Noah, les yeux rivés sur son téléphone, jouant à un jeu mobile au milieu d'un hangar désaffecté. Un spectacle quelque peu déplorable. Non, il n'était pas passionné d'urbex. Il attendait quelqu'un et il avait encore oublié d'emmener une veste. Le froid lui seyait bien de toutes façons. Le lieu était à l'écart, l'endroit idéal pour rencontrer un psychopathe à la tête d'une organisation foireuse. Haha, peut-être que quelqu'un mourrait ce soir... Ou pas. Encore une fois, il avait fui face à la mort. Ou plutôt, il avait décidé de ne pas la laisser gagner. Demain, il changerait peut-être d'avis, qui sait... Bref.


Cette organisation... un endroit parfait. Le chaos, la misère et la rancœur de toutes ces victimes constituaient un terreau idéal. À chaque morsure, à chaque horreur, ils prendraient un peu plus conscience de la futilité de leurs vies, de l'injustice du monde... Alors, une infime partie d'entre eux atteindrait l'épiphanie. Leurs petits yeux ternis par leur chagrin, soudain habitué d'une lueur nouvelle. Ah ! Noah allait dévêtir le monde de toute sa laideur, le leur présenter sous son aspect le plus cru, le plus vrai. Plus de mensonges ! L'éthique à la poubelle ! Ils allaient enfin être libérés.

Guidé par ses espoirs, il avait choisi d'intégrer leurs rangs... Et puis, puisque personne ne se souciait d'une ou de personne qui disparaissait dans le lot... Il avait tout le loisir d'étudier certains humains... À la loupe. La paie n'était pas mauvaise et elle lui servait à arrondir ses fins de mois. Mais avec un travail à côté, l'argent n'était pas sa préoccupation principale. Oh, oh, mais le pire... Oui, le pire des chiens (ou le meilleur des toutous ?) était sans doute l'homme qu'il s'apprêtait à rencontrer. Quel genre de personne était-ce ? A quoi ressemblait-il ? Noah brûlait de le découvrir. Avide de pouvoir, avide d'argent, avide de tout... Même avant de le voir, il le savait : il méritait d'être puni. Docile, vulnérable soumis à toutes les horreurs dont il était la cause, Noah enfonçant ses canines dans son cou pour le saigner comme un porc... En somme : ça allait être une rencontre intéressante ! Patience...

Mis à part ses envies de meurtres refoulées, Noah estimait avoir fourni un travail correct. Pff, le problème avec les gangsters, c'est qu'on ne sait jamais vraiment. Cependant, il ne pensait pas que le patron aurait fait le déplacement juste pour le tuer. C'est que ça devait être une bonne nouvelle. Ou on lui tendait un piège et sa dernière vision avant de mourir aurait été Candy Crush. Ça le n'aurait pas dérangé.

Ses muscles étaient engourdis par le froid, mais il demeurait parfaitement immobile. Du coin de l'œil, il aperçut une silhouette à l'entrée du hangar. Il jeta un dernier coup d'œil à son écran (Adieu jeu mobile...! Adieu la vie..?) avant de se tourner vers le nouveau venu, mains dans les poches. À quelle sauce allait-il être mangé...?

- Yo.

Jeokyeon était en route pour aller rencontrer un des gars qui travaillait pour lui sans qu’il ne le sache. Il laissait les recrutements à plus bas niveau se faire par d’autres personnes, des personnes de confiance bien entendu. Il avait fait parler de lui par son boulot mais aussi par sa curiosité. Il gardait parfois la marchandise pour lui et ça, ça l’intriguait. Son subordonné lui avait dit qu’il faisait du bon boulot si on omettait ce détail. Ce type avait l’air d’être intéressé par ce qui se passait dans ses activités. Il avait besoin de quelqu’un pour diriger la branche de Mihara, son dernier chien s’était fait chopper. Et plus que d’un lâche fourrant son nez dans ses affaires pour le fric, il avait besoin d’un mec qui faisait ça par intérêt et qui en avait dans le ventre. Pour que la confiance s’installe il n’y avait rien de mieux que les intérêts communs, il le savait d'expérience. Et si ça dérapait il savait quoi faire, il n’hésiterait pas à se débarrasser de la mauvaise graine comme il l’avait déjà fait par le passé.

Il faisait la route en voiture, il ne conduisait pas bien sûr, il avait un bras droit dévoué qui le servait pour ce genre de chose. Un gars qu’il avait trouvé quasiment mort et qu’il avait sauvé dans son propre intérêt. Il n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi dévoué, il savait que celui la ne le trahirait jamais. Ce qui n’allait sans doute pas être le cas du type qu’il s’apprêtait à rencontrer. Mais c’était la routine dans ce business.

Une fois arrivé à destination, il descendit de la voiture et fit signe à son homme de se garer plus loin. Il était complètement vêtu de noir et portait un très long manteau. Ses cheveux blancs et ses yeux vairons étaient les seules choses que l’on pouvait distinguer de loin. Il s’approcha de l’entrepôt et pu découvrir un homme, les yeux rivés sur son téléphone. Il espérait qu’il ne passerait pas son temps dessus en service… Enfin, il correspondait à la description qu’on lui en avait faite. Lorsqu’il le salua, il comprit plus ou moins à quoi il avait affaire.

- Tu sais pourquoi je suis ici, n’est ce pas ?

Il ne prit pas la peine de le saluer, le moins de temps il passerait dans cet endroit, le mieux il se porterait. Il le regardait d’un air grave, il n’était pas là pour jouer. Au moindre mouvement suspect, il n'hésitera pas à le remettre lui-même à sa place.

- Je vais aller droit au but. Est ce que tu en veux plus ?

Il espérait parler à un homme d’ambition, tout comme il l’était. Si c’était le cas, peut-être que ce type en avait assez dans le ventre pour correspondre au poste. Sinon il s’en débarrassait.

Noah ! Dis Noah ! Pourquoi le monsieur est mal poli ? Ça... il le détailla des pieds à la tête et cette conviction le traversa : Oh mes crocs dans ta chaire, ce n'est plus un fantasme, c'est une promesse. Lui à ses pieds ? Une prophétie. Il dégoulinait d'arrogance. Beau, grand, hargneux, affreusement sûr de lui. La version la plus ennuyante de ce qu'il avait imaginé. C'était merveilleux. Noah se dit que ça aurait été le bon moment pour sourire, ou se moquer, mais le gouffre dans sa poitrine ne lui permis pas de le faire. Il releva les yeux. Personne n'avait pris le soin de lui expliquer les termes et conditions de ce rendez-vous. Il supposa que les récents événements y étaient pour quelque chose. Il avait été témoin du désastre que ça avait été. La honte...

Il avait l'air pressé. Un soupçon d'agacement dans les yeux, l'ombre de la colère pas loin. La colère, ce n'est rien de plus que de la peur déguisé. Et lui, après que la cellule de Mihara soit démantelée, il s'était fait dessus. Il n'attendait qu'une chose, sauter sur le premier imbécile compétent (aka Noah) pour arranger ça fissa. En fait, ce n'était pas une offre, c'était un ordre. Comme une impression d'épée de Damoclès au-dessus de la tête :

- Ah oui. La cellule de Mihara a été démantelée. Annonça-t-il platement. Et son responsable doit avoir un pieu dans le cœur à l'heure qu'il est... ou la jugulaire qui salue le ciel.

