La BAV. Brigade des Affaires Violentes, pour tous les flics de Mihara. La Brigade des Affaires Vampiriques pour une petite portion de la population, et maintenant aussi pour moi. J'ai causé assez de soucis pour à la fois me faire arrêter, pas vraiment une première pour un agent de la loi, mais pas le truc le plus agréable du monde, mais aussi pour me faire offrir une place. Je suis conscient qu'on n'est pas grand-chose, face à un vampire. Et en même temps, je suis tombé sur assez de trucs pour savoir que même si je ne gagnerais pas la guerre, je peux gagner la bataille. Il y a des moyens. Des pieux, et d'autres trucs, glanés au fur et à mesure des interviews.

Et puis si ça doit arriver, ça arrivera. J'ai survécu une fois alors que j'aurais pas dû, et Lei ne me cherche pas, ou on aurait fini par se trouver, donc je dois pas vraiment lui manquer. Et en même temps, je suis trop têtu pour renoncer à la chasse. Alors je ne lâcherai pas l'affaire, et j'utiliserai toutes mes nouvelles ressources pour ça. Et je supporterai toutes les remarques.

Les gars m'ont un peu expliqué le principe. Je sais qu'on bosse en équipe de trois, les enquêteurs, et sous les ordres d'un inspecteur. Pas foncièrement différent de la police traditionnelle, et ça me convient. Même si trois, avec un humain et deux vampires, ça peut faire des étincelles. Je me demande bien quel genre de collègues je vais avoir, mais je me doute que ça va pas forcément aller comme sur des roulettes. D'ailleurs, une personne censément de mon équipe m'a "convoqué" dans son bureau. Je crois qu'il a pas bien compris. Ok, je viens d'arriver, je suis un humain, et je suis le nouveau, mais j'ai vécu toute ma vie dans la discrimination, et il ne me fera pas flancher.

Il me fixe de haut, mais c'est tellement habituel que je ne peux que lui rendre son regard, un sourcil haussé derrière ma frange. Mes cheveux sont en un chignon serré, par habitude, et je ne porte pas de costume. On m'a dit que ce n'était pas obligatoire, et je déteste la tenue. J'ai une chemise col mao, à manches longues, d'une couleur qui complimente mes yeux, et un pantalon noir, stretch et confortable, avec des bottines noires dans lesquelles je peux marcher des jours. Je le sais, je l'ai déjà fait.

"Vous pouvez même m'appeler Dewei-chan, en vrai, mais c'est aussi poli de se présenter."

Je suis poli la plupart du temps. Globalement. A peu près. Le respect des anciens, et tout ça, c'est dans la tradition chinoise dans laquelle j'ai grandi. Mais j'ai appris à mordre en retour quand on m'attaque. Respectueusement, évidemment. Enfin, presque.

Il continue son discours, et plus il parle, plus je souris. Cherchez pas, ça fait partie de ma façon de répondre aux cons. S'il croit que ses insultes de maternelle vont me faire plier, il se fourre le doigt dans l'oeil jusqu'au cou...de. Et il continue, en mode, je suis sérieux, je suis le grand méchant loup et tout ça. Il prend même la pose, appuyé sur son dossier, comme si c'était censé m'impressionner. Et j'arrive pas à me retenir, j'éclate de rire. Mais le vrai fou rire, celui qui vous tord en deux et vous fait pleurer. Pendant au moins cinq bonnes minutes. Je finis par m'appuyer sur le mur pour reprendre mon souffle, m'essuyant les yeux et le regardant.

"C'est bon? Le numéro de méchant est fini? J'ai passé mon interrogatoire et non, ce n'était pas pénible ou douloureux, et oui, nous sommes collègues."

Je peux insister autant que lui sur le mot, voire même un peu plus.

"Je sais ce que c'est de travailler dans une ambiance de merde parce que tout le monde et son cousin pense être supérieur à vous, vous pourrez dire ce que vous voulez, je m'en cogne, du moment qu'on bosse. On est tous les pour la même chose, faire respecter la loi, et protéger la population. Qu'ils soient vampires, humains, extra-terrestres, c'est pas mon problème. Et si CA vous pose un problème, allez voir votre boss pour changer d'équipe. Moi, je suis très bien là."

