Vendredi soir, dix-sept heures, l’heure pour toi de te diriger vers le quartier où se trouve ta boutique. Megumi doit certainement être sur la fermeture, mais il te faudra bien une vingtaine de minute avant de la rejoindre, tu lui envois donc rapidement un sms, histoire de la tenir au courant.

Déjà un peu plus d’un an que vous travaillez ensemble, enfin plus ou moins ensemble, car ne pouvant t’y rendre en journée, tu ne la croises pas forcément aussi régulièrement que devrait le faire un patron et son employé. Toutefois, cela ne vous empêche pas de vous contacter régulièrement au sujet de travail.

Ce soir, c’est une petite réunion qui vous réunis, les périodes de fêtes étant proches, il vous faut réfléchir à plusieurs choses à mettre en place. Les clients dépensent quand même plus à cette période de l’année, que le reste du temps, alors il ne faut pas manquer le coche. Après tout, tu dois bien faire du bénéfice si tu veux pouvoir payer la jeune vendeuse de la boutique, en temps et en heure !

Tu connais le chemin comme ta poche, un bus à prendre, puis une dizaine de minutes de marche. Ce trajet, tu le fais depuis quelques années déjà. Et la ville n’a pas changé depuis l’ouverture de ta fleuristerie. Boutique qui pourtant, a bien évolué. Au départ, une simple boutique de fleurs, mais qui aujourd’hui, partage son espace avec un coin détente réservé à ceux qui désirent un moment de calme tout en sirotant un petite boisson accompagnée de divers pâtisseries et gâteaux.


Tu pousses enfin la porte et esquisses un large sourire en direction de ton employé.

« Bonjour Megumi ! Comment allez-vous ? ça s’est bien passé aujourd’hui ? Y-a-t-il eu du monde ? »

Phrase presque habituelle. Tu aimes à demander si sa journée a été agréable, et si la boutique a reçu des clients ou non. C’est un peu normal pour toi d’avoir envie de savoir ce genre de détail. Tu pénètres plus en profondeur dans ta boutique, allant jusqu’à un petit espace étroit servant, en quelque sorte, d’espace où ranger vos affaires personnelles. Tu y déposes donc ton long blouson beige, et retourne faire face à Megumi, qui continuait de balayer l’entrée de la boutique, où le panneau « réouverture à 21h00 » a été glissé.

Elle te répond calmement, poliment et t’explique brièvement que sa journée a simplement été normale, que la clientèle s’est montrée présente, tout en comprenant qu’il n’y a pas eu foule non plus. Une journée classique en somme.

« Mh. Très bien, je vois, je vous remercie pour votre travail. »

Tu parles d’une manière polie, souriante, essayant de la mettre à l’aise, de paraître le plus à l’aise de ton côté aussi. Tes yeux l’observent alors qu’elle est en train de terminer sa tâche et tu perçois une pointe d’excitation chez elle. Tu en viens, curieusement, à te demander ce qui la met dans cet état. Pour autant, tu ne lui poses pas la question, préférant attendre en réfléchissant, en imaginant la raison à cela. Un peu comme une devinette, car tu aimes à te perdre dans des réflexions loufoques. Peut-être a-t-elle un petit ami et que ce soit, est un soir où elle va aller le retrouver. Ou bien est-ce l’arrivée du weekend qui la rend joyeuse ? Ton cerveau imagine tout un tas de scénarios possible, sans pour autant parvenir à saisir celui qui a le plus de chance d’être le bon. Tu as beau côtoyer cette humaine depuis plus d’un an déjà, tu ne la connais pas tant que ça finalement.

Bref, décidant d’arrêter de perdre du temps dans des réflexions de ce genre, tu te diriges vers un espace de ta boutique réservé aux plantes en pot. Surement celui que tu aimes le plus t’occuper. Tu prends tellement de plaisir à les voir grandir, pousser, changer au fil du temps, En prendre soin pour les aider au besoin. Jamais jusqu’à aujourd’hui, tu ne t’es lassé de tout ça ; cela fait plus d’une centaine d’année que tu t’amuses et apprécies faires ça, et ton sentiment est le même que dans ton enfance.

Ton sourire n’est pas un mensonge, quand il s’étire si largement sur ton visage alors que, délicatement, tu viens dépoussiérer les feuilles d’un Monstera. Quand ceci est fait, tu observes l’ensemble des plantes et cherches celles qui semblent manquer d’eau, pour ensuite venir les asperger légèrement, histoire de ne pas les brusquer.

Tu entends, sans mal, les pas de Megumi qui se rapprochent de toi ; ton attention est donc tournée vers elle. Ton dos se redresse légèrement, puis tu pivotes afin de la regarder, plongeant ainsi ton regard dans le sien. Tu es happé subitement par une longue prise de parole de la jeune femme, qui semble, par la même occasion, te dévoiler la raison de l’enthousiasme perçu précédemment. A mesure où elle s’exprime, ton regard passe de ses yeux, à ce qu’elle tient dans la main : une part de gâteau, délicatement posée dans une assiette, dans laquelle se trouve une cuillère. Et finalement elle te pose la question de si tu veux le goûter.

