21h00. Une longue jambe habillée d'une chaussette haute et d'une lourde chaussure au talon vertigineux franchit la porte. La deuxième la rejoint. Une mini-jupe plissée d'un noir d'encre, ornée de chaînes et de croix. Une chemise de la même couleur, surmontée d'un col mao orné d'une crois argentée sur un fond blanc, comme le col d'un prêtre chrétien. Des manchons tenus par d'autres chaînes, se terminant en lourdes bagues. Une crinière de boucles noires, une peau opaline. Une bouche carmin. Un regard comme un ciel d'automne. L'endroit n'est pas vide, mais la silhouette ignore les clients.

Au bar, un hochement de tête lui échappe avant qu'elle s'engouffre vers la sortie des artistes. Le pas n'est pas léger, mais il est assurée. Une odeur de menthol flotte. Un soupir et quelques feuilles qui frémissent quand elle regarde sa liste de clients. Rien de prévu la première heure. Une vapoteuse de cuir et de métal fait son apparition. Aucun mot échangé avec les autres artistes. Un échange de regards. L'habitude d'un silence blasé et presque respectueux. Une longue jambe se croise sur une autre. Un stylo est attrapé pour gribouiller sur une page vierge. Une variation d'un mandala, son motif préféré. Le plus reposant.

Des pas dans l'escalier. La tête brune se relève, croise le regard d'un client, qui hésite. Le perceur se lève et vient faire son numéro de charme. Il est doué pour ça. Peu lui importe. S'il doit venir, il viendra. Un collègue vient demander une encre blanche. Un grognement lui échappe. Hérésie, le tatouage blanc. Aucune tenue dans le temps. Le marquage de l'âme et la chair se fait au noir. L'illusion de pureté est un mensonge. Apparence faites pour tromper. Horreur. Une bouffée de vapeur mentholée amuse l'autre tatoueur. L'habitude est une amicale ennemie.

Encore des pas. La tête ne se relève pas cette fois. Deux personnes. Ah. Une voix reconnue. La Mama, patronne du Purgatoire. Surnom officieux et silencieux. Elle est accompagnée. Jeune silhouette sombre en apparence. Le regard gris se relève. Un sourcil se hausse. La femme dirige le nouveau vers les stations, vends le produit. Nouveau soupir. Nouveau nuage de vapeur. La machine disparaît. La patronne n'aime pas la vapoteuse à l'intérieur. Mais elle sait. Elle fait le tour des autres, avant d'arriver. Nouvel arrivant. Momo semble à peine remarquer leur arrivée, ne se lève ni ne parle, quand son nom, KYO, est mentionné. C'est écrit sur la station.

Surprise. La Mama est appelée. Le nouveau abandonné là. Le sourcil s'élève à nouveau. Les bras se croisent sur la poitrine. Le regard est neutre, analytique. Quelque chose. Souvenir. Malaise. La virgule haussée se fronce. De mauvaises nouvelles, celui-là.

Il avait déjà rencontré Seiryuu le colérique et maintenant la patronne le présentait aux tatoueurs. L'idée d'un bar - tatouage était intéressante, mais il avait le sentiment que deux groupes distincts s'étaient formés : les tatoueurs d'un côté et les serveurs de l'autre. Ils avaient beau se croiser, Seiryuu n'avait pas l'air particulièrement ami avec eux. Il fallait dire qu'il n'avait certainement pas beaucoup d'amis vu son caractère de cochon. À leur manière, toutes les personnes ici sortaient du lot et Noah ne se lassa pas de les observer un à un. Dans toute cette excentricité, une femme ressortait. Une atmosphère plus lourde que du plomb... Noah... Il lui vola quelques détails à la dérobée. Des talons qui n'en finissaient pas, une odeur qui lui prenait au nez, prête à en découdre... Qu'est-ce qui faisait chez lui pour que tous ses nouveaux collègues lui réserve un accueil glacial ? Ses pensées dans un coin de son esprit, il s'appliqua à écouter la patronne lui expliquer le fonctionnement du lieu.

