La mission s'annonçait simple, mais Cassandre avait un mauvais pressentiment. Il n'aimait pas les prédictions, les prophéties ou encore les rêves, car ils ne se basaient sur rien de concret et étaient toujours trop nébuleux. Mais il avait appris à écouter son instinct à force d'expérience. Et puis ça semblait presque être un prérequis pour les membres de la BAV. En tant qu'inspecteur, il n’avait ni le droit, ni le temps de douter de toutes façons. Pour couvrir l’entièreté de la forêt, une équipe de quatre avait été constituée. Trois vampires, un humain. Il avait pris soin d’apprendre leur nom par cœur, Cassandre aimait bien savoir à qui il s’adressait. Il ne se l'avouerait jamais, mais en vérité, il était un peu nerveux, cette prémonition le tracassait.

A l'orée de la forêt (un lieu éblouissant), il attendait ses collègues, montre en main, les doigts rougis par le froid. A presque quinze heures, ils avaient plutôt intérêt à ne pas perdre de temps pour boucler tout cela. Le ciel avait beau être d'un bleu pâle, il ne tarderait pas à revêtir son manteau orangé, avant de les plonger tous dans l'obscurité. Très bien, ré-ca-pi-tu-longs :

Une femme avait surpris un vampire mordre quelqu'un et à présent, elle hurlait à qui voulait l'entendre l'existence de ces derniers. Pour la plupart, elle était folle (il fallait dire que sa démarche et ses brailleries laissaient peu de doute…) pour certains, c'était une savante et pour la B.A.V c'était un problème. Dans son délire, elle s'était enfuie dans le parc. Il n'y avait pas grand monde en hiver, ce qui donnait une plus grande marge de manœuvre à son équipe, mais qui les rendait potentiellement vulnérables. Plongé dans ses pensées, les enquêteurs étaient arrivés au compte-goutte et Cassandre ne leur avait adressé qu’un léger hochement de tête. Ils étaient à présent au complet. Ils avaient sûrement déjà eu un brief de la situation, mais par politesse et rigueur professionnelle, il jugea important de se présenter et rappeler les points importants :

"Bonjour. Aujourd'hui c'est moi, Cassandre Roy, qui me chargerait du bon déroulé de cette mission. Nous devons appréhender Nakagawa Makoto. Voici sa photo. Je vous l’ai préalablement communiqué par mail. Il serait préférable qu'elle oublie l'existence des vampires. Elle paraît délirante, mais restons sur nos gardes. Nous pensons avoir localisé le petit campement qu'elle a établi. Je vous ai envoyé les coordonnées en amont sur vos téléphones professionnels. Nous arriverons par l’arrière du campement, de manière à voir sans être vu. Il est possible que certains complices, humains, l'ai rejoint, restez attentifs. La forêt est grande, ne vous perdez pas."

Avec une emphase sur le mot "humain", il passa chaque membre en revu, les détaillants au tour à tour. S'il ne se trompait pas, l'autre Homme du groupe était Dewei Sakurai, un jeune couvert de tatouages qu'il avait déjà entendu au détour d'un couloir. Il avait l'air d'un excentrique, mais il ne doutait pas de ses capacités. Du reste, il attendait de voir de ses propres yeux ce qu'ils avaient dans le ventre.

Repensant à la fâcheuse intuition qu’il avait eue, il ajouta, passant sa main dans les cheveux :
" Si nous devions nous séparer pour une quelconque raison, nous formerions deux groupes. Je m’attends à voir un vampire par groupe, autrement, nous ne pourrons pas travailler correctement. "

Il jeta un coup d'œil à sa montre, 14h59. Il était tard. Il sortit une carte de son manteau et commença à la consulter en fronçant les sourcils. Ils étaient à environ 25 min de marche. Donc 50 minutes en tout (et sans compter le temps réel pour la capturer). Il espérait que tout était clair pour eux.

"Des questions ?" demanda-t-il sans lever les yeux

Ce n'était pas si souvent qu'on avait une opération d'aussi grande envergure. Souvent, c'était plus le train-train, notre petit groupe d'enquêteurs qui faisait son petit travail, à chercher des humains qui avaient appris l'existence des vampires et qui faisaient parler d'eux, ou bien des vampires et des servants qui n'arrivaient pas à se contrôler correctement et qui menaçaient les humains et le secret de leur existence. C'était la grande majorité de notre travail et, parfois, mais rarement, des opérations comme celles-ci.

Je me retrouve donc avec mon trinôme, dans ce parc, habituellement parfaitement mignon et relaxant, avec beaucoup de nos collègues, vampires comme humains, prêts à nous lancer à la recherche d'une femme qui avait eu peu de chance et en conséquence fait de très mauvais choix. Je n'avais rien contre elle, les circonstances avaient joué en sa défaveur, mais malgré tout... Malgré tout je ne pouvais pas cautionné les actions qui en avaient découlé.

Je regarde notre directeur d'enquête. Cassandre Roy. Je l'ai déjà croisé, et il est difficile de le manquer, dans les bureaux. Il a toujours cet air de jugement sur lui qui n'a pas vraiment le don de me mettre à l'aise. J'en ai un peu soupé des gens qui me regardent et qui se disent "c'est un branleur et un bon à rien". Et comme j'ai toujours un peu cette impression quand il me regarde, bah je l'approche pas trop. Mais là, pas le choix, c'est lui qui dirige notre petite opération, donc il faut bien l'écouter et le supporter. Je me rapproche avec les autres membres de mon groupe, hochant la tête quand il répète ce que les groupes doivent faire et ainsi de suite. Ce n'était pas comme si on ne le savait pas, mais bon...

Le briefing s'éternise et quand il demande s'il y a des questions, j'ai un peu envie de demander un truc à la con. Je sens un petit coup de coude dans mon dos, et j'adresse un grand sourire à mes partenaires. Oh, ils me connaissent trop bien, déjà.

"Non, juré, j'allais pas demander un truc à la con. J'ai juste hâte qu'on y aille, un peu d'action, quoi..."

Je ris un peu et resserre à la fois ma veste autour de moi, et mon chignon. Dans une forêt, les cheveux longs, c'est une plaie. Mais bon, peu importe, j'ai hâte qu'on bouge. Je m'ennuie et ça ne présage jamais rien de bon. Je le sais déjà, si je suis séparé de mes collègues, bam, petite flashbang, et je me barre. Courageux, mais pas téméraire, faut pas déconner. J'ai survécu jusque-là, c'est pas pour em faire bouffer maintenant. Quoiqu'on chasse une humaine.