Une promotion. Un léger sourire étira ses lèvres. Il aurait dû se sentir flatté d'une telle attention, mais il savait qu'il était remplaçable... si facilement remplaçable. Une erreur, une blague qu'il n'approuve pas, un crachat dans la figure (oups...?) et il le sentirait passer. Il se mordilla la peau des doigts, un tic stupide :

- Ca dépend. Plus, c'est du sérum ? L'assurance qu'on fermera les yeux mes hobbies ?

Après plus de mille an à vivre dans le noir, il devait avouer que le soleil commençait à lui manquer. Cette petite faiblesse réduisait son champ d'action. Cette personne - dont il ne connaissait toujours pas le nom- avait tout intérêt à lui accorder. Et pour le reste... Noah avait ses habitudes et il n'était pas naïf au point de croire qu'il ne les connaissait pas déjà. En fait, un contrat oral ne valait pas grand-chose et "confiance" et "respect" n'étaient pas des mots qui figuraient dans le vocabulaire de son interlocuteur. Lui demander, c'était une manière de faire savoir qu'il savait que lui savait. Chassé les ambiguïtés, se mettre à nu... Indispensable pour débuter sur de bonnes bases.

Après avoir triturer ses peaux mortes une bonne dizaine de fois, il revint sur son visage, subitement très immobile :
- Ces sont mes conditions, ou plutôt mes conseils : le sérum me permettra un champ d'action plus large. En vérité, moi je ne veux rien, je ne pense rien, je ne décide rien. C'est un privilège qui te revient. Tu me demandes, je fais.


Il n'était pas tout à fait honnête. Pas du tout même. Cette perspective... cela signifiait aussi plus de sensation... plus de personnes à étudier. Il jubilait, intérieurement ça tremblait, ça s'agitait. Noah, ça faciliterait les choses pour toi. Tout ce monde à disposition.

Jeokyeon esquissa un sourire lorsque l’homme lui rappela qu’il avait perdu une branche de son réseau. Visiblement ce type n’avait pas peur de la mort, mais il était perspicace. Il était à son goût. De plus, il avait l’air intéressé. Il attendait, toujours le sourire au lèvres, que le vampire termine de parler, il n’avait pas que ça à dire, ou à lui demander…

Il voulait du sérum, rien de plus facile pour lui. S’il se montrait docile et compétent il en aurait autant qu’il le souhaitait. Il donnait ses conditions et ça, ça prouvait bien qu’il avait le profil. Un type terrorisé par le patron ça ne lui était d’aucune utilité, il ne réussirait pas. Il savait cependant que ce genre de mec risquait de lui en mettre une dans le dos, quoi de plus normal quand on aspire au rang supérieur. Mais tant qu’il faisait sa part et acceptait de lui donner ce qu’il voulait, ça ne devrait pas poser problème. Bien sûr, le moindre doute et il ne serait plus de ce monde pour parler de ce qu’il a vu.

Ses derniers mots lui prouvaient qu’il avait l’intention d’accepter. Tu parles, ce gars-là avait soif de pouvoir. Parfait. Il allait lui en donner. Il pourrait se défouler sur les hommes qu’il allait lui confier sans problème et il aurait accès à la marchandise s’il avait envie de s’amuser un peu. C’était bien son genre d’ailleurs. Il appuya son dos contre un des murs de l’entrepôt. Il regardait l’homme dans les yeux.

- J’ai l’habitude de céder à tous les caprices des personnes qui voient mon visage. Mais ne te méprends pas. Il marqua une pause. Ce n'est pas parce que j’ai peur, mais parce que je leur accorde de l’importance.

Il sourit à nouveau, il fallait qu’il le mette en garde. Selon ses dires, il comptait être son parfait toutou mais il savait que tout n’était pas vrai. Ce qu’il voulait c’était plus, toujours plus. Il le voyait, il ne s’arrêterait probablement pas là et ça le rendait curieux. Qu’est ce que ce type voudrait recevoir de plus ?

- Seulement fait bien attention, il n’y a pas que des avantages à être dans ta position.

C’était une menace. Si quelque chose lui échappait, il ne verrait plus jamais le soleil, ni la lune d’ailleurs. Il le garderait à l'œil. L’ancien responsable de la cellule démembrée avait eu l’occasion d’en savoir plus à ce sujet, ce n’est pas la BAV qui avait mis la main dessus et croyez moi, il aurait préféré.

- Quoi qu'il en soit, j’en attends bien plus de toi. Tu m’as l’air intéressé. Mais je ne veux pas d’une bête apprivoisée n’attendant que les ordres pour agir. Je veux un chef. Prêt à prendre les décisions qu’il faudra quand il le faudra.

Il espérait que le vampire qu’il avait en face de lui en était capable. Après tout, il avait l’air plutôt arrogant lui aussi. Il ne se sacrifierait jamais mais il espérait qu’il pourrait sauver la marchandise aux détriments de quelques hommes… Tous s’il le fallait. Il attendait sa réponse en le regardant droit dans les yeux, un air de défi au visage.

Ah... lui préciser qu'il n'avait pas peur, c'était terriblement mignon. Avec une confidence pareille, Noah ne pouvait que le croire. Ou bien se dire qu'il avait quelque chose à compenser. Plus sérieusement, il n'était pas certain que son interprétation, "d'accorder de la confiance à quelqu'un" était la même que la sienne. Quoique, dans un réseau pareil, l'homme avait plutôt intérêt à se soucier de ses chefs, sans eux, et s'ils n'étaient pas compétents, tout s'écroulait. Il devait bien lui accorder ça. Au moins, la question du sérum étant réglé, il pouvait se réjouir. Et puis "céder à tous ces caprices", c'était une proposition très séduisante. Cette coopération irait peut-être au-delà de ses espérances.

Il enfonça ses mains dans les poches, détaché, les yeux accrochés à un point invisible sur le sol. Il n'en donnait pas l'impression, mais il tendait l'oreille, à l'affût de la moindre supercherie... d'une inflexion particulière de sa voix. S'il avait quelque chose à cacher, il ne le dévoilerait pas si facilement. Oh une menace. Pas vraiment déguisée. Noah commençait à comprendre. Un homme aussi confiant n'avait pas besoin de mentir, il imposait son autorité sans détour. Il était sincère dans sa proposition. Il cherchait quelqu'un de solide, quelqu'un sur qui il pouvait compter. Pas son égal, mais quelqu'un qu'il puisse considérer un minimum. Il avait de l'œil, Noah pouvait affirmer sans rougir qu'il était ce genre de personne. Sa carrière de soldat n'avait pas pris fin avec sa vie humaine. Pour sa créatrice, il avait rejoint les rangs de l'armée plus d'une fois. Élimer les éléments perturbateurs, se faire respecter, agiter la carotte et donner un grand coup de bâton, ça avait été son pain quotidien pendant des années.

- On peut difficilement faire pire que le dernier chef. Un imbécile qui n'a pas su tenir ses servants en laisse, incapable de gérer deux pauvres humains de la BAV...

C'était vrai. Si encore la cellule avait été détruite à la suite d'une grosse enquête, mais d'après ceux qui ne s'étaient pas fait choper, il s'était fait avoir bêtement. Mais il ne s'agissait pas d'insulter son prédécesseur sans prouver ses propres compétences. Il était décidé à lui montrer qu'il méritait ce poste. D'un pied, il s'amusa à dessiner des symboles imaginaires sur le sol du hangar :

- Si j'étais chef, je commencerais par m'occuper des sceptiques, de ceux qui ne veulent pas me respecter. Je m'occuperais de l'un d'entre eux, le coq du groupe. Je serrerais la vis dès le début, surtout avec les servants et la marchandise, j'en prendrais un ou deux et j'en ferais des exemples. Il ne faudrait pas qu'ils aient l'idée de se révolter. Pas qu'ils le puissent vraiment, mais sait-on jamais. Pour le reste, j'agirais discrètement d'abord. La BAV doit être sur le qui-vive depuis cette histoire. Et je prendrais une cachette plus paumée, celle en forêt était un peu trop évidente.