Sans attendre de réponse, je m'installe sur une pièce de mobilier, chaise ou coin de table, n'importe, ça changera pas ma vie. Je croise les jambes, et je le regarde. Voyons maintenant ce qu'il va répondre. Et s'il essaie de m'ensorceler pour me faire parler, je jure que je trouverai un moyen de le buter.

Eh, mais c'est une boule de joie le nouveau collègue. C'est qu'il se prend vraiment au sérieux. C'est franchement hilarant, parce qu'en réalité je ne mens pas en disant que je m'en contrefiche. Il veut voir comment je réagis à la pression? Pas de souci. Je ne doute pas qu'il ait vécu des trucs dans ses probablement siècles d'existence, mais à mon échelle, j'en ai vécu aussi, et il ne m'impressionne pas. Il a probablement du fric, des privilèges, et pense que tout lui est dû. Très bien pour lui.

Mais ça n'empêche qu'il me fait marrer, et mon sourire ne me quitte pas. Il croit vraiment à son numéro, c'est adorable. J'ai presque un peu envie de lui tirer les joues pour qu'il se détende.

"Eh, les vampires peuvent choper des rides? Parce qu'à force d'avoir l'air de croquer dans un citron ça va finir par arriver, hein. Faut faire gaffe, Asano-san."

Je lui fais un clin d'oeil. Je ne lui en veux même pas de ce qu'il fait. C'est comme un chien qui essaie de pisser plus haut que l'autre sur l'arbre pour montrer qu'il est plus grand et plus fort. Il EST plus grand. ET plus fort. Il veut quoi, une médaille en chocolat?

"C'est super mignon, comme discours, en vrai. Je me fiche d'être l'égal de qui que ce soit. Comme je l'ai dit, on est collègue. Vous ne serez ni le premier, ni le dernier, qui ne peut pas me voir en peinture. Ca ne m'empêchera pas de faire mon travail. Maintenant, si on a terminé avec la petite danse du pseudo-alpha, on peut commencer à bosser? Vous m'expliquez comment le service fonctionne, je vous explique que je ne suis qu'un faible humain... Ah non, pas besoin, vous le savez déjà. Mais on essaie de trouver comment on PEUT travailler correctement. Je suis pas là pour vous laver le dos dans la douche, quoi que vous pensiez que vous méritez, et encore moins pour vous lécher les pompes. Je veux juste aider des gens et je SAIS que je suis bon dans ce que je fais."

Tout du long, je n'ai pas arrêté de sourire. Je ne suis pas rancunier, c'est un gros avantage. Sauf envers une et une seule personne, et la totalité de mes sentiments négatifs se concentrent sur lui. Le reste est du pipi de chat. Il veut jouer au tourmenteur? Ok, très bien. Son attitude n'est pas meilleur que les gamins de douze ans qui décidaient que tabasser un gosse de cinq ans était drôle. Je suis plus faible, je suis plus petit, je suis manipulable, tout ce qu'il veut. Donc il a juste l'air de vouloir compenser une petite ... pas besoin d'image pour ça, vous voyez ce que je veux dire. Si j'avais besoin de prouver ma dominance sur un gamin de dix ans, je compenserais aussi. Le rapport de force n'est pas bien différent. Et je n'ai jamais eu d'intérêt pour les petites brutes. Je veux travailler, parce que le plus vite je sais comment ça marche, le plus vite je peux rerouter les ressources vers ce dont j'ai besoin. Ce qui compte vraiment. Contrairement à Asano Shiomi-san.

Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'on va bien s'entendre. Comme les vieux couples de sitcom, toujours à s'engueuler pour un oui pour un non, mais qui au final se rassemblent dans l'adversité. Bon, je pense que c'est pas trop le moment de lui dire, parce que le citron s'est transformé en pamplemousse, et j'ai de plus en plus peur pour la forme de son visage. Honnêtement, à un moment, il va rester figé comme ça, aussi ridé que les fesses d'une mamie. Il me trouve insolent, mais il ne sait pas la moitié de ce que je pense. Probablement pour le mieux, pour l'instant. Il finira par apprécier mes blagues. Comme tout le monde (ou au moins une portion excessivement congrue de la population), je l'aurais à l'usure.

