Deux heures.
Deux heures que tu es sur cet article, sur la même phrase et que tu n’arrives pas à en voir le bout. Ça t’énerve. D’habitude, tu n’as pas de problème pour écrire, l’inspiration est toujours plus ou moins là, les mots filent et défilent dans ta tête à une vitesse ahurissante et tu as même du mal à les suivre tant ils vont vite.

Tu ne veux pas l’admettre, mais la faim qui te ronge jusqu’à la mœlle est probablement responsable de ton inefficacité actuelle. Cela va faire une semaine que tu n’as pas bu une seule goutte de sang et tu n’attends qu’une seule chose; aller chasser en compagnie de ton créateur. Tu le détestes de tout ton être et pourtant tu es accroché à lui comme une moule à son rocher. Sans lui, tu es incapable de vivre, et c’est sans doute le savoir qui te met hors de toi. C’est de sa faute si tu es dans cette situation, mais c’est aussi lui qui te permet d’avoir accès au sérum, de pouvoir aller à l’université, d’être simplement un peu plus “humain”. Tu n’as pas d’autre choix, tu dois subir sans rien dire et laisser le temps passer sans jamais changer de tête.

Ta condition de servant t’énerve et te répugne. Ton être tout entier te dégoûte, mais tu ne peux rien y faire. Tu t’estimes déjà heureux de pouvoir faire quelque chose qui te plaît, même si ça n’a pas le même goût que lorsque tu étais encore un simple humain. Tu te dis que c’est déjà ça, et que les choses auraient pu être pires et que tu es paradoxalement chanceux dans ton malheur.

[...]

Encore deux heures passent et ton document est resté figé. Tu n’as pas avancé, tu n’as fait que cogiter la tête dans tes bras avec les yeux fermés, laissant un flot de pensées sombres t’envahir. Finalement, tu te dis que rester plus longtemps est une perte de temps et que tu ferais mieux de rentrer. Alors tu fermes ton ordinateur portable, tu le ranges dans ton sac à dos et tu quittes la salle de classe en prenant soin de fermer la porte derrière toi.

Tu as pris l’habitude d’emprunter des escaliers un peu “secrets” que personne n’utilise vraiment. Le contact humain n’est pas ton fort, tu n’as pas vraiment d’amis, alors si tu peux éviter de croiser qui que ce soit, tu préfères encore faire un détour.

Les derniers jours avant la chasse sont aussi les plus difficiles. En général, tu ne viens pas en cours mais comme l’article que tu dois écrire est important, tu as décidé d’enfreindre les règles que tu t’imposes, seulement pour une journée.

[...]

Tu t’arrêtes net lorsque tu la vois. Assise sur les marches de l’escalier, elle semble regarder le sol. Il est possible qu’elle ne t’ait pas remarqué, alors tu fais un peu de bruit pour signaler ta présence et pour ne pas lui faire peur.

Tu ne la reconnais que lorsque tu passes à côté d’elle et que tu vois un peu mieux son visage. Nakamura Satomi fait partie des têtes connues de l’université. Même si tu ne t’intéresse pas aux potins et autres histoires à dormir debout, tu la connais de vue, comme la plupart des autres étudiants. La savoir ainsi te noue un peu les tripes, tu ne t’attendais pas à la croiser dans un état pareil.

- Bonsoir… Nakamura… Tu as besoin de quelque chose ?

Tu ne lui demandes pas comment elle va puisque tu as déjà ta réponse. Ton but n’est pas d’enfoncer le couteau dans la plaie, alors tu fais de ton mieux pour te détacher de la situation et avoir une voix rassurante. Tu n’as pas envie de dire qu’elle peut pleurer sur ton épaule, mais si elle a besoin de parler, elle pourra le faire en ta compagnie.

Ça t’as pris beaucoup de temps d’apprendre à garder tes démons à l’intérieur de ton être, à ne pas les laisser sortir, sauf quand tu leur exiges de se montrer au grand jour. Aujourd’hui encore, tu peines à les contenir au même titre que ta faim qui ne fait que grandir au fur et à mesure que les minutes passent. Tu n’as donc aucun mal à imaginer que craquer est beaucoup plus facile pour une humaine qui est née il y a quelques années. Contrairement à toi, elle n’a pas la chance ou la malchance d’avoir eu un quart de siècle pour apprendre à contrôler ses émotions.

[...]