"Je vois pas bien ce qui peut mal se passer, de toute façon."

Je me prends un regard noir qui me fait encore plus rire. Si tout part en cacahuète, y en a bien un qui dira que c'est de ma faute et que j'ai attiré le mauvais oeil sur la mission avec ma remarque. S'ils sont superstitieux, c'est pas mon problème. Ne m'imposez pas vos limites.

Les explications de Cassandre avaient été agrémentées des remarques, humoristiques ou sarcastiques de Dewei Sakurai (Il n'était pas tout à fait sûr de savoir s'il riait avec lui ou s'il se payait sa pomme. Ce dernier cas de figure le laissait de marbre. Une moquerie ça ne fonctionne que si les deux y consentent, non ?) Il retint quand même un soupir à l'entente du "Je ne vois pas bien ce qui peut mal se passer." Cette phrase était peut-être bien la meilleure blague des deux. Pas la dernière espérons. C'était sûr maintenant, quelque chose allait merder et il ne pourrait que rétorquer : "Je l'avais bien dit.". Il enfonça son regard dans les yeux émeraude de l'enquêteur et affirma d'un air très (trop) solennel :

-Parfait. Il y aura de l'action, c'est une promesse. En route.

Carte en main, il se dirigea vers la forêt sans plus se retourner. Les arbres défilaient et le lac semblait s'étendre à l'infini, mais après une bifurcation, la verdure était devenue leur seul compagnon de voyage. Cassandre se surprit à vérifier sa montre à plusieurs reprises. Ils seraient bientôt arrivés. Au fur et à mesure que le but approchait, sa mâchoire se resserrait. Il lui semblait que la forêt faisait mille et un bruit. Ça craquait, ça soufflait, mais il n'y avait personne. Arrivé au point de rendez-vous, il ne vient rien de plus que... des arbres... des rochers et surtout pas de campement. Quelle déception. Il était troublé et regarda autour de lui, ses sourcils froncés trahissant son incompréhension.

- C'est ici...


Est-ce qu'on leur avait transmis les mauvaises coordonnées ? Il avait évidemment vérifié la carte tout du long. Ses mails ? Il parvint à les consulter malgré le peu d'internet. Oui, on lui avait envoyé la position, exact... Mais est-ce qu'elle correspondait à ce qu'il avait inscrit sur la carte ?

- Vous deux, il désigna deux des enquêteurs vampires à ses côtés, si vous pouviez regarder aux alentours voir s'il y a quelque chose de suspect ou... quelque chose tout court. Vous nous retrouverez ici même dans trente minutes maximum.

Oui, la position était la même. Il retint un soupir, la forêt était immense, le réseau et la connexion internet, plus qu'instables. Tâtonner dans tout le parc jusqu'à trouver le campement était de la folie. Ils feraient un rapide tour et à seize heures au plus tard, soit dans une quarantaine de minutes environ, ils rebrousseraient chemin. Il se tourna vers Dewei et l'autre enquêteur restant :

- On va aussi faire un tour rapide, mais en se concentrant de ce côté-ci. On retournera ici en même temps que les autres. Si vous trouvez une trace de son passage faite-le-moi savoir.

Lui qui avait promis de l'action, il avait l'impression d'avoir perdu son temps. Et ça ne lui plaisait pas trop, surtout si c'était dû à une erreur. Il dégaina son téléphone portable et prit les lieux en photo pour son futur rapport. Son rapport vide, où avouerait au chef n'avoir rien trouvé. Est-ce qu'elle avait été plus rapide qu'eux ? À seulement dix minutes de marche de l'endroit initiale, et alors qu'il s'affairait, il aperçut quelque chose s'agiter dans sa vision périphérique. Il la vit, Makoto. Et elle n'avait pas l'air en forme. Ses vêtements étaient sales et sa folie d'antan semblait l'avoir quittée.


- Nakagawa Makoto ? s’enquit-il

Elle semblait ne pas l'entendre. Il s'avança lentement et fit signe à Dewei de le suivre. C'était une femme, mais mieux valait être deux pour la maîtriser. Ses yeux étaient écarquillés et elle observait les alentours avec une mine absolument terrifiée. Il avait l'impression qu'elle était prête à détaler au moindre geste brusque. Elle était apparue de nulle part, comme téléportée. Il ne comprenait pas trop, est-ce qu'elle s'était cachée sur un arbre ? Le dos tourné à ses deux collègues, il ne voulait pas détacher son regard de la femme. Cassandre posa finalement la main sur son épaule, la secouant légèrement. Elle sembla enfin le remarquer :

- Désolée. souffla-t-elle

Oh, oh.

Il n'eut pas le temps de reculer, de se dire qu'il avait été stupide et imprudent, ou de comprendre que c'était le moment d'annoncer fièrement "Je l'avais bien dit". Il sentit juste son souffle être coupé, puis une vive douleur en haut de l'abdomen, avant de perdre connaissance.

Heh, apparemment, le chef m'a entendu. Je lui adresse juste un grand sourire. Sérieusement, je fais partie des éléments un peu ingérables, mais gentiment. Enfin, je crois. J'espère. La BAV est vachement moins stricte que la police, et ça me convient parfaitement. Je le fixe quand il répond à ma remarque, portant ma main à mon coeur pour lui montrer que je prends sa promesse au sérieux. Une recherche sans action, c'est tellement la mort, franchement.

Je suis, tenant facilement le rythme, parce que je fais du cardio en plus du reste, même si le grand dadais fait un pas quand j'en fais trois. Meh, on est né comme on est né, et je compense suffisamment bien, selon moi. Dans tous les domaines. Je peux pas m'empêcher d'étouffer un petit rire, et un de mes compagnons me recolle un coup de coude dans les côtes. Ils me connaissent un peu trop, et je ne sais pas plus rester silencieux que tranquille. Toute cette avance subtile, c'est compliqué, pour moi. Et quand on arrive sur le site, entière vide, je fixe l'inspecteur, blessé.

"Mais on avait dit de l'actioooooon..."

