa proie. Cette sensation d'être considéré comme quelque chose que l'on peut facilement maîtriser... c'était si particulier. Il aurait pu l'observer pendant des heures. Lui, qui s'imaginait l'écraser, comme on le ferait pour une fourmi...

Oui, Noah n'était pas dépourvu d'arrogance. Oh, mais c'est ce qui te rend si humain, donc apte à comprendre les autres, le rôle de Dieu te sciait... Jette-moi une pierre Jeokyeon, mais ça ne change pas, rien. Taratata ! Son arrogance ne résidait pas dans sa franchise, mais dans son assurance : il était certain d'avoir raison. Et si Jekyeon relevait ce défaut de sa personnalité, c'est qu'il n'était pas si différent. Ainsi, ce qu'il disait était juste et Noah ne trouva rien à y redire. Rah, mais tout de même, petit chiot devrait accepter que certaines personnes ne le respectent pas... Tu ne peux rien y faire de toutes façons.

Il resta attentif. Son boss s'approchait, ses deux rubis qui transperçaient la nuit trahissaient sa colère. À ses mots, Noah ne put cacher sa surprise, ses yeux commencèrent à pétiller. Courageux. Pourquoi est-ce qu'il lui dirait une chose pareille ? Parce que Jeokyeon n'avait rien écouté. Ou plutôt, parce qu'en digne chef d'une organisation de renom, impitoyable calculateur, l'idée que quelqu'un puisse lui faire face était inenvisageable. Noah... ça suffit ! C'est à ton tour de faire un effort ! Un compliment de Jeokyeon... Et après tout ce que tu as fait ! Accepte-le et ferme-la ! Il ne savait pas trop... Toi qui voulais une relation plus franche... c'est le moment. D'accord. C'est bon. De sa part, ça voulait dire beaucoup. Noah choisit d'être flatté.


Mais lorsque son patron lui attrapa le visage, il sursauta et tous ses muscles se tendirent. Celle-là... il ne s'y attendait pas. Il le dévisagea, pas sûr de savoir s'il était censé le réprimander ou non. Non. Il avait accepté d'être puni. Il devait encaisser la douleur. Ses os étaient compressés. Il avait déjà eu la mâchoire brisée, mais pas complètement explosée. La première option était suffisamment douloureuse. Il prit sur lui pour ralentir sa respiration et détendre ses épaules, ses bras qui pendaient maintenant mollement le long de son corps... Lâcher le comptoir, accueillir sa sentence, accepter d'être impuissant.

Contre toute attente, il n'alla pas plus loin. Noah sentit son cou partir sur le côté et craquer quand l'autre le lâcha. Il porta une main à sa mâchoire. Ce soir, il se serait laissé tué et blessé, mais le destin en avait décidé autrement. Une autre journée entre les griffes de la vie. Très bien, c'était parfait. La mort était terrifiante, c'était mieux ainsi.

- Oui patron.

Il baissa les yeux en signe de soumission. On ne pouvait pas dire que Jeokyeon était remonté dans son estime, mais presque. Il avait pris sur lui, et Noah avait fait de même. Cet homme... il n'en connaissait rien. S'ils étaient amenés à se voir plus souvent et pour éviter d'autres conflits inutiles, il aimerait mieux apprendre à le connaître.

- Tu as...

Clément n'était pas le mot... mais...

- beaucoup de maîtrise de toi.

Sans toutefois relever la tête, il poursuivit :

- Par curiosité : est-ce que je pourrais connaître ton âge s’il-te-plaît ?


Les enfantillages étaient finis... Maintenant, il était temps de continuer à parler boulot. Noah se redressa :

- Concernant les rumeurs, il faut que je te dise. Entre ça et l'incident avec la BAV, ça grouille de rats...La branche de Mihara reste fragilisée. Je n'aime pas trop certains des sous-chefs, mais je ne peux pas tuer et surveiller tout le monde. Ce qui manque, c'est peut-être une idéologie, quelqu'un à adorer et à craindre, mais comme ils ne peuvent pas voir ton visage... ce qui est tout à fait logique... Bref… tout seul, c’est compliqué. J’ai besoin de tes conseils.

Chercher d'où venait ces rumeurs n'étaient pas assez. Il fallait voir plus loin. Créer une idéologie autour de cette organisation, montrer aux vampires qu'ils faisaient cela parce qu'ils étaient supérieurs. Bien que Noah ne le pensât pas, s'ils sentaient jusque dans leurs tripes, qu'ils faisaient partie d'un tout, les taupes mourraient d'elle-même. Rapporté par d'autres membres… c'est toute l'organisation qui s'auto-gérerait. La peur s'installerait chez les traîtres...

Oh, il n'est pas content, c'est bien trop personnel comme question Noah. Évidement qu'il n'allait pas lui dire. Oui, mais cette réponse en elle-même lui apprenait beaucoup de choses. Jeokyeon avait des limites, c'était la peur qui avait parlé. Il n'avait aucune idée de l'âge de Noah, tout comme lui ne pouvait qu'estimer le sien. Il était relativement vieux, mais pas assez pour se permettre de s'en vanter ou de ne craindre personne. Pas si fort le p'tit gars... 1 500 ans... 2000 sinon peut-être...? Il hocha la tête silencieusement. Garder cette information secrète était un avantage de taille. Et pour cause, Noah était le premier à mentir et à ne jamais donner un âge supérieur à 500 ans. Tant que la personne en face de lui le pensait plus faible, plus naïf, il gardait le contrôle de la situation. S'il lui donnait le sien, alors il pourrait jauger l'âge de Jeokyeon en fonction de sa réaction. Mais c'était tout bonnement hors de question. Ils seraient tous six pieds sur terre avant d'en avoir la moindre idée. Dieu vient du néant, il n'a pas d'âge. Il n'en a pas besoin.