Le murmure d'une révolte qui se répandrait chez ses victimes... Ça lui aurait fait plaisir. S'ils parvenaient réellement à s'élever contre lui, il quitterait le navire. Malheureusement, ils devaient se rendre à l'évidence, sous ses ordres, ça n'arriverait jamais. Il releva des yeux glaçants vers lui. Tiens, les siens étaient vairons. En 1000 ans de vie, c'était peut-être la deuxième fois qu'il en voyait.

- J'ai été dans l'armée. Plusieurs fois. S'il s'agit de trouver la meilleure stratégie, et de mater du bétail, c'est dans mes cordes.

Bétail... le terme était... charmant. Animaux, vampires ou humains, Noah ne faisait pas de différences. Ils étaient tous soumis à son jugement.

Notre homme attendait la réponse du vampire. Il avait les yeux baissés en sa direction. Une pensée lui traversa alors l’esprit, comment ce type était arrivé la ? Enfin, tout homme à ses secrets, il était bien placé pour le savoir. Il le fixait, lui qui regardait le sol, les mains dans les poches. Soit il était intimidé, soit il n’en avait rien à faire. Aucune de ces deux perspectives ne l'enchantait vraiment. Au vu de son air nonchalant, il s'agissait plutôt de la deuxième option. Bah… Peu importe. Mieux valait ça, dans le pire des cas il lui arriverait malheur sans qu’il ne l’ait vu venir.

Décidement pas intimidé. Jeokyeon haussa un sourcil. Il remettait ses décisions en question. Intéressant. L'imbécile en question n’était plus de ce monde mais ce n’était pas à cause de son incompétence. Il avait eu peur. Peur du patron mais aussi peur de la BAV. Il aurait dû faire un choix plus judicieux. Le plus dangereux des deux n’était pas la BAV, et pourtant, c’est ce qu’il chercha à fuir en priorité. Qu’importe, cet homme arrogant avait piqué sa curiosité. Il n’hésitait pas à lui dire les choses en face, et pour ça, il le respectait. Il croisa les bras et continua de l’écouter, toujours adossé au mur de l’entrepôt. Enfin un qui n'attendait pas qu’on lui donne la parole pour l’ouvrir.

D’après ses dires, il n’aurait pas la main morte. Parfait. Il s'agissait pas de devenir sentimental au moment de prendre des décisions importantes. Pas de ça dans ce métier. Il voulait frapper fort, dès le début. Bien. Marquer les esprits c’est important. Mieux vaut être craint qu'aimé. Quelqu’un peut toujours décider de te planter dans le dos avec amour alors que personne fera ça s’il est tétanisé par la peur. La peur… Rien de mieux pour galvaniser les troupes. Quand ils ont plus peur de toi que de l'ennemi c'est la victoire assurée. Il fallait que ça file droit et visiblement il l’avait compris.
Il prenait aussi en compte la BAV. C’est pas plus mal, même si ces idiots pensent sans doute en avoir terminé avec cette histoire. Depuis la mise en place des conseils et surtout de la BAV, les mouvements sont restreints. Autant faire attention.

Il avait dit tout ça en dessinant sur le sol. Il ne l’avait pas regardé une seule fois encore. Il était prêt à passer l’éponge là- dessus parce que ce type avait l’air d’en avoir dans le ventre. Mais cette conversation était importante et il espérait qu’il ne la prenait pas à la légère. Ah finalement. Il le regardait maintenant. Ce regard… Peut-être n’était-il pas aussi détaché que ce qu’il pensait.

Un militaire ? Il n'avait pourtant pas l’air si docile. Enfin bon, tant mieux. Il y a des règles à respecter aussi dans le milieu mais ce qui fait la différence entre un bleu et un pro c’est bien savoir les enfreindre. Mater du bétail. Jeokyeon sourit à ces mots. Formidable. C’est ce qu’ils étaient, du bétail. Lui, il serait leur berger et il pourrait les abandonner aux loups si ça lui chante.

- Du bétail… Oui. C’est ce qu’ils sont tous.

Il se redressa, toujours un sourire inscrit sur le visage. Il le regardait de haut. En même temps, il n’était pas très grand. Ce qu’il avait à l'intérieur avait plus de valeur. Un ego si immense…

- Tu pourrais faire l’affaire. Mais j’aurais besoin de te voir à l’action.

Il ne pouvait pas accepter définitivement si tôt. Ce n’était que des mots, rien que des mots. S’il réussissait à réparer le foutoire qu’avait laissé la BAV et le dernier gars à qui il avait eu la bonne idée de laisser les reines de Mihara, peut-être alors qu’il en valait vraiment la peine.

Il est d'accord avec toi Noah, il pense qu'ils ne sont tous que du bétail. M'ouais, est-ce qu'il se rend compte qu'il est inclus dans ce groupe ? Oh non, grand dieu, non ! Pas le patron, il se pense au-dessus de tout, au-dessus de tous. Acquiescer à ses paroles, faire comme s'ils étaient à part... Noah ne se sentait pas supérieur, lui ne prenait aucun plaisir à voir souffrir, il n'avait pas besoin de toiser les autres de haut. La sentence serait très lourde pour toi patron. Très, très lourde. Tu alignes les fautes, tu cumules. C'est pas bon, pas bon du tout. L'idée qu'ils étaient supérieurs arracha un sourire à son drôle d'interlocuteur, qui l'examinait avec un orgueil non dissimulé. Toujours montrer qu'il domine, n'est-ce pas ? Toujours avec le contrôle, pas vrai ? Il restait sensé et surtout, prudent. Il n'attendait pas moins de la part de quelqu'un à la tête d'un empire.

Les mots de Noah n'avaient aucune consistance, il aurait pu lui conter n'importe quel bobard. Maintenant, il s'agissait d'agir. Ils tombaient d'accord. Ses pupilles ambre restèrent plaquées contre les siennes. Il se demandait si sa couleur de cheveux résultait d'un choix esthétique douteux, ou s'il avait été victime tu fameux syndrome de Marie-Antoinette. Le petit gars avait peut-être dû en voir de vertes et des pas mures. D'expérience, il avait remarqué que les pires teignes, les plus dominant et les plus sanguinaires étaient souvent ceux qu'on avait soumis de force, qu'on avait humilié et qu'on avait déprécié. Il estimait difficilement l'âge de la personne en face de lui, il pouvait autant être proche du sien comme beaucoup plus vieux. Quoi qu'il en soit, il devait avoir un passif particulier pour être devenu ce qu'il était. En découvrir davantage serait intéressant. Un gars à qui on aurait tout mis dans le bec, habitué, dès son plus tendre âge, à n'être contredit par personne, se serait rapidement fait écraser dans ce milieu.

Tous les deux, ils se jaugeaient. Ça ne faisait aucun doute. Noah avait conscience qu'il était dans une position particulière. Ce n'était pas à lui de décider si cette personne méritait ses services, il n'était pas en position pour le juger, ce n'était pas son rôle. Mais sa nature faisait qu'il ne pouvait s'en empêcher et qu'il n'essayait même pas de freiner cette pulsion. Il n'était qu'un miroir, reflétant ce que les autres peinaient à cacher, déterrant leurs secrets. Il ôta les mains de ses poches, soudainement plus sérieux, c'était le moment de faire ses preuves :

- Bien-sûr. Seul le dernier des imbéciles m'engagerait sans s'assurer que mes compétences ne se limitent pas à mes mensonges.