Il reste sérieux, et je trouve ça drôle. Il envoie les équipes en recherche, et je le suis, avec un vampire, pour couvrir notre propre terrain. Être consciencieux et lent, et méticuleux, c'est pas mon truc non plus, mais je garde un oeil sur mes partenaires, parce qu'on ne sait jamais. Du coup, j'entends l'inspecteur Roy prononcer le nom de notre disparue, et je le vois me faire un signe. Je contourne silencieusement ou presque, mais elle a l'air perchée, donc elle ne m'entendra probablement pas. Et là, je le vois lui poser la main sur l'épaule. Je commence à jurer dans ma tête, parce que c'est pas la façon dont on appréhende un suspect, bon sang de bonsoir ! Et comme par hasard, son comportement se transforme d'un coup, et elle l'étale d'un coup bien placé dans le plexus.

Je fronce le nez; Avec un peu de chance, elle lui a rien cassé. Mais pour faire cet impact, elle n'a plus une force humaine. Et comme nos dernières infos nous disent qu'elle était humaine y a à peine quelques semaines, on a un très très jeune Servant sur les bras. Qui va certainement bouffer l'inspecteur. J'appelle le vampire à la rescousse, mais pour une raison qui m'échappe, il ne m'entend pas. Dans le même temps, je l'éloigne de Cassandre d'un coup de pied dans le genou qui la déstabilise, suivi d'un coup de pied retourné qui lui jette la tête en arrière dans un grand craquement. Oups? Pas de temps à perdre, je dégaine un pieu (rustique, mais efficace) pour l'immobiliser. Enfin c'était le plan, mais malgré son boitement, elle se fait la malle, en laissant une belle trace après elle. Impossible de la suivre et de laisser un camarade seul en forêt.

Je prends le temps de vérifier que l'inspecteur est vivant. Son pouls bat, elle l'a juste séché. je le redresse contre un arbre pour qu'il avale pas sa langue, et j'essaie de chopper du réseau pour prévenir le reste de l'équipe. Parce que si c'est un Servant, qu'elle n'a pas été vue en-dehors du parc, et que c'était une humaine en rentrant, on a un vampire en vadrouille sur le site.

Je sais que je vais me faire engueuler, mais je peux pas m'empêcher de sourire en anticipant l'action. J'ai pas de réseau, et la survie commence maintenant. On doit être les proies les plus juteuses, isolés comme on est. Je vérifie mon chargeur, plein, parfait. Qu'ils viennent.

"Bah voilà, ça c'est ce que j'appelle de l'action."

Un petit rire m'échappe. J'adore mon taff, des fois.

Cassandre prit une grande bouffée d'air. Il était glacial et ça lui brûlait les poumons. Son dos frottait contre quelque chose de dur. Un arbre. Il scanna les lieux. Une forêt. Juste à côté, un homme de petite taille, les cheveux attachés en un chignon. Il fixe son portable. Ah oui, ça lui revenait. Ils étaient à la recherche d'une suspecte, ils s'étaient séparés et quand ils l'avaient finalement trouvé elle lui avait assené un sacré coup dans le ventre. Beaucoup trop fort pour une civile humaine, ce qui signifiait...

- Que s'est-il passé ? Où est passé l'autre enquêteur ?


Ça lui revenait. Impatience, déception, étonnement, surprise. Dewei était sur son portable, est-ce qu'il avait essayé de contacter les autres ? L'autre enquêteur s'était enfui ? Est-ce qu'il avait trouvé une piste ? Non, il lui aurait dit. La douleur était vive, mais on lui en avait fait baver plus que ça à l'école de police. Il consulta lui-même rapidement son téléphone. Pas d'internet, pas de réseau, ça n'aurait pas été drôle sinon. Le soleil déclinait petit à petit. D'accord. Une servante instable, peut-être un vampire caché et plus de collègues. Il fallait qu'il retrouve son équipe, de préférence avant de se faire croquer. Revenir sur leurs pas ? Il y avait du réseau de l'autre côté, et potentiellement les deux autres enquêteurs. Problème : visiblement, Makoto connaissait ce coin de la forêt beaucoup mieux qu'eux. Mais elle ne l'aurait pas deux fois et, au grand dam de Cassandre, Dewei était manifestement plus à l'affût que lui.

Allez, il devait bouger. Rester sans rien faire revenait à appeler la mort en chantant.

- Nous ne sommes pas loin du point de rendez-vous. On doit retrouver les autres avant de faire quoi que ce soit. On va contourner le chemin initial et prendre nos distances par rapport au lac de manière à être le moins visible possible. On avisera ensuite.


Une fois qu'ils les auraient retrouvés, le mieux serait de créer une embuscade à leur tour pour attirer les deux fauteurs de troubles et s'en occuper...

Toujours pas de réseau sur le téléphone, la fonction radio n'est pas activée non plus. Le bon temps du talkie-walkie était peut-être ridicule, mais au moins, ça marchait partout. Bon, peut-être pas un talkie, mais au moins des radios. Quoique, maintenant qu'on joue avec des vampires, et pas des humains, ça fait un peu trop de bruit. Enfin des... au moins un. Une. N'importe. Franchement, une fois que les gens ont basculé, je me fiche bien de ce qu'ils sont. Avant aussi, en vrai, parce que j'ai vu des sacrées dures à cuire dans les gangs.

Cependant, la carte fonctionne, puisque je l'avais téléchargée avant d'arriver, et la boussole marche tout le temps, donc au moins, on est pas entièrement paumés. C'est une bonne nouvelle. La seule, tant que le boss est pas réveillé, parce qu'on est des canards au milieu du lac. Enfin, si on était au milieu, on serait mieux, en fait. Là, on est juste dans les ennuis jusqu'au cou. Et d'ailleurs, j'ai à peine fini de penser ça que je l'entends déjà se plaindre. Sa réputation n'est pas volée, on dirait.

Je me retourne avec un sourire. Comment ça, il ne se souvient plus? Allez, apprenons la diplomatie avec Dewei.

"Eh, ça y est, vous êtes réveillé, boss? C'était pas l'heure de la sieste, hein. Il s'est passé que notre suspecte n'est définitivement plus humaine, et qu'elle a mal pris le fait que vous la touchiez, ce qui va à l'encontre d'une bonne partie de nos protocoles, d'ailleurs."

Et c'est un échec. Recalé. De toute façon, j'ai jamais aimé l'école. Métaphore à la con. Bon, je suis une quiche en diplomatie, mais j'ai souri en le disant, ça compense, non?

"Notre collègue a vu ce qu'il s'est passé et est allé chercher les autres. Parce que si les choses sont ce que je crois, on a au moins un Servant et son créateur sur les bras, en plein centre-ville, non déclarés. On aurait probablement eu plus de disparitions si le parc était plus fréquenté."