Il s'était déjà fait percer les oreilles. Il avait beaucoup hésité. Altérer son corps, altérer sa vie... c'était avoir quelque chose à redire sur l'œuvre de Dieu... Puisqu'il avait choisi de se rebeller, puisqu'il était plus puissant que lui, puisque maintenant Dieu, c'était lui... il pouvait se le permettre. Joueur avec les règles, expérimenter avec sa vie. Elle est appelée et lui, tout petit poussin, laissé à son propre sort. Mains dans les poches, il resta sans bouger, la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle quitte la pièce avant de se retourner et de faire un pas vers la dame, tout de noir (enfin presque...) vêtue. Une Loligoth, il aimait bien se style. Noah, ceux qui osent...ceux qui n'ont pas froid aux yeux, ceux qui ne soumettent qu'à leur propre volonté... Pureté sur cette terre gangrénée, je l'aime bien.

Un pas. Oh, Kyo c'est ton nom. Dieu le sait, tu t'es cassé les dents à de nombreuses reprises... un coup et c'est fini. Il a entendu ta lamentation silencieuse, ta colère pernicieuse, ton indifférence factice... Pas la peine de s'en faire, il n'hésitera pas à te défendre.

"-Kyo. C'est ton nom, enchanté. Je suis Noah Pinilla, le petit nouveau. Enfin, je suis serveur en bas."


Pour une tatoueuse, elle n'avait pas l'air très marquée. Il continua, platement :

- J'ai toujours rêvé d'avoir un tatouage.

Il n'aimait pas parler de lui. De cette phrase, il ne souhaitait tirer qu'une réaction de la demoiselle. Sympathie ou mépris, peu importe, il restait curieux.

Le sourcil froncé se hausse à nouveau. Un bavard. Certains le sont, ici. Doucement, ils apprennent à aller faire cela ailleurs. Les prunelles sombres se plongent dans celles de l'homme avec indifférence. Une inspiration puis un nuage de fumée mentholée. Beaucoup rêvaient, pour les tatouages. Avoir l'âme d'un artiste déteindre sur la leur. Peu supportaient la douleur avec grâce. Lui... Un sourire carnassier étire ses lèvres carmin pendant une fraction de seconde. Il ne survivrait pas à la surimposition.

La façade d'un lac tranquille revient. Derrière, un tourment invisible existe. Quelque chose. Encore. Mais ce n'est pas l'instant. La Mama l'a accueilli. Il travaille. Travaillera. Il plaira à la clientèle. Momo connaît ses défauts. Elle aime le beau. Et elle le craint. Le beau ne va pas jusqu'à l'âme. Elle avait souvent tort, cependant. Il ferait ses preuves.

L'envie de répondre n'est pas là. Son regard se perd sur le dessin entamé. Des clients peu intéressés par son âge ou son genre travaillaient avec elle. Fidèles. Surprenant. Médiocrités associées. Des âmes entremêlées par l'art dans une fragile harmonie. L'absence de sincérité existait peu, dans ce contexte. L'art dans une forme pure et millénaire. Un ongle claque sur la table.

"En haut."

Le bar en haut. L'art, obscur et méprisé, caché dans les tréfonds. Obscur et révéré. Une inspiration, et un nouveau nuage de fumée. Une politesse aussi vague que le nuage volatile. Une main indolente désigne les dessins sur les murs. Pas de photos. Grossières, impersonnelles. Inexactes.

"Quand tu veux."

Un défi indifférent. Elle sait qu'il ne le fera pas. L'ego est une chose fragile. Et se soumettre pour souffrir dans sa chair est un plaisir et un acte de confiance. Noah. Non, il ne rejoindra jamais sa galerie.

Noah n'eut en premier lieu qu'un sourcil haussé pour toute répondre. Lui parler était-il interdit ? Étrange ? Inhabituel ? Feindre le manque d'intérêt pour le petit nouveau... une invitation à aller voir arrière, à la laisser tranquille, dans son petit monde. Elle suintait le dédain et ça le comblait de joie. Un sourire mauvais. Imperturbable, il l'imita, un miroir face à son reflet. Il renvoyait toujours la balle, ne donnait que ce qu'il recevait. Sinon, il n'était rien. Ignorant peut-être, puisqu'il était incapable de comprendre ce que ce mystérieux rictus cachait. Kyo laissait transparaître peu de chose, il s'en remettrait donc à son imagination. Elle se recomposa une expression plus tranquille. Qu'est-ce qu'il se passe Kyo...? Sa froideur n'avait certainement rien d'un traitement de faveur et il imaginait sans mal qu'elle traitait ses collègues et les clients de la même façon. Se montrer plus chaleureux pour compenser, ou arborer la même indifférence ? Impossible de trancher,  instabilité perpétuelle pour le vampire.