« … »

Ton silence ne dure que quelques secondes, et exprime un instant de réflexion très intense.

« Euh, oui, oui évidemment Megumi, évidemment que je vais goûter ce que vous avez préparé. » dis-tu, forçant légèrement la voix, dans le but de feindre de l’enthousiasme

Dans le fond, tu regrettes déjà d’avoir accepté. Mais comment refuser quand elle semble si impatiente à l’idée de te faire goûter sa préparation. Tu n’aimes pas manger de la nourriture humaine. Dans le fond, cela te renvoi, de manière trop abrupte, à cet être que tu n’es plus : humain. Comme une malédiction, la nourriture n’a plus d’appétence à tes yeux, seul ce liquide rouge est devenu source de plaisir. Être enfermé dans cet enchainement qui se répète à l’infini. Avoir faim, mordre, se nourrir, avoir faim, mordre, se nourrir... la répétition, quand c’est à ce point, devient souvent ennuie, devient même dégoût pour certains. Pourtant, ce n’est que la passion, l’excitation, et le plaisir qui te remplit durant chacune, bien que rares, escapades nocturnes où tu pars en quête d’une proie.

Bref, ce n’est pas le moment pour s’enfoncer dans une phase d’auto-flagellation. Tu reprends le fil du temps, de la conversation, et reprends donc la parole, tout en saisissant l’assiette qu’elle te temps.

« Vous avez parlé si vite... c- c’est un cheescake au chocolat blanc, c’est bien ça? »

N’ayant jamais testé ce type de chocolat, tu n’es pas sûr de ta capacité à retransmettre le goût de façon réaliste, mais ce n’est pas grave, tu attrapes un bout pour combler le vide de ta cuillère, une expression légère sur le visage et le place dans ta bouche. Tu mâches naturellement, ne changeant pas les traits de tes expressions, tout en réfléchissant à ce que tu pourrais lui. Tu laisses quelques sons de satisfaction se faire entendre pour lui faire croire en ta sincérité. Mais au fond de toi, tu n’as qu’une texture classique de gâteau sans goût, sans saveur, presque dégoûtant en bouche. Malgré tout, tu sais te tenir et contiens tes traits du visage, lorsque ta bouche redevient libre, tu parles à nouveau, agrandissant tes yeux, tout en esquissant tout plus beau sourire.

« Délicieux Mégumi, vous avez bien réussi ce petit délice. »

Tu modules magnifiquement bien ta phrase pour insister sur les mots délicieux et bien réussi, malgré le mensonge que tu prononces. Mais comment pourrais-tu dire à cette jeune femme, que son gâteau n’a aucun goût… et de toute façon, ce n’est en aucun de sa faute, elle a surement vraiment bien réussi sa pâtisserie. Le problème, il vient clairement de toi, et de ton vampirisme...

« J- je vous laisse le reste. »

Tu lui tends l’assiette et le gâteau sur lequel, tu n’as mangé que l’équivalent de deux cuillères. Au pire, tu diras que tu n’as pas faim, que tu as déjà mangé avant. Elle comprendrait, ce n’est pas une mauvaise personne après tout.

« Mais oui, vous avez raison, on peut sûrement ajouter ceci à la carte. C’est une bonne idée. On peut en parler une fois que l’on sera installer pour la réunion si vous voulez. V- vous avez terminé ce que vous aviez à faire ? Peut-on, peut-être s’installer ? » finis-tu par proposer.

Ton mensonge ne semble pas être découvert, puisqu’elle te remercie vivement et poliment à de nombreuses reprises. Satisfait de ton jeu d’acteur, tu n’aurais pas apprécié qu’elle découvre la comédie… tu ne souhaites pas la rendre triste et blessé ses sentiments par ta propre faute. Tu aurais aimé être capable de goûter sincèrement son gâteau. Tu es certain, tu l’aurais même adoré, mais tu ne peux pas. C’est simplement impossible pour toi, tu ne peux plus, tu n’as plus le droit d’apprécier ce genre de mets, ces nombreux plaisirs qui ravissent les papilles des humains. La seule auquel tu as le droit, c’est le sang. Mais ce n’est pas pareil, et c’est même plutôt écœurant quand tu y penses. Tout comme tu es toi-même écœurant. Tu imagines aisément voir le visage de megumi se décomposant en découvrant le pot aux roses. Tu imagines aussi son sourire s’effacer pour ne laisser place qu’à du dégoût et de la peur… Ton cœur se serre à cette idée.


Assis à une table où d’habitude sont servis les clients, tu attends que ta chère employée s’installe elle aussi. La part de gâteau que tu n’as pas terminé semble idéale à la jeune fille pour se régaler un peu ; et même si tu t’en veux légèrement de ne pas pouvoir la terminer, tu ne le regrettes pas. Ne souhaitant pas être malade sur les prochaines heures, c’est le bon choix que tu as pris. Elle ouvre la bouche en premier.