"Je doute que ça serve à grand-chose, j'atteindrais pas le haut..."

Je hausse un sourcil avec un petit rire. Je n'ai aucun complexe sur ma taille, je m'en fiche autant que du reste. Il continue à faire sa tête de pamplemousse pour... me mater les fesses? Quel volte-face ! On passe de l'agacement au harcèlement sexuel. J'ai presque envie d'applaudir à ce stade. C'est bien une chose pour laquelle on ne sera pas collègues. Je ne mélange pas plaisir et boulot, même avec cette ridicule tradition d'aller boire des canons avec ses partenaires de travail. Très peu pour moi. Je laisse échapper un petit "Aaaah..." quand il parle de la chaise. Ouais, ça paraît plus cohérent. Et comme j'ai décidé d'être un garnement, je ne bouge pas.

Il parle de ce que je sais faire, et un nouveau rire m'échappe. Franchement, c'est la régalade, les échanges avec lui. On va finir en duo comique de la BAV, je vous le dis. Enfin, je suis certainement bon public, parce que le niveau n'est pas très élevé.

"Effectivement, je ne fais pas un bon en-cas d'urgence. En revanche, j'ai beau ne pas avoir de sens vampiriques, et j'ai beau avoir cette tronche, je sais connecter les points. Et surtout, le meilleur truc pour lequel la plupart des petits copains que j'ai croisé n'ont pas, je gère très bien les discussions avec les victimes."

Cette fois je ne souris plus, on parle de mon travail.

"De ce que j'ai compris de mes échanges, il y a souvent des difficultés parce que la plupart des humains lambda pas forcément au courant ont quand même l'instinct de survie. Celui-ci reconnaît le prédateur dans le vampire, et cela rend les échanges plus complexes et tendus. Il est plus difficile de créer le lien de confiance nécessaire."

Je hausse un sourcil et je le désigne vaguement de la main. Franchement, je suis une victime, je lui donne pas le bon dieu sans confession, comme disent les chrétiens.

"Je sais ce que vous allez dire, vous n'avez qu'à leur suggérer de vous faire confiance. Sauf que ça ne fonctionne pas sur tout le monde. Alors que mon sourire? 100% de taux de réussite, jusqu'à présent."

Et il revient d'ailleurs en force. Je me doute qu'il va se cogner de 95% de mon discours, donc j'ai peu d'espoir.

"Et au pire du pire, vous me jetez sur un vampire, il va croquer dedans, limite vomir, et ça va l'interrompre suffisamment longtemps pour lui tirer dedans ou lui coller un pieu bien placé."

Et là, je ne suis plus dans la discussion sérieuse. Je reste persuadé qu'il va envisager cette solution, par contre. Et en vrai, je commence à bien l'aimer. Je suis sûr il se donne un genre parce que c'est un petit richouille, mais au fil des années, je vais les sortir un par un, les balais collés dans son séant. Foi de Dewei.

Je continue à l'observer, parce qu'on lâche pas un prédateur des yeux, et parce que je suis un peu fasciné par sa tête de pamplemousse. Et c'est subtil, mais on repasse au citron alors qu'il réfléchit à... quelque chose. Ce que j'ai dit, peut-être. Difficile à dire, mais il finit par bouger, et je commence à croire que les dieux existent. Peut-être, quelque part. Il attrape un dossier, le range, réajuste sa cravate comme un CEO qui vient de finir de se taper sa secrétaire, avant d'avouer que ce n'est même pas son bureau. J'éclate de rire. Je le savais ! C'est un petit plaisantin derrière un extérieur de petit vieux tout aigri ! On va s'entendre à merveille !

Je descend de ma perche et je le suis, même si je suis sûr qu'il allonge le pas exprès pour me faire à moitié galoper derrière lui. Il fait un pas, j'en fais deux et demi, mais maintenant que je le tiens, je le lâche plus. Je serai le Capitaine Ahab de sa Moby-Dick. Heureusement qu'il me regarde pas à ce moment-là, parce que je suis obligé de mordre mon poing pour pas éclater de rire. Je le laisse attraper sa veste et je le suis, je serai obligé de faire un petit saut pour attraper le dossier. Il fait exprès, je suis sûr.