À son indication, il releva les yeux et découvrit une multitude de dessins sur le mur. Il puisa au fond de lui-même, à la recherche d'une quelconque sensibilité artistique, mais ne trouva rien. Que ses dessins eussent été laids ou huitième merveille du monde, ça ne l'intéressait pas. En revanche, l'idée que quelqu'un a pu prendre le temps de marquer sa peau, d'inscrire sa passion sur son corps, ça... ça lui plaisait. Ainsi, même après sa mort, il aurait un peu de Kyo sur le bras, vestige d'une vie passée... Preuve que Dieu t'a remarquée. Quand tu veux ? Maintenant ! Oui ! Aujourd'hui, il ne faisait que visiter cette partie du bar, et puisque la patronne avait organisé l'emploi du temps en conséquence... il ne prendrait pas son service de tout de suite. En somme, il avait du temps devant lui. Noah releva sa manche d'un geste paresseux pour dévoiler son avant-bras :

- Ici alors, pas plus de 15 centimètres, tu fais ce qui te plaît. J'ai l'argent. Prêt, feu, go ?

Il se plaça sur le siège, ses yeux ambre posés sur elle. Un regard tranchant qui cherchait à sonder son âme. Elle ne lui ferait pas l'honneur d'avoir l'air surprise. Peu importe si Noah avait fait mauvaise impression ou non, pas respect pour le Dessin, elle ne bâclerait pas son travail. Elle lui donnerait une partie d'elle-même, elle était un peu à lui maintenant. Comme si elle ne lui appartenait pas déjà... Dieu penché sur ses créations... Un lien profond entre lui et l'humanité.

Rien. Le vide retentit dans un regard indifférent. L'Art demande une âme, quel que soit son état. Même écrasée, même violée, même vivotante. Mais une âme. La résonance entre une volonté et un canevas. Entre une sensibilité et une soumission. Une acceptation. Une dépendance, même. Ce n'est pas un secret. Le tatouage est une addiction. Une orgie d'âmes ou un mariage fidèle. Notion risible. Même horrible, il marque. Et il reste. Même effacé, même divorcé, il empreinte l'être. La souffrance demeure, mais est acceptée. Accueillie. Chérie. Souvenir d'un temps meilleur et sa conséquence naturelle. Car rien ne dure. Pas même l'âme.

L'être, coquille vacante, emballage doré sans aucune substance, alerte tous ses souvenirs. Une autre silhouette, un autre regard, mais cette même vacance d'âme. Alors il s'assied. Une nouvelle bouffée mentholée lui laisse le temps de cligner des yeux. Regarder le mandala. Remonter des pupilles bleues sur sa forme. Un soupir lui échappe dans une nouvelle bouffée. Elle ne fait aucun geste vers lui. Aucune expression ne traverse son visage, autre que l'indifférence. L'arrogance et l'ego. Il y avait deux possibilités. S'offusquer qu'elle le défie. Ou ça. Penser que le simple superficiel désire de posséder son art se conclue par une complaisance parfaite.

Dans son salon, elle était déesse dans son royaume. Accepter qu'elle le marque revenait à se soumettre à sa main. Il n'y avait pas de domination par le bas dans son domaine. Et s'il était comme les autres, il ne saurait pas. N'accepterait pas. Elle inspira une nouvelle bouffée, et tendit sa vapoteuse vers une affiche calligraphiée : "Tout artiste s'octroie la possibilité de refuser un client, sans aucune nécessité de justification". Elle se réinstalla dans son fauteuil, indolente, tirant sur la vapoteuse et écoutant d'une oreille distraite le client hurlant sous la main de son bourreau. Ce n'était qu'un piercing, mais ça lui arracha un semblant de sourire. Un autre qui ne méritait pas leur temps.