Il était certain que ça ne lui échapperait pas. Il venait ostensiblement d'avouer que c'était un menteur. Il craqua ses doigts et bailla, reprenant son flegme habituel :

- Bref, si tu veux me voir à l'œuvre... je suis tout à toi.

Bien sûr, il n’était pas dupe, il savait que ce type se pensait au-dessus de lui comme des autres. Bon maintenant il restait à voir s’il avait juste une grande gueule ou s’il savait agir. Mais avant il fallait le remettre à sa place. Il le prenait pour un imbécile et ça ne lui plaisait pas. Heureusement pour lui, il n’avait pas encore totalement perdu patience. Ce n’était qu’une question de temps, mais il aurait droit à un avertissement. Et ce n’était pas donné à tout le monde. Jeokyeon avait envie d’en voir davantage et c’est ça qui le sauvera, sa curiosité.

Il lui disait maintenant très ouvertement qu’il ne crachait que des mensonges. Plus il restait en contact avec ce vampire, moins il avait l’impression qu’il tenait à sa vie. Il fronça légèrement les sourcils. Quel idiot, il ne savait même pas si sa force était supèrieure à la sienne. Il y avait peu de chance. Et pourtant il ne cessait de le provoquer. Voulait-il voir à quoi il ressemblait une fois en colère ? Peut-être. Mais il n’aimerait pas ça. Jeokyeon s’imagina un instant lui casser la gueule. Cette pensée dessina un léger sourire sur son visage. Ce que ça ferait du bien… Enfin, pas maintenant, pas déjà. Des types comme ça, ça courrait pas les rues. Et il avait besoin d’un connard pour diriger la cellule, pas d’un lâche.

Bien. Il avait compris. Il ne restait plus qu’à aller là où il y avait de quoi le voir à l'œuvre comme il dit. Il avait tout prévu. Mais il ne pensait pas que ça servirait. Tant mieux, il avait peut-être trouvé ce qu’il cherchait. Il passa sa main dans ses cheveux tout en soupirant. Putain quelle nuit. Il pensait rentrer plus tôt…

- Bien. Alors allons-y.

Il avait dit ça avec beaucoup d’autorité avant de s’avancer vers l’endroit ou la voiture l’avait déposé sans regarder si l’homme le suivait. Il leva la main et on entendit le bruit d’une voiture qui démarrait. Celle-ci arriva rapidement devant Jeokyeon. Son bras droit sortit de la voiture et ouvrit la porte arrière. Il tourna suffisamment la tête pour pouvoir regarder le vampire du coin de l'œil. Ses yeux étaient d’un rouge intense et son regard particulièrement menaçant.

- Une dernière chose. Si tu continues à me prendre pour un con, la dernière chose que tu verras sera mon point dans ta gueule. Maintenant, monte.

Ses yeux reprirent leur teinte habituelle, un vert et un bleu. Il entra dans la voiture en espérant qu’il avait compris le message. Il faut dire que c’était plutôt clair. Une fois l’autre homme aussi à l’intérieur, son second ferma la porte et se remit au volant avant de démarrer.

[...]

Ils arrivèrent dans un coin encore plus reculé. Seul l’homme qui les avait conduit jusqu’ici et son maître en connaissait la localisation. Le conducteur ouvrit la porte au vampire aux yeux ambrés. Jeokyeon attendait maintenant qu’il descende en le regardant froidement.

Le ton de l'homme se fit beaucoup plus ferme. Visiblement, il ne rigolait plus. Noah, Noah ! Tu devrais te méfier, les lions sont prêts à tout pour défendre leurs positions. Pour lui, son patron s'apparentait plus à un petit chiot, mais il reconnaissait qu'il devait rester prudent. Un bête reste un bête, et elle peut mordre à tout moment. Il ne le savait que trop bien. N'avait-il pas trahi sa créatrice ? Si bien sûr, il avait brisé leur confiance. Peu importe la raison, peu importe si c'était pour la bonne cause, il devait reconnaître ce fait : il n'était pas digne de confiance. Les autres ne l'étaient pas toujours non plus. Judas, c'est une corde autour du cou qui t'attend mon ami.

L'autre n'était vraiment plus de bonne humeur avec ses soupirs et son air morne. Il le suivit sans poser de questions. Il ne s'attendait pas à ce qu'il le mette à l'épreuve aussi rapidement. Noah eut une pensée pour ses rats. Fort heureusement, il les avait nourris avant son départ. La nuit allait être longue et il reprendrait le travail demain soir. Bref, son jour de repos n'en était pas vraiment un. S'il obtenait ce poste, il n'en aurait même plus du tout. Qu'est-ce qu'une vie, sinon l'attente de la mort ? Qu'il s'acharne au travail ou qu'il se vautre dans son fauteuil, ce n'était pas bien différent. Il n'oubliait cependant pas sa mission divine. La voiture s'approcha avec un vrombissement sourd, et Noah l'observa prendre place.

Son patron lui adressa un regard noir. Un avertissement. Ses moqueries n'étaient pas passées inaperçues. Tantôt, son sourire inquiétant l'avait fait se demander s'il ignorait sciemment ses remarques et s'il n'allait pas bientôt lui faire la peau. Et il ne s'était pas trompé. Noah savait jouer, mais il savait aussi quand s'arrêter. Il avait tout intérêt à faire profil bas s'il voulait obtenir cette promotion. Avec une expression vide, il baissa les yeux :

- Compris.

Il le suivit docilement jusque dans la voiture, accueilli par la chaleur ambiante et sans avoir la moindre d'idée d'où ils allaient. Ça, ça le mettait dans une situation délicate. Son degré de vulnérabilité venait d'augmenter d'un cran, mais c'était consenti. Le trajet se fit sans un bruit, tandis qu'il scrutait le siège devant lui. En réalité et par de rapides coups d'œil en direction de la fenêtre, il prenait l'itinéraire en note. Histoire de ne pas dépendre d'eux au cas où les choses ne se dérouleraient pas comme prévu. Les arbres défilaient à une vitesse folle, la forêt de Yoshiwara était définitivement immense. Combien de personnes, affamées, effrayés, déboussolées y rampaient ? À quelle famille avaient ils été arrachés ? Quelqu'un se souciaient-ils d'eux ? Est-ce que Noah leur porterait des coups ce soir ? Le silence prit le pas sur son cœur : c'est ta vie Noah, c'est ton choix. Ouais. C'est clair.

Ils arrivèrent à destination, et Noah descendit en remerciant le conducteur d'un hochement de tête. La fraîcheur extérieure évoquant le souvenir de cette fameuse nuit en montage. Noah, tu deviens mélancolique. Non, je l'ai toujours été. C'est toujours comme ça quand on brave la mort. Obéissant, il s'approcha du petit chiot (enfin du mâle alpha oups...) et releva la tête, dans l'expectative, avant de rencontrer le regard mordant de cet homme. Il était temps de s'y mettre.