Et malheureusement, il y a toujours une partie de la population qui n'est jamais recherchée. Les sans domicile fixe, les gens différents, les gens d'ordinaire confinés chez eux, les personnes âgées sans famille. C'est horriblement triste, mais c'est notre société. J'essaie de me racheter un petit peu pour le reste.

"Besoin d'aide pour vous relever? Elle vous a bien séché. Et je vous suis. Si besoin, j'ai une carte et une boussole."

Je lui montre rapidement mon téléphone, mais il est probablement prêt. Avec un grand P, même, j'imagine. Je m'étire et attends les directives. Après tout, c'est pas moi le boss, dans cette situation, ce qui me va bien. Quant à dire que je suis un bon petit soldat? Faut pas pousser le bouchon...

Cassandre bondit comme un ressort. Il avait écouté le petit discours de Dewei avec la plus grande attention. C'était donc bien ce qu'il pensait. Ça ne présageait vraiment rien de bon. Il s'épousseta les manches d'un air concentré. Très bien, boussole et carte. Il ne releva évidemment pas le ton passif-agressif de l'enquêteur. Il avait d'autres chats à fouetter. Il ne saisissait pas bien la raison de son agacement. Il voulait de l'action et de l'action, il y avait. En revanche, une enquête sans débordement n'aurait pas dérangé l'inspecteur.

"Il est allé chercher les autres", il se demandait bien ce qui était difficile à comprendre dans "On se retrouve au point de rendez-vous à seize heures." Peu importe, le mal était fait et il n'était pas tout à fait exempt de fautes. Sur ce point, il le rejoignait : que le parc soit peu fréquenté était une réelle chance. Enfin bon, ils iraient au point de rendez-vous voir s'ils y étaient et dans le cas contraire, il retournerait à l'orée de la forêt et dépêcherait d'autres enquêteurs, histoire de retrouver les trois absents. S'ils avaient rebroussé chemin, il auraient eux-mêmes forcément averti le QG. Il sortit sa carte et le remercia sans lui adresser un regard avant d'ajouter :

- On fait comme je viens de vous le dire. Vous vous occupez de la boussole, on va vers le Nord-Ouest.

Et il tourna les talons en consultant sa carte. Ils allaient contourner le sentier initial. Il pressa le pas sans vérifier que Dewei le suivait bien. Il lui était vraiment reconnaissant. Sans lui... Eh bien Cassandre serait déjà mort. Son erreur aurait potentiellement pu le mettre en danger lui aussi. C'était peut-être un étranger et un excentrique, mais il lui devait beaucoup. Il releva les yeux. À leur gauche, le terrain devenait penché et il jeta un coup d'œil sur le côté. En contre-bas, une grotte. Il ne savait même pas qu'il y en avait dans le parc. Il leva un sourcil et s'arrêta net. Il distinguait une silhouette au loin, à quelques mètres de l'entrée. Et ça ne lui plaisait pas du tout. C'était un de leur gars. Il se tourna vers Dewei, circonspect :

- Ce n'est pas lui qui était censé "chercher les autres" ?

Bon, je crois que si j'avais dansé pendant mon discours, il y aurait prêté à peu près autant d'attention. Il n'a visiblement aucun sens de l'humour, ni aucune capacité d'introspection. Aucun "désolé, vous avez raison, j'ai merdé et je vous ai tous mis en danger en ne respectant pas le protocole" ou quoi que ce soit. Il se serait passé quoi si, au lieu de le frapper, elle lui avait arraché la gorge, hm? Bah pas grand-chose, il serait mort ,et nous on aurait des sacrés rapports à écrire. Et je déteste la paperasse.

Non, au lieu de ça, il tire une tronche comme si c'était moi qui avait fait une boulette, et il n'acceptait aucune responsabilité. Finalement, je ne voulais pas entièrement croire les rumeurs parce que j'en ai beaucoup souffert, mais en plus d'être froid, et je peux comprendre la distance professionnelle, il n'est qu'un autre richouille qui nous considère comme en-dessous de lui. Je suis persuadé qu'il nous juge tous, en permanence, dans sa tête. Mais bon, sentiments personnels mis de côté, on a un travail à faire.

Je le laisse se concentrer sur la carte après lui avoir pointé le nord-ouest, et je surveille nos arrières, parce que franchement, il faut bien qu'un de nous deux le fasse. J'ai sorti mon arme. Il y a un autre truc qui me titille. La forêt est couverte, oui, mais pas à ce point. Et un Servant a une aversion naturelle pour le soleil. Qu'elle ait été dehors sans en avoir l'air plus perturbée que ça, même si elle n'avait pas spécialement l'air en forme, bien entendu, me travaille.

"Est-ce qu'elle vous avait l'air affectée par le fait d'être dehors en journée?"

J'admets, il n'y avait pas un grand soleil, mais ce n'était pas non plus couvert, et même en hiver, il y avait des UV malgré tout. Et si cette jeune femme transformée avait reçu du sérum, on avait un beaucoup plus gros souci sur les bras. Parce que ça parlait d'organisation et d'anticipation. Un vampire habitué au sérum n'allait pas se défaire de sa dose pour en donner à un servant qu'il traitait plutôt mal.

Le terrain commence à changer et je fronce les sourcils, regardant rapidement ma carte. Non, il ne devrait pas y avoir de dénivelé à cet endroit. Au moins pas aussi profond, et certainement pas avec une grotte. J'approche pour voir de qui il s'agit, parce qu'il me bouche un peu la vue, le boss. Je regarde encore, et sors une paire de jumelles. Je ne suis pas un vampire, j'ai appris à m'adapter à leurs sens surdéveloppés. C'est sûr que ça ressemble, mais...

"C'est sûr que ça ressemble, mais ce n'est pas lui. Pas les bonnes chaussures. Mais quelqu'un qui a une physionomie similaire et qui a visiblement récupéré ses vêtements. Ce qui veut dire qu'on a potentiellement un agent en moins, vampire entraîné, qui plus est, et toujours au moins un vampire et un Servant dans la nature."

Autrement dit, on est dans les ennuis jusqu'au cou. Fort heureusement, je ne suis que les muscles dans cette opération. Laissons le boss se débrouiller à deviser une stratégie. Soit on y va, soit on se casse, mais en laissant des ennemis derrière nous. Tout est possible, après tout.