Noah passa de la pancarte à la tatoueuse et de la tatoueuse à la pancarte. Il n’affichait aucune expression. Il n’était pas contrarié, à peine surpris, il ne savait simplement pas quoi en penser. Un peu bête, il demeura immobile, à essayer de lire entre les lignes de son mutisme. Était-ce un avertissement ? “Ne me parle plus sinon je t’éclate les dents. ”, l’avait-il vexée ? Ce soudain désistement n’avait aucun sens, et pourtant, il savait qu’il y avait forcément une raison. Kyo choisit de ne pas la lui partager et c'était bien dommage. Il réajusta sa manche et se para de malice, après tout, il venait de gagner, elle avait abandonné et pas lui. :

— D’accord.

Il était tout de même un peu déçu. Son esprit de bravade l’avait beau rattrapé, il tenait vraiment à ce tatouage et il était certain que le motif aurait été à la hauteur du personnage. Il aurait voulu emporter avec lui un petit bout de cette dangereuse poupée. Il chérirait le souvenir de cette petite femme farouche qui n’en disait pas beaucoup, mais dont les regards suffisaient à vous glacer. En revanche, il ne se plierait pas à son jeu. Noah ne courberait pas le dos, ni ne lui donnerait une raison de le mépriser. Et puis, elle faisait déjà cela très bien toute seule. Kyo… habillée de tes plus lourds silences, tu ne laisses aucune place à la camaraderie. Armé de son flegme habituel, Noah était prêt à passer à l’attaque. Il fit mine de se lever :

— Tu ne t’embarrasses pas de politesses, ou de mielleries, c’est agréable.


Il avait bien compris qu’elle distribuait ses mots avec parcimonie et que son élan de sympathie serait accueilli avec mordant, mais loin de le faire fuir, cela l’attendrissait. Il couva des yeux ce qui n’était qu’une adolescente boudeuse, en colère contre un monde qui ne s’était jamais embarrassé de fioritures. Il la comprenait, il devait être indulgent. Il était quasiment certain qu’elle ne portait pas les élans de pitié dans son cœur. Non, toi, tu n’es pas une victime. Et puis tu t’en fous et comme la pancarte le souligne, tu n’as pas besoin de te justifier.

— … Ni de mots, mais tes silences leur rendent leur importance… philosopha-t-il. Parler pour ne rien dire ou pour se justifier, c’est un symbole d’aliénation.


La patronne lui avait vaguement parlé de cette lolita au style gothique qu’il ne valait mieux pas emmerder. Tout le monde avait compris la leçon. Sauf Noah, le petit nouveau, qui voulait encore essayer de tisser des liens, et qui ne pigeait jamais rien, car il était bien trop bête. La curiosité lui tord l’estomac... s’il pouvait écailler sa peau de porcelaine et y découvrir sa chaire à vif... il lui dirait de ne pas pleurer, il pourrait la prendre dans ses bras, la consoler, la soigner, lui dire qu’il allait tout faire cramer, puis l'abandonner au chaos et la voir tout faire péter.

— J’aime bien apprendre à te connaître. conclu-t-il avec un sourire innocent

Une vocalisation de l'acceptation du refus. Comme si cela aurait changé quelque chose. Le gant avait été jeté. Et la malice de son regard. Un vent glacé remonta sa colonne, entraînant un hérissement. Réaction défensive qui reste bien loin de son visage impassible. La chair fut à nouveau dissimulée, sans autre commentaire. Un souvenir, guère si lointain, poursuivait sa manoeuvre défensive. Le souvenir de beaux mots et d'une trahison inaudible. Invisible. Cruelle et violente, et sans aucune beauté comme celle créée ici.

L'infime espoir d'une échappée mourut d'une mort rapide quand il continua à parler. Et parler. Et parler. Une bouffée mentholée s'envole alors qu'il habille son discours de mièvrerie. Quel est le but? La séduction? Non, il est comme lui. La possession et la destruction sont son seul langage. Et chaque mot qui sort de sa bouche n'a que cet objectif. Involontairement un sourcil sa hausse devant la stupidité de sa logorrhée. "Parler pour ne rien dire est un symbole d'aliénation". Il est le roi des aliénés alors.