Ses yeux restèrent obstinément fixés sur un point invisible du sol lorsque Jeokyeon l'appela par son nom : Dieu. Se prendre pour Dieu... Soit il ne croyait pas en son existence, soit il estimait que le poste de "dieu" était déjà occupé par un vieux barbu. La vérité, c'était qu'il existait, mais il ne répondait à personne. Noah s'était autoproclamé dieu pour le défier, qu'il réagisse. Mais surtout, oh oui, surtout parce qu'il fallait que quelqu'un remettre de l'ordre dans ce monde en ruine. S'il avait le pouvoir, s'il faisait appliquer les lois, il était Dieu. Quelqu'un l'avait trahi. C'était un secret. Ceux a qu'il avait tout avoué se comptait sur les doigts d'une main. Des têtes allaient tomber. Pourriture.

- En effet. J'aime faire appliquer les lois divines.

Lorsqu'il partirait, il irait venir le trouver, le traître. Le décapiter lui et sa langue qui ne servait qu'à répéter les secrets. Puis son corps... au fond du lac. Il releva la tête, le regard vide. Tous les remettre à leur place...C'était une proposition. Il lui donnait l'opportunité de voir plus grand, d'avoir une petite troupe qui l'adulait. Intéressant. Il ne tirait aucun plaisir de ce rôle, mais il avait besoin qu'on le suive s'il voulait mener son projet à bien. Et l'organisation s'en porterait mieux, alors plus d'humains mourraient, alors...

- À terme, ils plient tous. Si je ne les ai pas par la force, je les ai par la ruse. Même les plus vieux. Surtout les plus vieux. Affirma-t-il mollement

Reflétés par la lune, ses deux ambres brillaient d'une lueur étrange. Noah n'était rien qu'un amas de chair, d'os et une volonté sordide. Ça fourmillait dans sa peau, comme des milieux de petits insectes qui grouillaient. Ils rampaient…s’il perçait son épiderme, ses sales bêtes en sortiraient. La menace de Jeokyeon le fit doucement rire. Le repos était une notion nébuleuse, il n’existait plus depuis longtemps. Faire souffrir Noah pour l’éternité était le plus beau cadeau qu’il puisse lui faire. Il soutint son regard, avant de glisser ce dernier vers les chaussures de son patron, qu’il observait avec grand intérêt.

- C’est une idée très intéressante. Je jouerais à Dieu, les résultats ne seront pas immédiats, mais ça arrivera. Et bien-sûr… Il revint à son visage, en réalité, ça sera toujours toi qui tireras les ficelles.

Ce que proposait Jeokyeon était dangereux et Noah savait qu’il en avait conscience. Potentiellement, le brun aurait plus de présence que lui et pourrait arriver un moment où ses ordres passeraient avant celui du chef de l’organisation. Voilà pourquoi, c’était une tâche qui incombait seulement à quelqu’un de confiance. Pas d'inquiètudes, je serais un bon petit soldat, prêt à suivre tes ordres aveuglement.

La sonnette de son appartement. Il tourna vivement la tête en direction de la porte. À cette heure-ci, il ne savait pas qui ça pouvait bien être. Par chance, les lumières étaient toujours éteintes, il n'y avait donc aucun moyen de vérifier s'il était bel et bien dans son appartement. Il adressa un regard à son boss, avant de se diriger vers la porte à pas feutrés.

- Noah ouvre ! S’il-te-plaît ouvre !

La voix plaintive d’une demoiselle. Une des étudiantes à qui il avait parlé plus tôt dans la soirée. Hier aussi, elle était venue toquer à sa porte pendant des heures, désespérément.

- J-j’ai besoin de te parler. Ma mère m’a encore foutu à la porte, je ne sais pas où aller.

Il vérifia par le judas. Effectivement, c’était bien elle. Il se tourna légèrement vers Jeokyeon et le considéra quelques instants. Noah était resté sur sa faim et cette petite était au fond du gouffre. Avec des parents qui se souciaient peu d’elle et l'envie d'être comprise, elle est tombée dans ses bras et il lui semblait qu’elle sombrait un peu plus chaque jour. Dans la débauche, la tristesse, l’ivresse parfois. D’un œil distant, il observait sa chute, profitant parfois des plaisirs qu’elle pouvait lui offrir.

Ce soir, il souhaitait voir... comment elle réagirait si elle était vraiment confrontée à l’horreur.

- …Pardon, ça ne prendra pas longtemps. Chuchota-t-il à Jeokyeon.

- Ouvre-moi ! hurla-t-elle en tambourinant contre la porte.

Il lui ouvrit. C’était moche, un mascara qui avait coulé, un pyjama trop court. Il avait envie de la prendre dans ses bras, de lui dire que tout irait pour le mieux :

- Kiko… j’étais occupé avec un ami, mais rentre.

Il passa une main derrière son dos, pour l’inviter à pénétrer le salon. Son corps s’était crispé à la vue de cet inconnu, et son regard passa un instant de Noah à Jeokyeon.

- Assieds-toi, je t’en prie, laisse-moi te débarrasser.

Il verrouilla la porte derrière elle et prit de son sac à main pour venir le ranger dans sa chambre, et la laisser aux bons soins de son patron.