Cassandre réfléchit à toute vitesse. Non, elle avait l'air on ne peut plus à l'aise, si on mettait de côté son regard effrayé, puis le coup dans le ventre qu'elle lui avait assené. La liste de ses ennuis venait de se rallonger. Dewei avait eu une réflexion très intéressante. Seul problème, ils auraient dû y penser avant. Maintenant, qu'il fasse nuit ou jour, ça ne changeait plus grand-chose. Quoi qu'elle aurait pu être la seule à posséder un sérum. Ils étaient, certes distribués à grande échelle, il demeurait tout de même un liquide très précieux. Il voyait mal un vampire transformer un servant et lui laisser une réserve de sérum avant de déguerpir. Ou bien, il était effectivement dans les parages, ou bien, il se tramait quelque chose de beaucoup plus élaboré.

- Non, vous avez raison. Son créateur lui a peut-être donné du sérum. Ce qui valide votre théorie : son créateur est toujours dans les parages. Ils sont installés ici, ils sont organisés. Ils savaient que nous viendrions.

Pour la première fois depuis le début, il baissa les yeux pour le regarder bien en face. Cassandre était plutôt soulagé d'être quelqu'un d'aussi perspicace.

- Quelle est votre opinion sur le sujet ?

S'il avait hypothèse, il voulait l'entendre. À deux cerveaux, il résoudrait cette enquête nettement plus vite. Dewei n'attendait pas qu'on lui dise quoi faire, il prenait des initiatives. Il avait automatiquement sorti ses jumelles pour observer l'individu. Ok. Pas la même personne. Un agent tout nu, ou blessé, peut-être même les deux, en pleine forêt. Il se retint de commenter l'incapacité du reste de son équipe et tendit les mains pour récupérer les jumelles de son collègue et observer tout cela par lui-même. Deux vampires, il y avait deux vampires. Mais pourquoi voler les habits de la brigade ? Il commençait à comprendre.

- Il pensait sûrement venir à notre rencontre et se faire passer pour des renforts. Je crois bien qu'on va rester ici un long moment.

Son instinct lui chuchotait que cette grotte regorgeait d'imprévus. Il fallait absolument qu'il retourne à leur point de rendez-vous. Chaque minute était précieuse et elles filaient entre ses doigts sans qu'il ne puisse les arrêter. Il voit une autre personne surgir de derrière un arbre. L'imposteur se tourne vers elle et la traîne. L'autre semble humain et en détresse. Après sa piètre démonstration de tout à l'heure, Cassandre hésitait à braver le danger. Encore une erreur et le karma le rattraperait. Dewei n'allait pas le sauver une seconde fois. Et pourtant, ils ne pouvaient pas rester sans rien faire. Il redonna ses jumelles à son collègue.

- Regardez. Il l'emmène dans la grotte. On va attendre qu'il soit à l'intérieur puis descendre.

Il n'était pas question d'aller dans la grotte. Il tenait encore à la vie. Quoi que l'impatience le rongeait. À ce rythme-là, ils ne feraient rien du tout. Ils avaient un avantage considérable. Trois, sûrement plus. Anticipent ce qu'ils vont faire. Même s'il appelait des renforts, il ne pouvait maintenant plus être certain qu'il ne s'agissait pas de vampire déguisé. Une fois que la bouche béante que dessinait la grotte les eurent avalés, Cassandre se laissa glisser sur le dénivelé. Plus proche de la scène, il se cacha derrière un arbre. Avec un rapide coup d'œil en arrière, il chuchote à l'intention de Dewei :

- Alors, prêt à mourir ?

Son expression était très sérieuse. Il n'avait pas réussi à transmettre l'idée de blague :
- Je plaisante. Mais on va aller dans la grotte.

Dans d'autres circonstances, j'aurais dansé une gigue quand il reconnaît finalement que j'ai raison. Enfin, au moins pour le sérum. Ce qui veut dire que notre situation est bien pire que ce que j'avais espéré. Et le fait qu'un d'entre eux, le maître, probablement, ait réussi à prendre le dessus sur un de nos agents, à le détenir ou à le tuer, est catastrophique. Que nous, deux humains perdus dans une marée de vampires, soyons isolés, et pour l'instant les seuls à être au vent de la situation, car celui qui devait informer les autres était hors service. Et aussi parce qu'on ne captait pas. Et qu'on n'avait pas de radio. Et qu'on ne...

J'ai à peine remarqué qu'il m'avait demandé mon avis, parce que je suis en pleine réflexion, mes doigts accomplissant un rapide staccato sur ma cuisse.

"Vous vous êtes déjà promené ici, boss? En-dehors d'aujourd'hui pour attraper quelqu'un, mais pour un jogging ou quelque chose? Parce que je n'ai pas souvenir qu'un seul endroit dans ce parc soit en zone blanche. Je peux me tromper, attention, mais il y a une infime possibilité qu'il y ait un brouilleur quelque part, dans les arbres, ou même dans la grotte, et qu'on puisse, éventuellement, potentiellement, peut-être, avoir un lien avec le reste de l'équipe si on le désactive."

Et ça parle aussi de quelque chose de totalement prémédité. Absolument. Installer des brouilleurs, récupérer quelqu'un, tuer possiblement un agent de la BAV pour s'infiltrer, avoir une réserve de serum pour un nouveau servant...

"C'est un truc organisé..."

A ce moment, mon murmure est noyé par les événements. Quelqu'un, potentiellement humain, se fait traîner vers la grotte. S'il est le maître, pourquoi est-ce qu'il ne lui suggère pas de se calmer? Ou alors il n'a pas réussi? Je hoche la tête quand il propose de descendre. Je ne vois pas vraiment comment d'autre s'en sortir. Et je ne peux pas m'empêcher un sourire à sa "blague". Je suis enquêteur parce que j'adore ce que je fais. Le bon, le mauvais, et le dangereux. Je ne serai jamais inspecteur, je n'aime pas les papiers. Ce qu'on fait, là, c'est ma vie. Et certainement ma mort.

"Je vous suis, boss. Après tout, le temps est idéal pour une belle mort."

Et je voulais de l'action. Je ne peux pas dire que je ne suis pas servi. Je sors mon arme, parce qu'on ne peut pas vraiment dire qu'on vient en paix, et j'ai une petite pensée pour les ancêtres, en espérant qu'on ne soit pas tombé sur bien bien pire que ce pour quoi on est préparé. Ouais, probablement que si. Mais je préfère rester derrière le boss, je sais que je suis plutôt susceptible à la suggestion, parce qu'on fait des tests, quand même, mais je sais que je vise bien. Pendant un instant, je me demande si j'ai mes lunettes de vision nocturne, et je me souviens que non, je ne les ai pas prises, j'ai juste une maglite. On verra.