Tout. Tout en elle hurlait de ne pas lui adresser la parole. Qu'il était dangereux. Un prédateur comme elle en avait trop connus. Il la répugnait, quelque part, et la fascinait, d'une autre. La faille, la faille, toujours la même, qui l'avait menée de catastrophe en catastrophe, de décadence en addiction. Il était comme lui, comme eux. Un danger, un attrait, une horreur dont elle devait absolument rester éloignée. Son sourire et ses paroles furent accueillies avec le vent silencieux d'une toundra.

Quelque chose, quelque part, lui susurrait qu'il y avait une solution facile, si facile, pour oublier ce sentiment de gras sur sa peau. Elle n'avait que quelques marches à monter et elle pourrait. Beaucoup trop simple. La tentation était toujours présente, mais elle avait choisi de la garder près, car ses ennemis devaient toujours être là. Elle avait fait ce choix. Il se retournait contre elle aujourd'hui, mais elle ne le laisserait pas gagner. Elle inspire, l'odeur de cuir, d'encre, de sang, vaguement, venant du piercing, les produits, la menthe qui flotte encore dans l'air. Doucement, elle expire, et pointe du doigt un second panneau. "Si vous n'avez rien à faire là, dégagez". Celui-ci n'est pas rédigé par la patronne. Celui-ci arbore sa propre calligraphie et est artistiquement enluminé. Mais le message reste. Il n'avait rien à faire là, et elle ne le voulait pas ici. Ses vieux démons venaient de frapper, et elle n'avait aucune envie de leur ouvrir la porte. Pas quand elle retrouvait à peine son équilibre. Elle prit une nouvelle bouffée rafraîchissante en essayant de ne pas penser au goût du Get27. Non. Elle refusait.

Tout ce que Noah avait récolté, c'était un mesquin levé de sourcil et une pensée gardée pour elle. Il ne demandait qu'à être contredit et il n'était pas bête au point d'ignorer la flagrante contradiction qu'il agitait sous son nez. Elle en avait des choses à dire la p'tite, mais elles restaient scellés derrière ses lèvres. Si elle ne prenait pas la peine de la contredire, alors son opinion était déjà figée. Elle l'écoutait, c'était au moins ça de pris, et comprenait beaucoup de choses. Il s'en amusait beaucoup, mais le divertissement s'arrêta net lorsqu'elle pointa du doigt un autre écriteau. Il pencha la tête, mi-figue mi-raisin. Ce comportement l'attendrissait, et il n'était personne pour l'obliger à parler et il était certain qu'elle avait un bon motif pour ne pas le faire :

— Tu as une pancarte pour me demander d'aller me faire foutre ou c'est en cours de préparation ?

Les mots lui avaient échappé, mais il préféra ne pas revenir dessus. Ils n'étaient emprunts d'aucune hostilité. Il ne voulait pas lui donner de raisons de le détester, mais il s'imaginait que cela aurait pu provoquer de l'amusement, une autre vague sur son visage qui trahirait une émotion. La preuve qu'elle n'était pas insondable. En fait si. Et il avait beau grappiller ce qu'il pouvait, il n'attrapait que des miettes. Il en oubliait même qu'il était censé faire bonne impression durant un de ses premiers jours de travail. Même contre son gré, elle n'était pas de si mauvaise compagnie. Cette inspection s'éternisait et la patronne en eut bientôt fini avec ses affaires, elle appela Noah à descendre et il lui répondit d'un distrait "J'arrive tout de suite.", sans quitter la dame des yeux, imprimant son visage une dernière fois dans son esprit, prêt à quitter la pièce en emportant avec lui son parfum si caractéristique.

— Au revoir Kyo ! Au revoir les autres ! lança-t-il insolemment à la pièce.

Il tourna les talons et prit congé, il était sûr que la patronne ne serait pas trop fâchée d'apprendre que sa rencontre avec Kyo n'avait pas été fulgurante. Elle se contenterait d'un sourire en coin qui valait tous les "Je te l'avais bien dit," et une recommandation de ne pas essayer, car ça ne servait à rien et qu'il ne fallait pas la forcer à faire ami-ami, et la tatoueuse brune s'en retournait dans sa confortable solitude, à juger les uns et les autres et trop occuper à garder les morceaux de son âme.