Il avait l’air de s’être calmé. Tant mieux, ça lui aurait déplu de se débarrasser de lui si rapidement. Il le regarda sortir de la voiture et le suivit à l’extérieur. Il fit ensuite un signe à son bras droit qui retourna dans la voiture et l’emmena plus loin. Il se tourna vers l’homme qui attendait visiblement ses directives. Il fallait d’abord marcher. Ensuite, il s’occuperait d’un de ses gars soupçonné d’en avoir trop dit, puis d’un groupe d’humains un peu trop agités. La routine dans le métier quoi. Il verrait bien ce que ça donne. Il lança un coup d'œil au vampire et lui fit signe de le suivre. Ce n’était pas très loin mais ils allaient devoir faire un peu de route ensemble au milieu de la forêt.

Il commença à marcher en direction du lieu où il souhaitait l’emmener, il ne regardait pas si l’autre le suivait. Après tout, il n'était pas du genre à s’enfuir. Il ne jugeait pas nécessaire de prononcer ne serait-ce qu'un seul mot durant le trajet. Ce n’était que dix minutes de marche et ils n’avaient rien à se dire. Une fois arrivé à proximité d’une maison délabrée, Jeokyeon se tourna vers le vampire. Il le regardait d’un air grave.

- On y est.

Un léger sourire ornait maintenant son visage. Il avait vraiment hâte de voir ce que ce type avait dans le ventre. S’il était bien capable de mater du bétail et de se débarrasser de la mauvaise graine, si mauvaise graine il y avait. Car ça aussi, il devait pouvoir le voir.

- Je t’explique. Je t’ai préparé un petit quelque chose. Un vampire probablement désobéissant.

Il marqua une pause en le regardant droit dans les yeux, comme pour lui faire comprendre que s’il merdait il pourrait être le prochain. Il reprit.

- Et un groupe d’humains qui n’aura pas peur d’un seul homme.

Il rentra dans le bâtiment en ruine. Il tourna la tête vers l’autre homme avant de pointer une pièce encore debout du doigt.

- Ici, le vampire. Je veux que tu trouves s’il cache quelque chose, si oui, tu le butes. Sinon…

Il prit un peu de temps pour réfléchir. Généralement dans ce genre de séances, il n’était jamais clément. Mais peut-être que s’il ne voyait pas son visage, il l’épargnerait. Il était curieux de voir ce qui arriverait.

- J’aviserais selon mon humeur. La marchandise est à la cave, ils font trop de bruit. Je veux que tu les remettes à leur place.

Il s'adossa à un mur qui pouvait encore supporter son poids et pointa les escaliers qui menaient au sous-sol. Il le regardait maintenant les bras croisés, impatient de voir ce qu’il allait faire. Il devait faire un choix. Par quoi allait-il commencer ? Il devrait s’occuper des deux dans tous les cas mais il voulait connaître ses priorités. Il avait un sourire mesquin collé sur le visage. Alors ? Que vas-tu faire maintenant ?

Noah l'écouta avec une expression indéchiffrable. Ils parcoururent la forêt et il prit soin de repérer les irrégularités dans les arbres, les roches, ce qui les entourait, de façon à pouvoir se retourner en cas de problème, mais aussi pour retrouver son futur lieu de travail. Son patron n'était pas un grand bavard, mais loin de le déranger, ce silence lui permettait de réfléchir à ce qu'il l'attendait. Il s'imaginait devoir recadrer une personne ou deux et prouver ses compétences logistiques. Après tout, un chef devait être capable des deux. Il devait inspirer l'admiration, inciter à la soumission et provoquer la peur. Être une brute ne faisait pas tout, il fallait être fin d'esprit, se sentir l'âme d'un homme d'affaires. Le but étant de gagner de l'argent. Ça devait être rapide, méthodique, chirurgical.

Ils arrivèrent devant leur abri de fortune, une maison délabrée. Un refuge idéal pour les personnes en marge de la société. La rumeur d'un trafic devait déjà s’être répandu comme de la poudre et bientôt, ces exilés n'oseraient plus s'aventurer dans les alentours, par crainte de disparaître. L'endroit était néanmoins assez isolé pour ne pas attirer l'attention. De toutes façons, il estimait que son patron de ne s'y serait pas aventuré si le lieu risquait d'être découvert. Rénové, ce bâtiment aurait été tout à fait charmant, il y aurait bien vécu. Il le suivit, les mains derrière le dos. Maintenant, qu'ils s'apprêtaient à jouer le rôle du chef, sa démarche s'était faite plus militaire. Un tic, une habitude, une atmosphère, quelque chose qui lui collait à la peau, même après toutes ces années. L'autre arborait le même air grave qu'à l'entrepôt. Il n'était plus question de le taquiner.

"Probablement" ? Rien n'était sûr donc. Il devait donc déterminer s'il avait réellement quelque chose à cacher. Noah se méfiait. Il n'était pas improbable que le patron ait choisi une personne qu'il savait innocente juste pour le tester. Il devait être prudent. Ça restait tout de même un bon exercice, en phase avec leur réalité. En revanche, le groupe d'humains l'inquiétait moins. Au pire, il pourrait se permettre d'en sacrifier un. Reste que, moins de sang il gâcherait, mieux leur petite entreprise se porterait. Et il n'avait aucune poche ou perfusion pour le recueillir. S'il devait y avoir un sacrifice, il devait bien réfléchir aux conséquences qu'ils essuieraient.

Il avança tranquillement, passant la porte du bâtiment en compagnie de l'homme aux cheveux blancs. Une odeur de renfermé, de peur, de pisse. En bas, il entendait que ça chahutait. Des bruits de pas, des plaintes, des coups dans le mur. S'ils cultivaient l'espoir de s'enfuir, c'est qu'ils ne devaient pas être ici depuis bien longtemps... À moins que leur récent cafouillage n'est laissé une trace indélébile dans leurs esprits... Le patron lui demandait donc expressément de tuer leur petit cachottier. Noah n'avait donc pas intérêt à émettre de jugement trop hâtif. Quoi qu'il ne fût pas certain que son innocence eût changé quoi que ce soit pour ce pauvre misérable. Ainsi, l'humeur du petit chiot serait reine : la décision lui reviendrait. Bien évidemment...

Le choix était déjà fait. Les humains étaient prioritaires. Leur arrivée sur les lieux devait déjà avoir suffi à faire trembler le vampire. Il attendrait sa sentence, priant pour qu'ils les aient oubliés. Ils entendraient leurs cris, la voix de Noah, puis il le saurait... Son tour allait venir. Il plierait entre ses doigts...



Avec un ultime regard pour le patron, il prit lentement le chemin de la cave, chacun de ses pas faisant craquer le parquet. En bas, un silence soudain, ils hésitaient : quelqu'un allait vraiment venir les voir. Noah ne viendrait pas armé. Il n'en avait pas besoin et il ne souhaitait pas les effrayer. Pas déjà... Il évolua dans le noir guidé par l'odeur d'urine et de sang. Il déverrouilla la porte et l'ouvrit doucement. Il découvrit une dizaine d'hommes et de femmes, donc des enfants, recroquevillés pour certains, blessés pour d'autres et au centre un homme, entouré de quelques autres. Leurs muscles étaient tendus, ils étaient prêts à se battre.

Il se vêtit de son plus doux sourire et s'agenouilla, désireux de ne pas se montrer trop imposant :

- Bonsoir. Il y a un souci ?

La question était absurde. Il n'y avait pas un souci, cette situation était cauchemardesque et il le savait très bien. Il n'eut d'abord pas de réponse, chacun retenant son souffle. Devaient ils l'attaquer tout de suite ? Tenter le dialogue ? Après les coups et les menaces, cette approche les avait déstabilisées. Mais ils restaient méfiants.

- Je suis prêt à en discuter avec vous. Prenez votre temps.