Aussi silencieusement que possible, j'avance avec le boss dans la grotte, le bruit de l'humain se débattant couvrant nos pas, même pour les oreilles sensibles d'un vampire. J'essaie de trouver un boîtier, accroché quelque part, qui pourrait être le brouilleur. Ou je me fais des films et il n'y a jamais eu de couverture téléphonique ici. On improvisera. La BAV est douée pour ça.

Cassandre fronça les sourcils. Il avait attribué le manque de réseau à de la malchance ou au mauvais temps. Dans une forêt aussi grande, ce n'était pas anormal qu'il y a des endroits où les téléphones captent mal. Reste que, cette poisse chronique qu'ils se traînaient depuis le début de la mission, ça commençait à faire beaucoup. Plus de réseaux le jour où ils en avaient le plus besoin, c'était une coïncidence. Plus de collègues et un faux membre de la BAV qui rôdait, ça ne pouvait qu'être orchestré. En bref, théorie ou réalité, mieux valait vérifier. Car s'ils ne le faisaient pas... Ils joueraient exactement le jeu de l'ennemie, chaque pas les rapprochant de la mort. Dewei n'avait pas eu l'air trop secoué par sa touche d'humour. Très bien, il en avait dans le ventre. Il n'avait pas le choix à vrai dire. Il l'aurait foutu dans cette grotte à coup de pied au cul si ça avait été nécessaire. S'engager dans la BAV, c'était la promesse d'une valse effrénée avec la mort, mieux valait aimé la côtoyer.

Cassandre attrapa son arme et s'engouffra dans la grotte, suivit de son collègue, caché derrière son dos. Finalement, la perspective d'une "belle mort" ne semblait plus l'enchanter. Mieux valait un enquêteur prudent que suicidaire. Il faisait sombre et à priori, il n'y avait aucune trace d'humain ou de faux enquêteur. Ça ne le rassurait pas. Pas du tout même. Ce silence ne voulait dire qu'une chose : on les attendait. Il resserra l'étreinte autour de son pistolet et s'appliqua à ne faire aucun bruit.

L'inspecteur progressait lentement, laissant à ses yeux le temps de s'habituer à l'obscurité. Peu à peu, la grotte se dévoila à lui : ses murs, son plafond, mais pas le fond, dont la noirceur ne laissait rien transparaître. Du haut de ses deux mètres, il concentra sa recherche sur les parois hautes. Impossible de le repérer. Il continua, faisant glisser ses mains le long de la roche. À mesure qu'ils s'enfonçaient, la lumière diminuait. Il se demanda où l'ennemie les attendaient. A une quinzaine de mètres de l'entrée, il sentit un renfoncement dans le mur et y hasarda une main pour y trouver le fameux brouilleur. Maintenant, il n'avait plus qu'à l'éteindre.


Clic.


C'était presque trop facile.

Il s'apprêtait à indiquer sa trouvaille à son collègue, quand il distingua une forme se jeter sur lui. D'instinct, il lui assena un coup dans les jambes qui la fit tomber au sol. Elle releva la tête et il y découvrit deux pupilles vermeilles. On venait de lâcher un servant affamé sur eux. Encore une fois. Il reconnut l'humain qu'on avait traîné jusqu'à la grotte. Bien sûr, il avait fallu que ce soit un piège. Il n'hésiterait pas à le dévorer, mais Cassandre se tenait prêt. Le servant s'élança sur lui et il lui tira deux balles, une dans chaque jambe, de manière à ce qu'elle ne puisse plus s'en prendre à eux. Il s'effondra en faisant un bruit de tous les diables. D'accord, ça n'allait pas du tout. Ils allaient tous rappliquer. Il laissa tomber le brouilleur au sol avant de le piétiner. Une précaution nécessaire. Ils s retrouveraient bien embêtés si un vampire décidait de le rallumer. L'inspecteur pu enfin prendre le temps de jeter un œil à son coéquipier, qu'il espérait vivant. Néanmoins, les événements s'enchaînaient à une vitesse folle. Deux silhouettes faisaient maintenant barrage à la sortie. Deux autres, dont le faux membre de la BAV, surgit de derrière pour les encercler.

Cassandre soupira. Il allait avoir besoin de plus qu'une aspirine pour oublier cette journée.

L'avancée n'est pas rapide, mais il vaut mieux prendre ses précautions quand on sait pertinemment qu'on avance dans un guet-apens. Parce que c'est ce que c'est, quand il y a autant de préméditation. Je jette régulièrement un oeil derrière nous, et sue les murs. J'ai déjà programmé un programme urgent qui essaie de se renvoyer toutes les minutes, à destination du reste de l'équipe. Avec un peu de chance... Ouais, autant ne pas compter sur ça, mais plutôt sur nous-même. Je vois le boss trouver le boîtier, à sa hauteur, évidemment. Je hausse un sourcil, m'apprêtant à faire une petite remarque, quand je me rends compte que le bruit de l'altercation devant nous s'est tu.

Et dans le silence soudain, dans un mouvement digne du meilleur jeu d'horreur, une forme saute sur le boss. Il a l'air de s'être enfin réveillé, puisqu'il se défend, cette fois, immobilisant en quelques coups précis le servant. Ouais. Celui qui a été traîné dans la grotte. Définitivement une embuscade. Et qui dit embuscade, dit attaque par l'arrière. Je me repositionne, faisant confiance à l'inspecteur Roy pour s'occuper de ce qui arrivait devant, et je n'hésite même pas avant de commencer à tirer.

Ce serait injuste de dire que c'est suffisamment pour m'épargner un peu de corps à corps, mais ce serait aussi inexact de dire que je ne souris pas comme un maniaque tout du long. Aussi vampires qu'ils soient, ils ont des genoux aussi fragiles que ceux de n'importe qui, que ce soit contre un coup de pied, ou contre une balle. Je sors un pieu que j'empoigne fermement dans ma main gauche pour les attaquer sans aucune pitié. L'intensité du combat fait que je ne remarque pas la vibration de mon téléphone, qui me signale que mon message est finalement parti. Je ne vis que pour les coups que j'esquive et que je prends, le sang qui bat presque trop fort dans mes veines, et parfois un peu à l'extérieur. Je me fait mordre, mais la répulsion de mon sang impossible à digérer l'immobilise assez longtemps pour lui tirer dans les genoux et l'estomac.