La réponse de la jeune femme est tranchante, elle te coupe net dans ton envie de lui venir en aide. Cependant, elle semble se radoucir presque automatiquement après. Sans doute, a-t-elle remarqué la dureté avec laquelle elle t’a répondu. Ça t’arrache un sourire intérieur, elle n’est visiblement pas méchante et est juste sur la défensive, chose que tu comprends aisément.

- Je te crois.

Tu connais cependant un certain nombre de personnes qui auraient poussé le bouchon plus loin en niant la gueule grande ouverte les paroles de Nakamura, sans doute pour l’embêter un peu. Tu n’es ni très joueur, ni très taquin, alors tu acceptes croire en son mensonge sans le remettre en question.

- Tiens.

De ta poche, tu sors un paquet de mouchoirs et tu lui en tends un sans rien ajouter de plus. Ce n’est pas un geste spécialement amical, tu as simplement jugé que se moucher un bon coup lui ferait du bien et peut-être la soulagerait un peu. Tu ne comptes plus les fois où tu as pleuré sur ton sort, ni les boîtes que tu as vidées.  

- Lekami. Je m’appelle Lekami Takahiro.

Tu lui révèles ton nom ainsi que ton prénom sans vraiment te méfier, ni penser une seule seconde qu’elle pourra faire quoi que ce soit à part ruiner ta réputation au sein du campus. Ce serait désobligeant, mais ta survie n’est pas mise en question alors dans un sens, tu t’en fou un peu. Elle ne le sait probablement pas, mais dans cette situation, elle est la proie et toi le prédateur.

Sans t’en rendre compte, tu viens de t’asseoir à ses côtés, sans vraiment y avoir été invité. Peut-être que la jeune femme voulait rester seule, mais ton instinct t’a dit qu’il valait mieux que tu restes, même quelques minutes de plus.

Tu ne la regardes pas, tes mirettes fixent le vide et n’osent probablement pas se poser ailleurs que devant toi. Tu te dis que ça laisse à la jeune femme une petite bulle dans laquelle elle peut verser des larmes sans se sentir jugée. Car tu ne juges pas. Tu sais que chaque humain et vampire ont leurs raisons de faire ou de ne pas faire les choses. Parfois, ça te révolte, mais tu as appris à te détacher des sentiments pour faire preuve d’une neutralité impartiale.

Le silence fait parfois bien les choses, et tu te doutes qu’elle n’a sans doute pas envie de faire la conversation à un inconnu qu’elle vient de rencontrer. Cependant, si elle a envie d’extérioriser et même de t’insulter, tu la laisseras faire. À présent, la seule chose qui te fera partir, c’est elle, si elle t’en fait la demande.

Elle dit vrai. Ce n’est pas la première fois que tu entends son nom et son prénom. Nakamura Satomi, c’est ton contraire. Une jeune femme connue et reconnue au sein de l’université que beaucoup envient et admirent, sans vraiment comprendre pourquoi. Sans doute, représente-t-elle une sorte de but à atteindre pour certains étudiants et étudiantes, comme la récompense de l'accomplissement d’une vie. Il faut dire que dans la pyramide sociale, elle se place déjà très haut, et elle va probablement finir par s’envoler pour toucher les nuages.

Elle le peut, toi non.

Tu es bloqué à tes vingt ans pour le reste de l’éternité. Il y a bien un moment où tu vas devoir à nouveau changer d’identité et recommencer une nouvelle vie pour ne pas te faire prendre par les humains. En soi, quitter cette vie, tu n’en as pas envie. Tu as une très bonne amie que tu ne veux pas laisser derrière toi et tu te plais réellement dans ces études de journalisme. Tu aimerais pouvoir réaliser ton rêve et être reconnu dans le monde pour ton travail. Malheureusement, ce ne sera peut-être pas possible. Seul l’avenir tu le diras… Et qu’est-ce qu’il est long à attendre, l’avenir.

- J’allais rentrer chez moi oui. Mais je ne suis pas pressé.

Ce n’est pas vraiment chez toi que tu te rendais, mais bien chez ton créateur. Si tu peux éviter d’y aller et traîner le plus longtemps possible loin de son appartement, ça t’arrange. La rancœur qui t’habite t’empêche de bien dormir et de vivre comme tu l’entends. C’est comme si tu avais encore trois ans; tu as besoin de lui pour te nourrir, pour te loger, pour avoir du sérum… Pour vivre tout simplement. Ça t’énerve royalement, mais tu ne peux rien y faire à part vocaliser tes pensées négatives à son égard. Tu te rends compte que tu agis souvent comme un enfant face à lui. Tu as cependant besoin d’exprimer tes sentiments de temps en temps. Curieusement, c’est lui qui te voit le plus extérioriser tes démons et pas Emma que tu veux protéger et préserver de ce monde.