« mmh. A emporter, vous dites ? »

Tu réfléchis quelques secondes, silencieusement, levant les yeux en direction du plafond puis des plantes se trouvant au loin. Tu n’es pas sûr de quoi répondre. Dans un sens, elle a surement raison, ce serait un plus à la boutique, mais en même temps, c’est avant tout une fleuristerie plus qu’une pâtisserie. Tu as l’impression que de faire cela reviendrait à mettre en second plan la fleuristerie…

« Il faudrait y réfléchir plus longtemps… Je ne dis pas que c’est non, je pense que c’est une bonne idée, mais- »

Eh oui, il faut bien que tu annonces le mais.

« -déjà, ça va créer beaucoup de travail, ce qui n’est pas forcément idéal quand on travaille seul, vous ne pensez pas ?
Et puis je dois avouer que pour moi, la pâtisserie doit passer en secondaire, je ne voudrais pas que la fleuristerie se fasse oublier pour l’espace dégustation si vous voyez ce que je veux dire.
Ce n’est sûrement pas clair, mais… mmh je ne sais pas trop. J’avoue que pour les cas où la commande est faite, mais pas terminée, ce serait bien, oui, et ça n’impacterait pas tant que ça la charge de travail… »

Ton visage exprime les doutes dont tu parles de vive voix. Mais peut-être qu’il y a une solution qui partagerait les deux avis.

« Attendez, je réfléchis un peu. »

Tu reprends ta réflexion en solitaire et rouvre la bouche.

« … ou bien seulement sur un certain jour de la semaine, peut-être que de cette manière, la charge de travail en trop sera plus correcte, surtout rassemblé sur un jour précis. Ce sera surement plus fatiguant pour vous, mais moins pénible à la longue ?
Dites-moi ce que vous en pensez ou bien si cela vous donne des idées. »

Elle semble réfléchir à tes propos, tu le remarques à ses doigts qu’elle manipule en silence. Et lorsqu’elle parle, elle ne dit rien de particulier, car elle revient sur ses propos, avant même d’avoir donné le fond de son idée. Tu la regarde plus intensément, attendant la suite, et pour qu’elle le comprenne, tu ouvres la bouche rapidement.

« On pourrait ? Dites m’en plus Megumi, n’ayez pas peur ! »

Mais elle se morfond en excuse pour ne pas avoir réfléchi aux problèmes que pourraient soulever la vente en emporte, à cela tu fronces un peu les sourcils de mécontentement. Pourquoi s’excuser quand il ne s’agit que d’une idée proposé. Vous n’êtes pas installé ici, simplement pour n’écouter que toi, évidemment qu’elle a le droit de proposer des choses, même si finalement, elles ne sont pas parfaites…

« Ne vous excusez pas pour ça… nous sommes là pour discuter, et ne pensez pas qu’elle est mauvaise, simplement, nous restons petit et ce n’est pas toujours simple de se rajouter du travail.
Aller, reprenez-vous, ce n’est pas grave. Si jamais vous y trouver une solution, revenez vers moi, j’écouterai avec plaisir. »

Tu fais une courte pause, cherchant ton téléphone dans la poche pour observer l’heure, tu ne comptes pas la faire terminer trop tard et le temps file toujours trop rapidement pour un humain. Tu éclaircis ta gorge puis reprends la parole.

« L’heure file, dépêchons-nous, je ne voudrais pas vous faire terminer trop tard.
Concernant la période des fêtes, avez-vous réfléchie à l’installation des décorations de noël ? Quelque chose de nouveau, ou bien est-ce que l’on reprend simplement le même thème que l’année dernière ? Il était plutôt aimé, non ? »

Tu n’es pas le plus doué pour ce genre de détail. Noël n’est pas vraiment quelque chose de naturel pour toi, et à dire vrai, tu ne l’as d’ailleurs, jamais fêté. Pour autant la partie décoration ne te rebute pas, tu n’as simplement pas un grand amour de la décoration et ne souhaite pas forcément y passer du temps.

« Oh, et puis, concernant les bouquets, il va falloir créer quelques compositions sur l’idée de Noël, évidemment je vais m’en charger, mais si vous avez des idées intéressantes, je vous écoute avec plaisir. Il ne faut pas hésiter, je tiens à ce que vous participiez à tout. Enfin, évidemment, si vous le souhaitez aussi… Je ne voudrais pas vous forcer non plus. »

Tu sais qu’elle manque de confiance, tu l’as vite remarqué en l’embauchant, mais tu la sais capable, il suffit de la pousser un peu. Il faut qu’elle apprenne que parler n’aura jamais un effet négatif et que dans ses mots, il y a toujours la possibilité de retenir n’en serait-ce qu’une partie pour en faire quelque chose.

Tu te lèves rapidement et discrètement pour ne pas la couper et te dirige vers le comptoir ; tu y attrapes un calepin ainsi qu’un crayon afin de noter les choses importantes à retenir, avant de retourner t’asseoir et poursuivre votre conversation.