Les hommes se consultèrent du regard. "Parlons pour le moment, on va ruser." : c'était sûrement ce que ça voulait dire...Oh misère... Un homme se mit un peu plus en avant que les autres, un gamin collé aux baskets, seize ans tout au plus, son fils peut-être :

- O-on a faim, on a soif, on est blessé ! On aimerait au moins à voir de quoi nous soigner.
Son interlocuteur faisait beaucoup d'efforts pour que sa voix ne tremble pas. Noah hocha la tête, compréhensif.

- Oh je vois. Il fit de grands yeux.Ils ne vous ont pas donné votre repas du jour ?

- À peine un verre d'eau et une miette de pain ! À se partager entre nous ! Vous appelez ça un repas ? S'étrangla l'homme.

- Et pour les soins ? C'est une fois par semaine, non ? Ne sont-ils pas passés jeudi dernier ?

- Ma mère est blessée ! Le jeune s'était avancé, pointant du doigt une femme avec une plaie purulente. Berk, celle-là n'était plus buvable. Son sang devait être encore plus infecte que celui des Blood O. Ca ne valait plus coup de la laisser moisir ici.

- On a beaucoup de monde... si on vous nourrit plus que les autres, ce sont peut-être des bébés ou des enfants qui en pâtiront.

Il vit leurs lèvres trembler et une femme étreignant son enfant pousser un gémissement. Son visage collé contre ce qu'elle avait de plus précieux au monde. Noah jouait sur la corde sensible, il en avait bien conscience. Ils hésitaient. Mais leurs décisions étaient prises, il fallait savoir être égoïste. Le vampire se remit sur ses pieds et il fit mine de partir :

- C'est tout ?! s'indigna l'un des hommes en faisant un pas en avant.

Noah s'immobilisa un instant et les toisa avec stupeur :

- Eh bien oui. Vous aurez votre prochain repas demain et les soins sont jeudis.

- Et vous avez pris la peine de venir pour nous dire ça ? Il se faisait plus menaçant.

Le vampire se gratta les cheveux, comme plongé dans une intense réflexion :

- À mon échelle, je ne peux pas faire grand-chose. Mais j'ai pensé que vous écoutez était important. Je peux essayer de glisser un mot plus haut... Laissez-moi voir les blessures de la petite dame, histoire de vérifier si ça ne peut vraiment pas attendre.

Lui resta très immobile. Quelques secondes passèrent. Ils ne savaient pas trop comment réagir, mais c'était leur ultime chance. Et puis... ça les rapprocherait des escaliers, et donc de la sortie. Oh, il savait... Il savait qu'ils ne laisseraient pas cette occasion leur échapper. La dame, blessée à la jambe, peina à venir jusqu'à lui. Il la laissa faire quelques pas en compagnie de son fils, avant de venir à leur rencontre, soucieux de ne pas trop les laisser s'approcher de l'entrée. Il lui prit le visage et l'examina. Avec ses yeux vitreux et sa plaie qui puait, elle ne valait vraiment...vraiment plus rien.du.tout. Crac. Ça avait fait un bruit sourd lorsqu'il lui tordit le cou. Son corps tomba lourdement au sol, inanimé.

La stupéfaction de ses proches fut bientôt remplacée par une haine sans nom. Évidemment, un fils vient toujours au secours de sa mère...et un père de son fils. Il allait devoir sacrifier le sang de deux personnes supplémentaires. Il espérait que le patron ne lui en tiendrait pas trop rigueur. C'était nécessaire. Les mains de nouveaux dans les poches, un simple coup dans les jambes suffit à déséquilibrer le plus jeune. Sa tête heurta le sol. Noah n'eut plus qu'à poser sa chaussure sur son crâne et appuyer. Ça avait du bon d'être un vampire, il aurait aussi bien pu écrabouiller un abricot. Un amas de sang, d'os et d'un liquide plus visqueux souillait le plancher.

Le père se ramena. Il fit deux pas en arrière pour augmenter la distance entre lui et le groupe. Il serait fâcheux que le reste se jette sur lui. Pour lui, il sortit son couteau, celui qu'il gardait toujours dans ses poches. Un coup précis dans la jugulaire et il tomba à genoux, les mains sur le cou, avec l'espoir vain de contenir le sang qui s'écoulait sur le sol. Des gouttes vinrent se déposer sur son visage. Il ne s'en émut pas.


Le silence retomba sur la cave. Sans leur chef, les autres n'osaient plus agir. Froidement, il scruta l'homme lutter pour sa vie. Puis, ses yeux se voilèrent, il s'abandonna à la mort. C'était la fin. Noah longea la pièce et éleva la voix. Tout le monde devait pouvoir entendre son discours :

- Si j'entends ne serait-ce qu'un seul bruit...un souffle, un éternuement, un objet qui tombe, je descendrais à nouveau. Je prendrais un enfant au hasard et il connaîtra le même sort que celui-ci. Il pointa du doigt la bouillie qui avait jadis servi de tête à l'adolescent.


Il rangea son canif et remonta les escaliers d'un pas lourd. Il verrouilla la porte derrière lui et s'en alla rejoindre le patron pour lui faire son rapport :

- J'en ai tué une qui était blessée, son sang devait être infecté. J'ai élimé celui qui semblait être leur chef et son fils. Je tue toujours les enfants, ils vengent leurs parents sinon. Bref, c'est au tour de la taupe maintenant, non ?

Son ton était égal. Il aurait aussi bien pu parler de tout autre chose. Son dernier repas, ses rats, une exécution : c'était pareil. C'était toujours pareil. Ça ne suscitait chez lui qu'un ennui terrible, infini, un vide qui ne s’en finissait jamais.

Lorsqu’il le vit se diriger vers la cave, un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Intéressant… Il essayait de déchiffrer ce choix. Un vampire est plus susceptible de s’échapper que ces humains mais voyons ce qu’il va faire. Peut-être montrait-il sa confiance envers ce qui avait été fait par son patron ? Ces pensées le faisaient sourire. Bien sûr que non ce n’était pas ça. Il pense probablement qu’il est terrorisé dans sa petite salle. Jeokyeon ne bougeait pas. Il avait fermé les yeux, à l'affût du moindre bruit qui provenait du sous-sol.

Il l’entendit ouvrir la porte. Une approche pacifique ? Pourquoi pas. Ils seront pris au dépourvu quand la foudre s’abattra. Il cherche à savoir ce qu’ils veulent. Pour quoi faire ? Ils n’allaient certainement pas leur donner quoi que ce soit. Il écoutait calmement les plaintes des humains, c’était misérable. Le vampire leur répondait calmement, sans leur apporter aucune solution. Au moins il ne lui avait pas tous sauté dessus.

Oh ? Il fait mine de partir, ça commence à chauffer. Ces bêtes en cage de supportent pas la captivité et ils voulaient lui montrer. Il laissa échapper un léger rire lorsqu’il entendit ses paroles. En référer plus haut. Il savait déjà tout. Un sacré plaisantin. Tiens, c’est silencieux maintenant. Un boiteux avance. C’était sans doute cette femme qui ne valait plus rien. Lorsqu’il entendit le bruit sourd de sa nuque qui se rompait, il comprit très vite ce qu’il venait de se produire. Il reprit un air sérieux. Ce n’était peut-être pas le plus judicieux. S’il l’avait sorti pour faire mine de la soigner, ils auraient été contents et il n’aurait eu personne sur le dos. Enfin, c'était une solution temporaire. Il attendait la suite. Une tête explosée maintenant. Elle avait un gosse non ? C’était sans doute lui. Il n’hésitait pas à tuer, même les gamins. Bien. Une odeur de sang ne tarda pas à caresser ses narines. Celle ci s’intensifia encore. Il y avait un autre mort, c’est sûr. Le père ? Sans doute oui. C’était aussi le meneur de la bande. Il s’était débarrassé des ennuis. S’il avait pu garder le gosse c’eut été mieux… Plus de marchandises c’est plus de bénéfices. Mais bon, au moins il avait tué le problème dans l'œuf. Ils ne risquaient plus de l’ouvrir.