Finalement, peut-être que dans ton malheur, ta condition n’est pas si mal.

- Je ne me sens pas obligé de rester. Je suis un peu fatigué alors m’asseoir quelque temps ne me fera pas de mal.

Tu ne relèves pas les dernières paroles de Nakamura. Elle t’a dit qu’elle avait une poussière dans l’œil, chose que tu feras semblant de croire jusqu’au bout sans te poser plus de questions. Tu as tout de même tenté de justifier ta présence de manière lamentable et tu espères que ça aussi, elle ne relèvera pas.

Ajouter quelque chose ne serait pas forcément bien pris par la demoiselle, alors tu te terres dans un silence que tu trouves assez léger. Quelque chose te dit que si elle a envie de te parler, alors elle le fera. Le fait que tu ne saches pas quoi ajouter n’arrange certainement pas les choses. Pour toi qui n’es pas bavard, faire la conversation à autrui s’avère parfois être un véritable défi. Surtout quand la personne en face est imprévisible.

Tu n’es pas vraiment surpris. Ton excuse était tellement lamentable que tu étais presque certain qu’elle allait faire une remarque. Chose qui ne manqua pas. Au moins, tu l’as fait rire, alors tu ne garderas que ça dans tes souvenirs et tu feras semblant d’oublier le reste. Tu ne gardes que l’essentiel, le reste peut s’effacer, tu n’en as généralement pas grand chose à faire.

- Pas vraiment non.

Tu es loin d’être un confident. T’alourdir des problèmes des autres ne t’intéresse pas, tu as déjà assez sur les épaules avec ta condition actuelle et ça te suffit déjà amplement. Gérer les affaires qui ne te regardent pas, c’est une véritable perte de temps et d’énergie. Tu ne comprends pas ceux qui ont le cœur sur la main au point de s’oublier eux-même. Souvent, cela cache un besoin cruel de reconnaissance, d’être bien vu par les autres. Tu crois qu’il n’y a jamais de véritable générosité puisqu’au fond, vous êtes tous égoïstes.

Si Satomi pense qu’elle peut se confier à toi, alors libre à elle de le faire. Toi, tu seras une tombe et ne diras rien à personne parce que tu estimes que balancer des informations inappropriées aux autres est irrespectueux, mais tu ne lui préciseras pas spécialement. Tu n’es pas un sauveur, le complexe du héros, ce n’est pas pour toi.

- Ce que tu penses et ce que tu fais ne regarde que toi. Rien ne t’oblige à me dire ce qui te traverse l’esprit.

Tu lâches un petit soupir, exprimant un réel désintérêt pour la jeune femme assise à tes côtés. Il faut dire que tu n’aimes pas spécialement le fait qu’elle croit que tu es l’un de ses fans prêt à servir de tapis pour qu’elle n’abîme pas ses chaussures. Les humains vont et viennent depuis des années, ce n’est pas elle qui va changer ta vision des choses ou qui va te faire plier. Contrairement à certains, tu n’as pas besoin d’amis. Ta seule compagnie suffit à te satisfaire. Tu as appris à faire avec, car dans tous les cas, au final, il ne restera que toi.

Alors qu’elle soit là aujourd’hui et pas demain ne changera rien à tes yeux.

- Je ne suis personne pour juger si tu es dure ou non. La dureté n’est que subjective.

Tu es détaché de tout, Takahiro. Tu as vécu soixante-quinze ans tout en gardant le visage de tes vingt ans, alors tu as eu le temps d’en voir, des choses. Tu as vu le monde changer sans toi, comme si tu n’avais plus aucune importance aux yeux du temps, comme si tout ce que tu avais accompli pour toi n’était que poussière. Aujourd’hui, tu peines encore à trouver un sens à ton existence tant celle-ci te semble dérisoire. Tu n’as cependant pas le courage d’en finir. Ce monde, tu le détestes, et pourtant, tu le chéris comme le plus beau des trésors.

Au fond, cela est peut-être la dernière chose qui te rend Humain.

- Tu n’as pas à t’excuser…

Ta voix est plus douce, plus chaleureuse. Là, c’est toi que tu trouves dur. C’est comme si tu avais instauré une barrière impénétrable entre toi et elle, comme si tu ne voulais pas l’entendre alors que c’est pour elle que tu t’es arrêté. Ton regard s'adoucit légèrement alors que tu tournes la tête vers elle avec un petit sourire.