Tout se passe bien, sauf que du renfort arrive, appelé je ne sais comment, et je suis vite submergé. Je n'ai même pas le temps de voir si tout se passe bien pour le boss, mais je suis forcé de reculer de son côté. Je me fais mordre encore plusieurs fois, et je me défends comme un beau diable, jusqu'à voir un visage que je connais bien. Je prie les ancêtres que ce soit vraiment lui, et pas un double vendu à la cause de ce maître dont on ne sait encore rien. Ils prennent rapidement le dessus sur mes agresseurs, et je boîte jusqu'au boss pour lui porter assistance, plaçant quelques tirs judicieux pour lui offrir un peu d'espace.

Je sors ma lampe, en balance un coup dans les yeux d'un servant qui se dirige vers moi, et j'aperçois notre collègue, bâillonné et un peu sanguinolent, attaché dans un coin. Il est bien réveillé et visiblement agacé par la situation. Prudemment, je me dirige vers lui et le détache, lui filant un pieu. Malgré son état, il se jette dans la mêlée sans hésitation, son agacement boostant visiblement son pouvoir de suggestion, car les servants se rendent les uns après les autres, une fois que nos renforts se joignent à la danse. Je reste sur mes gardes, cependant, car leur créateur est encore là, quelque part. Je n'entends que mon coeur dans mes oreilles dans le silence brutal et oppressant de la grotte sombre. Sombre? J'avais pas allumé ma lampe? Hm... Je crois que j'ai perdu pas mal de sang.

Appuyé contre le mur, aussi attentif que je peux, mon arme tenue fermement dans mes deux mains, je décide de les laisser gérer... pour l'instant. Je plaisanterai plus tard. Ouais... plus tard. Un sourire m'échappe quand même. Ca c'est la vie.

Les ennuis ne s'arrêtèrent pas là. L'inspecteur eut à peine le temps de se rendre compte de la présence des six autres servants, avant qu'ils ne se jettent sur eux. Bien, il s'occuperait de ceux de devant et il laisserait à son collègue le loisir de s'attaquer aux autres. Le corps-à-corps n'était pas son fort, aussi Cassandre leur tira quelques coûts dans les articulations, de manière à les ralentir un maximum avant qu'ils ne s'approchent trop. D'ordinaire, il pestait sur sa taille. Lui et ses deux mètres lui avaient valu bien des inconvénients. Là, il fallait avouer qu'il en était plutôt content. Tout servant qu'ils étaient, ils restaient plus petits et peinaient à atteindre son visage. Il était temps de sortir le pieu. Il continua dans sa lancée et se focalisa sur des points stratégiques : épaules, ventre, genoux, poignets, peut-être même un œil ou deux. Ils n'en démordaient pas et bientôt, il se demanda depuis quand les vampires savaient se démultiplier. La BAV n'était pas la seule à avoir besoin de renforts.

Sa taille ne suffit cependant pas à lui épargner quelques morsures sur le bras droit. Si c'était son sang qu'ils voulaient, qu'ils le boivent. L'inspecteur profitait de leurs grimaces pour leur porter quelques coups. Bon, il ne faudrait tout de même que leurs renforts arrivent. Il n'avait aucune intention de mourir ici. Avec un regard en coin, il comprit que Dewei (qui était donc encore bien vivant) avait réussi à libérer l'enquêteur disparu. À vrai dire, ainsi peu vêtu, il n'était pas difficile à remarquer. Note pour plus tard : penser à remercier chaleureusement Monsieur Sakurai, il méritait. Au milieu de chaos, Cassandre se sentit soulagé. Il était toujours en état de se battre et surtout, surtout, il n'était pas mort. Cette crainte avait accompagné chacun de ses pas. Annoncer à ses proches qu'il n'avait pas survécu, ce n'était jamais agréable.

L'inspecteur n'était tout même pas non-content de voir une horde de membres de la BAV se fondre dans la mêlée et maîtriser le reste des servants. Il s'autorisa un coup d'œil à en direction de Dewei. Adossé au mur, couvert de sang, il n'avait pas l'air en forme. Le grand brun n'hésita pas un seul instant. Il restait quelques servants et il se mit entre lui et le combat de manière à s'assurer qu'il ne soit pas davantage blessé. Heureusement, leur lutte touchait à sa fin et on entendait bientôt plus que la respiration des agents de la BAV et les gémissements plaintifs de leurs assaillants.

Il s'approcha de Dewei et se mit à son niveau :
- Monsieur Sakurai, n'en profitez pas pour bâiller aux corneilles.

Avec rapidité, il passa en revue les blessures de son collègue, il saignait pas mal, mais il était conscient et il tenait debout. Il fit signe à un des enquêteurs de s'approcher :
- Donne-moi des linges. Tout de suite.

Il s'exécuta. (avec un soupir non dissimulé ce que Cassandre trouva par ailleurs extraordinaire vu la situation, il ne manquerait pas de remonter ce manque de discipline) L'inspecteur lui tendit les bouts de vêtement déchirés :
- J'imagine que vous connaissez la chanson : pressez-le sur vos blessures et ne prenez plus aucun risque.

Il se redressa et resta quelques secondes la main sur le front, plus qu'excédé par la situation.
- On a certainement leur maître dans les parages... s'il y en a qu'un seul. Je compte sur vous pour faire un rapide interrogatoire des servants, qu'il nous dise où il se cache. Enfin, s'ils le savent...

- Excusez-moi, M'sieur.

C'était l'enquêteur disparu, qui n'avait pas encore eu l'occasion de se rhabiller :
- La grotte... Elle est remplie d'humains... j'ai entendu les servants en parler entre eux.

La priorité avait donc changé. Il fallait mettre les civils à l'abri, recueillir leurs témoignages et leur faire oublier cette fâcheuse histoire.
- Ce qui ne sont pas occupés à interroger les autres, venez avec moi, on se charge des civils. Monsieur Sakurai, vous venez aussi.

"Monsieur Sakurai, n'en profitez pas pour bâiller aux corneilles."

C'est ce qui me sort un peu de ma torpeur. Je suis pas au bout de ma vie, mais je peux pas dire que je suis au max de ma forme. J'ai plus de trous que quand je suis rentré dans la grotte, et si une caverne au fond des bois peut faire quelque chose, c'est bien ça. Du coup, je peux pas dire qu'elle a pas fait son taff. Maintenant, à moi de faire le mien. Je relève la tête, parce qu'il est beaucoup trop grand pour moi, et lui adresse un grand sourire. Je ne doute même pas du fait que je dois avoir du sang partout sur la tronche, et donc l'air d'un maniaque, mais j'aime ce que je fais, et j'aime ma vie. La plupart du temps.