Le bruit d’un corps qui tomba sur le sol se fit entendre puis le silence s’installa. Il leur avait fait bonne impression, ça c’était indéniable. Oh mais quel beau discours. Il sourit en entendant ses mots et rouvrit les yeux. Il allait remonter. Il leur avait inspiré la crainte et même après son départ, il n’y eut plus un mot.

Il fixait maintenant les escaliers, dans l’attente de voir ressurgir le tortionnaire. Il l’écouta décrire ses actions. Ce fut succinct. Il n’avait pas l’air affecté le moins du monde. Parfait. Il haussa un sourcil. Il est impatient. Rien ne lui suffit on dirait.

- Je déplore la perte du gosse mais au moins il ne posera pas de problème.

Il tourna la tête vers la porte de la pièce où était enfermé le vampire. Il l’appelait déjà la taupe. Peut-être. Il espérait qu’il n’en avait pas fait une vérité absolue.

- Je t’en prie, il t’attend.

Il montrait la porte de sa main tout en le regardant avec un sourire inquiétant. Il était impatient de voir comment il allait s’en sortir avec celui-ci. Il avait sans doute peur mais ce vampire est  quand même assez âgé et il sera peut-être prêt à montrer les crocs.

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Au moins, le petit chiot n'avait pas trop l'air affecté par la perte du gamin. Il aurait peut-être fait différemment, mais il restait relativement d'accord avec son choix. C'est que son évaluation se passait bien. Ses yeux vinrent directement se fixer sur la porte. Il ne prit pas la peine d'essuyer le sang qui avait perlé sur ses joues. Ainsi, le vampire saurait qu'il était bel et bien la cause des récents cris humains. Il prit la direction de la pièce, serein. Faire parler un suspect n'était pourtant jamais très facile, il devait le reconnaître. Sous la torture, ils avoueraient n'importe quoi, pourvu que ça s'arrête, or, ce n'était pas le but. Mais des caresses et des mots bienveillants n'étaient pas suffisant pour leur faire avouer leur faute. Et s'il y avait bien une chose que Noah ne supportait pas : c'était la trahison. Ah ! Douce ironie... Pardon, trahir Dieu, c'est trahir la vie, lui faire honte. Et trahir la vie, c'est choisir de mourir. Et ce soir, ça allait peut-être encore saigner...

Il ouvrit la porte, pour y trouver un vampire, attaché à une chaise par de lourdes chaînes, elles-mêmes reliées à des poids. En bref, impossible de bouger. Noah s'approcha, s'agenouilla et releva la tête d'un captif d'un air ennuyé. Ses yeux étaient rouges, il devait être rongé par la faim. Ça risquait de le rendre incohérent et un peu... nerveux. Il ne connaissait pas son âge et ne pouvait pas déterminer sa force. La prudence était donc de rigueur. Cette fois, il ne prendrait pas la peine de jouer au bon samaritain. L'autre n'était pas dupe. Fatigué, affamé, en colère... Que de symptômes qui trahissaient la plus honteuse des émotions : la peur. Bref, au boulot. Il baissa la main et sa tête retomba mollement.


- Salut.

- Je l'ai déjà dit aux autres... je n'ai rien fait...

- C'est possible. Ça sera ta dernière interrogation. C'est moi qui vais décider de ton innocence ou de ta culpabilité.

Le sous-entendu était clair. Trahir l'organisation revenait à signer son arrêt de mort. La finalité de cet entretien restait incertaine et ils le savaient tous les deux. Il haletait, éprouvé par les nombreuses heures qu'il avait passées ici, enchaîné. Noah devait le reconnaître, on lui avait mâché le travail...

- Raconte-moi ce qu'il s'est passé s'il-te-plaît.

Son regard croisa le sien et il lui expliqua la situation d'une voix âpre :

- C'est un malentendu. Un gars a cru que j'avais cafté à la BAV parce que je traînais régulièrement avec des gars du service... J'avais juste une histoire à régler avec eux. Ça n'a rien à voir avec vous.

Le visage appuyé contre son poing, Noah s'interrogeait :

- Une histoire ?

Il baissa les yeux et resta silencieux. Il ne voulait pas s'étaler sur le sujet. Avec une attitude pareille, pas étonnant qu'on ait des doutes sur lui. Noah reprit d'une voix paresseuse :

- Quelle histoire ?

Toujours rien. Il se releva lentement et s'approcha de lui assena trois petites tapes légères sur la joue :

- Quelle histoire ?

Puis le coup parti et avec le plat de la main, il lui assena une gifle. Il entendit ses cervicales craquer sous l'impact. Il reprit ses tapes tout le temps de leur discussion, indifférent.

- Je vais vraiment finir par croire que tu mens. Est-ce que tu as été en contact avec la BAV, oui ou non ?

- Oui. Grogna-t-il

- Est-ce que tu leur as dévoilé nos activités ?

- Non.

Il fit mine de lui donner un autre coup, mais se ravisa, pour finalement lui donner une autre gifle quelques secondes après.

- Je perds patience.

L'autre resta muet. S'il prenait tant de mal à cacher la vérité, c'est soit qu'il était bête et n'avait pas assez d'imagination pour inventer un bobard, soit qu'il y avait effectivement une autre raison, ou soit qu'il avait commis une autre erreur, au sein de l'organisation, qu'il ne souhaitait pas avouer. Lassé, par ses tapes régulières, et la joue rougit par ses gifles, le vampire ouvrit grand la bouche et se projeta en avant dans l'espoir de le mordre. Noah se saisit de son visage à une main. Il avait l'air un peu stupide comme ça... Il se pencha et de l'autre, saisit sa canine à deux doigts :

- Est-ce que tu sais si les canines d'un vampire repoussent après avoir été arrachées....?

Il lui jeta un regard terrifié, gémissant comme un piaf qu'on allait égorger, bavant sur Noah au passage. Pour autant, il ne parlerait pas. Il lui tira dessus. Ce fut laborieux. Long, difficile. Gencive rougie...racine qui sort... le nerf dedans... Il ne s'était jamais fait arracher de dent, mais de ce qu'il avait entendu durant sa jeunesse, ce n'était jamais très agréable. Il hurla, mais il la tenait entre les mains. Il se recula, la considérant quelques instants à la lumière de la lune, puis la fourra dans sa poche avant de se pencher de nouveau sur son suspect.

- Je dois t'arracher toutes les dents ou tu vas parler ?

Pour un vampire, le processus devait être assez humiliant. Enfin, c'est ce qu'il imaginait. Un liquide rouge s'échappait de sa bouche et vint tacher sa chemise :

- C’est bon... je vais parler !

Noah rapprocha son visage du sien, le maintenant toujours. Il était maintenant à quelques millimètres l'un de l'autre et il pouvait sentir son souffle chaud et nauséabond. Il attendait.

- J'ai piqué quelques meufs et je voulais pas le dire. L'une d'entre elle a couru pleurer chez la BAV alors ils m'ont convoqué plusieurs fois ! J’essayais d’expliquer aux gars que c’était une erreur ! Mais finalement ils avaient pas assez de preuve et ils m'ont libéré ! J'ai rien dit du tout !