Tu as beau paraître plus accueillant et plus détendu, ton cœur ne peut s’empêcher de se serrer au point de presque faire monter les larmes. Ce n’est que maintenant que tu te rends compte à quel point tu étais détaché de votre échange, que tu étais aussi froid que la glace dans tes réponses. Tout ceci n’est que la preuve qu’encore une fois, tu t’es laissé emporter dans les tréfonds de ton âme par tes démons, au point d’oublier l’espace de quelques instants qui tu es. Au fond, tu te poses toujours la question, mais ces épisodes où tu te perds ne font que renforcer tes plus grandes craintes.

Petit à petit, tu perds de ton Humanité, toi qui désire plus que tout être Humain.  

C’est avec difficulté que tu déglutis. Ton esprit s’embrume, se noie dans les abysses de tes pensées les plus sombres. La faim que tu ne contrôles pas encore revient à la charge comme un taureau enragé. Elle tape dans ton estomac à grands coups, tord tes tripes pour en faire des nœuds au point de te donner envie de vomir. Shiomi n’est pas là pour t’apaiser, pour te donner son sang, pour te calmer. Tu as cruellement besoin de lui et il n’est pas là l’enfoiré. C’est à cause de lui que tu es dans cet état et il n’est pas là quand il faut.

Tu suffoques.
Tu as besoin de sang. Maintenant.

- Nakamura… Est-ce… Est-ce que je peux boire ton sang…?

Tu te perds, Takahiro.
Tu ne sais plus qui tu es. Seule la faim t’anime, elle te tord les boyaux pour en faire des nœuds au point que tu doives te plier en deux pour calmer la douleur que cela te procure.

Tu fermes les yeux quelques instants, en espérant que cela te permettra de te calmer.

Dans tes songes, une personne se tient debout dans la pénombre. Shiomi Asano, celui qui a fait de toi ce que tu es aujourd’hui, ton créateur. Tu es rarement heureux de le voir, mais lorsque la faim se fait trop grande, tu sais que tu peux compter sur lui pour apaiser le monstre qui vit en toi et qui réclame toujours plus, celui qui n’est jamais rassasié.

Tu ne veux pas l’admettre, mais tu as besoin de lui plus que quiconque en cet instant. Seulement, tu sais aussi que tu vas devoir faire sans son aide, que tu n’as d’autre choix que de te débrouiller tout seul, pour une fois.

Avec difficulté, tu relèves finalement la tête.

- N-Nakamura.

Tu rassembles toutes tes forces pour rester conscient et ne pas te jeter sur elle. L’envie est là, mais tu ne peux pas te permettre de sauvagement planter tes crocs dans sa chair sans sa permission.

Tu détournes le regard et tu te mets à fixer tes mains dont les tremblements ne font que s’accentuer.

Dans cet état, tu es lamentable.

- S’il te plaît… J-Je t’en supplie…

S’il y a bien une chose que tu détestes, c’est supplier les autres. Tu n’aimes pas te montrer dans un état de faiblesse qui donne le pouvoir à autrui de te blesser et te faire du mal. Cependant, ta condition actuelle est tellement misérable que tu n’as pas vraiment le choix. Il faut que l’humaine accepte, ou tu auras la culpabilité de l’avoir mordu sans son consentement. Tu ne veux pas t’y faire, mais que sa réponse soit positive ou non, tu buveras son sang, même juste un peu. Tu en as besoin, pour au moins retrouver tes moyens et fuir le plus vite possible.

- J-Je suis un vampire et… Et j’ai besoin de sang.. Maintenant.

Les larmes se mettent à couler à flot sur tes joues alors que tu te recroquevilles un peu plus sur toi-même, espérant vainement que tu vas disparaître et te téléporter dans l’appartement de Shiomi. À cet instant, tu donnerais n’importe quoi pour être loin de Satomi et du campus universitaire.

- S’il te plaît…

Ses paroles ne te blessent pas le moins du monde. Tu es misérable et tu le sais. Tu n’as rien d’un vampire charismatique et classe qui sait contrôler la faim qui lui tiraille l’estomac à longueur de journée. Tu es un servant terriblement faible qui a encore besoin qu’on le guide, même si dans quelques années, tu pourras enfin te détacher du lien qui te lie à ton créateur. En fait, c’est comme si tu n’en avais pas envie. Le confort d’être protégé, tu ne veux pas le quitter. Shiomi est une véritable plaie, mais tu ne peux nier le fait qu’il s’occupe bien de toi et que tu vis confortablement à ses côtés.