"Ouais ouais, pas de souci, boss, je suis opérationnel à 100%."

J'attrape les bandages de fortune qu'on me donne, même si le camarade soupire et traîne des pieds. Je rigole doucement, parce que je sais que si j'avais une ouïe de vampire, j'aurais certainement entendu une remarque disant que j'étais pire qu'un cafard dans mon incapacité à mourir. Trop têtu pour crever, c'est bien moi, ça. Il me donne ses ordres, et je le salue, balançant des gouttelettes de sang un peu partout. Les camarades s'écartent en fronçant le nez, et ça me fait encore plus rire.

Je m'attaque au tissu avec les dents, commençant à faire des points de pression, des bandes. J'ai l'habitude, tristement ou pas, difficile à dire. En tous les cas, je le suis, le laissant parler du Maître. On se doute tous qu'il est pas loin, Captain Obvious, mais c'est mignon de récapituler la situation pour les retardataires. Le collègue, encore en sous-vêtements, commence à nous donner sa version, et un petit sifflement et un clin d'oeil m'échappent.

Cela dit, la situation devient plus compliquée. Il faut appeler des renforts, à ce stade. Surtout si on a bus d'humains à gérer. Il faut être sûr de ce qu'ils ont vu, et on n'a pas tant de vampires que ça pour leur "demander". D'autant qu'ils ne seront pas tous sensibles, on le sait. Ils auront probablement peur de me parler, dans mon état, cela dit. Et je sais pas à quel point le boss est doué en interrogatoire de victime.

J'accompagne le reste, sagement en finissant d'arracher un bout de tissu.

"Echkifplédérefo?"

En traduction, est-ce qu'il ne faudrait pas appeler des renforts? Essayez de parler avec un truc dans la bouche, vous, on verra ce que ça donne. Je vérifie mon chargeur une fois que j'ai fini. J'ai les jambes qui tremblotent un peu, à cause de la perte de sang, mais pas au point de ne pas pouvoir nous descendre si le maître a sucé tous les humains restants comme autant de diabolo fraise. Je jette un regard discret au boss, et je range mon arme, l'air sage. Avec ma tête, ça doit pas être crédible, mais faut tenter, je dis.

Je fouille dans une autre poche, et je lui tends ma maglite 640 lumens. En vrai, ça éclaire comme en plein jour ,et c'est même un peu violent, mais on voit rien, ici, et personne d'autre n'a l'air équipé. Ils sont terribles. Et plus on avance, plus j'entends de bruits. La peau contre la pierre, des cordes, un gémissement discret, une respiration trop forte, c'est envahissant dans cet endroit. Et nécessaire. J'avance un peu plus vite.

"Ils sont encore vivants, pour l'instant..."

Le sous-titre est qu'il faut se dépêcher. En espérant qu'ils n'en aient pas trop vu, les pauvres...

Des renforts. L'inspecteur était parvenu à déchiffrer ce que son collègue avait baragouiné, non sans mal et avec un coup d'œil interrogatif. Évidement, Cassandre y avait pensé, mais l'urgence était ailleurs. Voir si les prisonniers étaient sains et sauf était sa propriété. Dewei avait beaucoup être aussi enjoué que d'habitude, son visage restait couvert de sang et son corps criblé de morsures. Il le soupçonnait de ne pas connaître ses limites. Il avait déjà fait beaucoup, et Cassandre n'avait aucune envie d'avoir à gérer un agent blessé et trop borné pour s'arrêter. Bref, il avait intérêt à se tenir à carreau. Après réflexion...
- Vous avez raison Monsieur Sakurai. Faîtes donc, mais restez avec nous.

Lui qui avait la gigote, ça l'occupera et lui permettra de se rendre utile. Il attrapa la lampe qu'il lui tendait et s'engouffra vers le fond de la grotte, sans plus de cérémonie. L'air était humide et après leur combat, certaines de ses mèches étaient restées collés sur son front. Il frissonna, il ne faisait décidément pas bien chaud. Depuis combien de temps est-ce qu'ils étaient captifs, dans le noir, épuisé, fatigué, peut-être même blessé, à attendre que la mort vienne les cueillir ? Après quelques minutes à évoluer dans le noir, il entendit enfin leurs respirations, leurs gémissements, plongés dans l'incompréhension, sans savoir si ceux qui se dirigeaient vers eux étaient amis ou ennemis.

Puis il les vit. Des hommes barbus, la peau brûlée par le soleil, des femmes peu vêtues. Les bas-fonds de Mihara. D'accord, ceci expliquait cela. Si personne n'avait signalé leur disparation, c'était parce que personne ne se souciait d'eux. La lumière les aveuglait, les bras et les jambes attachés, ils cherchaient à s'en protéger le mieux qu'il pouvait. Cassandre se tourna et mit la lampe dans les mains de Dewei, sans se soucier de savoir s'il était occupé ou non :
- Comptez-les, signalez moi les blessés et les morts. Ordonna-t-il au reste de l'équipe d'un ton maussade.

Il s'agenouilla pour faire face à un vieil homme. Il l'examina, sur son cou, une morsure fraîche de ce matin. Il lui enleva son bâillon et lui attrapa le visage pour mieux examiner ses yeux. Il n'était pas drogué, juste épuisé et un peu déboussolé :
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Un crachat. Il venait de lui cracher dessus. Cassandre se demandait bien ce qu'il avait fait pour mériter ça. Il s'essuya le visage avec ses gants, une mine dégoûté. Peut-être aurait-il été plus judicieux de commencer par se présenter :
- Nous faisons partie de la BAV, nous sommes venus vous libérer. Dites-moi ce qu'i-

L'homme s'élança en avant avec l'intention de lui donner un coup de tête. Il se recula, mais l'autre réussi tout de même à faire tomber le badge qu'il venait de lui présenter. Il n'était pas très coopératif. Et ça commençait à l'agacer. Il ramassa son insigne d'un geste lent, avant de se saisir du tissu qui lui avait servi de bâillon et lui renfoncer dans la bouche. C'était à se demander pourquoi il avait risqué sa vie aujourd'hui. Cassandre parti dans un coin de la grotte, adossé au mur, surveillant son équipe, exaspéré.