Il le relâcha finalement et l'homme poussa un soupir de soulagement. Il le croyait sincère et ne pensait pas s'être trompé. Il comprenait à présent mieux son comportement et ce qui l'avait poussé à rester muet. Indirectement, c'est toute l'organisation qu'il avait mise en danger. Factuellement, il n'avait rien dit et fait de véritablement compromettant. Sa réponse... ça ne lui vaudrait pas félicitations... Lui était d'avis qu'il ne fallait pas le tuer. Les hommes chercheraient toujours à piquer une femme ou deux dans le lot, ce n'est pas parce qu'il tuait celui-là qu'ils allaient arrêter. Au contraire, ils se cacheraient davantage, ce qui les mènerait à plus de situations comme celles-ci, et Noah n'avait pas envie de perdre son temps avec ça. Néanmoins, le petit chiot en déciderait peut-être autrement.

Il quitta la pièce et retrouva son patron, non sans se donner se débarbouiller au passage :

- C'est pas une taupe. Par contre, il a pris de la marchandise et une des femmes s'est enfuie et est allée tout raconter à la BAV. Il dit qu'ils l'ont relâché faute de preuves. Personnellement, je pense qu'ils l'ont toujours à l'œil. Qu'est-ce que tu suggères ?

Il regarda l’homme rentrer dans la pièce, le même sourire inquiétant sur les lèvres. Qu’allait-il pouvoir tirer de ce pauvre bougre. Un fois celui-ci entré, il reprit un air sérieux, une nouvelle fois à l’écoute de ce qui se passait à l'intérieur. Le vampire n’était déjà plus en très bon état, mais personne ne l’avait touché, pour l’instant. Il l’écouta lui demander simplement ce qui était arrivé. Le type paniquait déjà. En même temps, qu’est ce qu’il foutait avec la BAV ? Une histoire à régler avec eux ? Dans quel merdier ce type s’était fourré, il aurait mieux fait de rester avec eux. Finir dans une cellule c’est toujours mieux que de finir entre les mains du patron. Écoutons la suite…

Il sourit légèrement lorsqu’il comprit qu’il n’allait rien dire. Quel idiot. Jeokyeon ne comprenait vraiment pas pourquoi ils ne disaient rien, ces gens… Ils finissaient toujours par craquer, il le savait d’expérience. Et pourtant ils attendaient toujours de perdre quelque chose avant de parler. Une claque. Il allait devoir se salir les mains. Ça ne suffirait pas. Il en avait déjà trop dit pour s'arrêter là. Si c’est en lien avec ses affaires il devra mourir. Hmm… Le précieux héritage des vampires, sans quoi ils ne peuvent espérer se nourrir. Intéressant. Serait-il assez stupide pour attendre de se les faire arracher avant de parler ?

Il haussa un sourcil lorsqu’il entendit le hurlement. Visiblement oui, encore un abruti. Et le voilà maintenant qui parle. C’est vraiment lassant. Ne se rendent-ils pas comptent qu’ils ont plus à perdre qu’à gagner en gardant le silence ? Une canine en moins. Peu importe, il n'allait probablement plus jamais en avoir besoin. Voler la marchandise, la laisser courir à la BAV, se faire interroger, se faire ficher… Non il ne fallait pas le garder celui-là. Se servir dans son dos passait encore, ce n’est pas quelque chose sur lequel il était regardant mais avertir la BAV… Même sans l’ouvrir il en avait déjà trop révélé. S’il se fait filé ça allait encore être un désastre, s’il décidait de le virer il se vengerait peut-être, sûrement même. C’est déjà trop.

Lorsqu’il vit l’homme ressortir de la pièce, il haussa un sourcil. Il l’écouta lui faire son rapport, l’air grave. Il n’avait pas été assez clair ? Il détestait se répéter… Il soupira.

- Je pensais avoir été suffisamment claire.

Il décolla son dos du mur et se redressa avant de plonger son regard dans celui du vampire. Son aura était menaçante.

- Mais je suis curieux… Il avait de la chance, il esquissa un sourire. Qu’est ce que tu veux en faire ?

Ses ordres étaient pourtant clairs : “Je veux que tu trouves s’il cache quelque chose, si oui, tu le butes.”. Et ce type cachait bien quelque chose. Malgré ça il souhaitait tout de même voir sa réaction. Après tout, s’il devait avoir les rennes il devait savoir gérer ce genre de situations. Faisait-il preuve de clémence ? Ne voulait-il pas mettre fin à la vie de ce type parce qu’il n’avait pas vraiment cafté ? Avait-il encore trop de compassion pour faire ce boulot ? Il le regardait toujours, les yeux baissés en sa direction, attendant de voir ce qu’il allait bien pouvoir dire ou faire.

Noah se demanda si c'était de discernement ou de neurones dont son patron manquait. Habitué à l'armée et à leur rigueur intellectuelle, il haussa doucement des épaules. Il fallait faire preuve de discernement pour chaque situation. Celle-là ne faisait pas exception. Sa faute était d'un ennui assommant et ils avaient mieux à faire que de s'occuper d'un gars qui n'avait pas contrôlé sa soif et sa queue. Pourtant, il comprenait aussi son raisonnement. Noah avait la trahison en horreur et un membre indigne de confiance avait plus de valeur lorsqu'il était mort, mais cette décision hâtive risquerait de les mettre en porte-à-faux. Petit chiot trouva encore une bonne excuse pour ne pas lui coller son poing dans la figure sur le champ. Le destin était de son côté ce soir, mais il ne souhaitait pas non plus trop en jouer. Cet homme avait autant de patience qu'un enfant de trois ans. Dieu sait qu'il était beaucoup plus vieux... une assurance pareille... Il fut tenté de lui demander s'il n'avait de boss que le nom et s'il pouvait lui donner une raison suffisante pour qu'il soit craint... Cela lui aurait permis d'estimer sa force, son âge et s'il avait oui ou non l'intelligence d'un singe.

Ah... ne soit pas trop dur Noah et surtout méfie-toi, s'il est arrivé si haut, c'est qu'il y a une raison... Aussi, il préféra tourner sept fois sa langue dans sa bouche et lui expliqua son raisonnement d'un ton égal.

- On a un gars qui a laissé une fille s'enfuir. Elle a directement couru tout raconter à la BAV et a donc peut-être évoqué nos activités. Il sait à quoi elle ressemble, nous non et on ne veut pas perdre de temps. Laisse-le nous guider à elle et lui régler son cas.

Le problème, c'est qu'avec l'autre dans la salle d'à côté, il ne pouvait pas trop en dire. La douleur devait l'avoir quelque peu sonné, mais son ouïe restait aussi fine que la leur. Si Noah avait suggéré qu'il prévoyait de le tuer discrètement ensuite, il n'aurait jamais voulu collaborer. Il sortit son téléphone et tapa rapidement quelques mots sur son application bloc note : "Les murs ont des oreilles. On le tue ensuite. La BAV ne fera pas le lien avec le trafic, elle pensera qu'il est revenu se venger et qu'il a disparu. C'est mieux comme ça."

- Je ne pense pas qu'on puisse restreinte la nature d'un vampire, ou empêcher un homme de répondre à ses pulsions. Je serais d'avis de réserver une femme de la marchandise à cet usage, histoire qu'ils ne viennent pas en piquer par-derrière. Ce qui nous causerait des ennuis inutiles.

Il avait suggéré cette idée avec une prudence infinie, prenant mille et une précaution pour ne pas le froisser.