Tu n’as pas besoin d’attendre qu’elle ajoute quelque chose pour te laisser entraîner par tes désirs coupables. Tu le regretteras sans doute par la suite, mais pour le moment, tu n’as qu’une seule chose en tête; manger. Les conséquences de tes actes, tu les assumeras plus tard.

- M-Merci.

Tu bégayes ces piètres remerciements avant de te pencher sur l’épaule dégagée de la jeune femme. Tu espères qu’elle a du sang A qui coule dans ses veines lorsque tu plantes tes crocs dans sa chair.

Le liquide rouge vital à ceux de ton espèce finit par couler dans ta bouche et c’est avec beaucoup de satisfaction que tu constates qu’elle est bien de groupe sanguin A.

Silencieusement, tu te délectes de ton repas improvisé. La faim s’apaise petit à petit, au fur et à mesure que tu bois. Tu te régales. Cela faisait presque une semaine que tu n’avais pas bu et tu commençais à en avoir marre d’attendre que Shiomi soit libre pour aller chasser.

Sentir ton ventre se remplir, ça te fait un bien fou.

Au bout d’un petit moment, tu es obligé de lâcher prise pour ne pas vider Nakamura de son sang. Tu n’as pas bu une quantité astronomique puisque tu as été raisonnable vu que tu sais que tu iras bientôt chasser de nouveau. Avec délicatesse, tu retires tes canines de la chair de la jeune femme et tu te recules. Tu sors un mouchoir de ta poche et tu viens faire pression sur la plaie que tu viens de créer, pour empêcher le saignement de continuer de couler

- Je suis désolé...

Tu as encore du sang plein la bouche lorsque tu prononces ces mots. Il doit aussi y en avoir au niveau des commissures de tes lèvres. Tu es maladroit, mais tu t’en fiches pour cette fois. Tout ce que tu veux, c’est qu’elle ne te décroche pas une gifle parce que tu es bien un vampire et que tes paroles n’étaient pas une blague.

Tes mirettes, alors d’un magnifique rouge vermillon, semblent doucement luire dans la pseudo-obscurité, mais finissent par reprendre leur couleur habituelle alors que tu aides Nakamura à essuyer le sang qui coule de la plaie que tu as créée, juste avant que cette dernière ne recule et la cache de ses vêtements. Tu soupires. Le regret s’empare de toi alors que tu commences à prendre conscience de ce que tu viens de faire. Pour la première fois de ton existence en tant que vampire, tu as cédé à la faim et tu as mordu sans le soutien de ton créateur.

Tu sais que tu vas le payer cher, mais tu ignores encore de quelle manière. Une chose est cependant certaine; tu n’es pas prêt à faire face à la réalité. Tu n’auras cependant pas d’autre choix que d’assumer la conséquence de tes actes, alors autant commencer à te préparer pour ce qui va suivre, et ce, dès maintenant.

- Donne-moi ton adresse.

Le ton autoritaire que tu utilises cache en réalité la peur qui commence doucement à s’emparer de toi. Tu n’as jamais appris à la gérer, alors tu la caches au fond de ton être, de manière à ce qu’elle soit bien enfouie au plus profond de ton âme, jusqu’au moment où tu oublies presque son existence.

Fébrile, Nakamura te donne son adresse. Un nouveau soupir passe tes lippes alors que tu te lèves et que tu l’aides à se mettre sur pieds. Alors que vous faites route vers une rue beaucoup plus passante, tu la soutiens et l’aide à mettre un pas devant l’autre. Elle semble complètement sonnée et il y a de quoi. Après tout, elle vient de se faire mordre par un vampire.

Lorsque vous arrivez dans une rue où le trafic est beaucoup plus important, tu arrêtes le premier taxi libre que vous croisez et tu aides Nakamura Satomi à s’installer à l’intérieur. Tu indiques l’adresse où emmener la demoiselle au chauffeur et tu refermes la portière sans pour autant la claquer.

Silencieusement, tu regardes la voiture disparaître à l’angle d’une rue.
Tu te mords la lèvre avant d’entamer le chemin du retour.

Les idées sombres envahissent ton esprit alors que tu peines à faire un pas devant l’autre sans penser à ce qui aurait pu se passer si tu avais été plus fort et que tu avais su aller au-delà de ta faim.

Peut-être, ne te sentirais-tu pas comme un monstre.