Je peux lire tout en le suivant. Un art perfectionné par des années de petits saloupiots qui ne me donnaient jamais les dossiers avant le dernier moment. Je lui jette un coup d'oeil à sa dernière remarque.

"Pas de souci, Shiomi-san, je n'y manquerai pas."

Je lui adresse un sourire canaille avant de choper le dossier et de commencer ma lecture. L'affaire d'un humain agressé par un vampire. Tragiquement classique, en réalité. Assez peu de détails sur les circonstances de l'attaque, d'ailleurs, et visiblement, l'humain n'est pas très sensible à la suggestion, ce qui prouve que j'ai raison sur certaines problématiques. Je continue à le suivre.

"Que sait-on des circonstances de l'attaque? Il y a une légitime défense pour les vampires ou pas? J'ai été briefé sur pas mal de choses, mais pas sur toutes les lois."

Et en plus, il y a un truc qui me chiffonne dans cette affaire, mais j'arrive pas à mettre le doigt sur quoi. Je continue à le suivre en lisant le dossier, ne lui rentrant même pas dedans, mais ne restant pas en arrière. En réalité, ça me va de ne travailler qu'avec lui aujourd'hui, parce que si le deuxième est pareil, je ne pourrai pas gérer les deux s'ils se mettent contre moi. Et comme ça, on peut apprendre à se connaître. Je veux absolument voir si sa face de citron reste en place devant les victimes. Probablement. Ou on repasse au pamplemousse. Je verrai bien, mais ça promet d'être intéressant, parce que j'apprends sur lui, autant qu'il apprend sur moi.

"D'ailleurs, j'ai exposé mes points forts, mais au-delà du cliché de grand, sombre et beau gosse, c'est quoi la vôtre, de spécialité?"

Parce qu'à moins qu'il pense qu'avoir l'air d'un poète torturé aide dans ses enquêtes, et au-delà de ses compétences vampiriques, j'aimerais en savoir plus quand même.

Le trajet en taxi me donne le temps de réfléchir à ce qu'il me dit. Bien entendu, on n'évoque pas le sujet des vampires devant les gens qui n'y connaissent rien, ce serait bien le comble qu'on soit les premiers à violer une loi du secret. Je trouve les règles étranges. Oui, je suis d'accord, les vampires ont un avantage certain, entre la suggestion, leurs sens, leur force. Et en même temps, une victime es une victime, quelle que soit sa race. Je n'ai pas spécialement de velléité humaniste, quoiqu'il en pense. Je garde le silence jusqu'à ce qu'on sorte du véhicule.

"Je pense qu'il y a misconception sur ce que je pense. Je ne veux pas protéger qu'une portion congrue de la population. Quelle que soit son origine, sa race, sa couleur, son orientation, une victime est une victime. Une personne est une personne. S'ils ont fait quelque chose de mal, alors ils doivent être punis. Je peux comprendre qu'avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités, mais décider que la faute est systématiquement de leur côté..."

Un claquement de langue m'échappe et mon sourire revient. Il m'explique sa spécialité, et je rigole un peu. Un autre têtu, ça risque d'être explosif. Qu'il prenne des libertés avec ce qu'il imagine que je pense ne me dérange pas. Il apprendra.

"Eh, on travaille avec les règles qu'on a. Et j'aime bien les gens qui lâchent rien. Maintenant, allons voir notre victime."

C'est une jeune femme, dans ces stupides couvertures qu'on donne aux gens parce qu'il y a souvent une sensation de froid, avec le choc. Et elle a l'air en état de choc, ça c'est sûr. Je ne suis pas certain qu'elle reste ici par suggestion, mais plus parce qu'elle ne sait plus du tout où elle en est. Et sa fascination pour le fleuve me fait un peu peur. Il ne manquerait plus qu'elle aille se jeter dedans. Oh, ça réglerait des soucis pour la BAV et les vampires, mais ce serait tragique.

Elle ne répond pas à Asano-san quand il s'assied à côté d'elle, et ça ne me surprend pas vraiment. Je m'accroupis devant elle, lentement, pour couper son vague regard vers le fleuve. Elle se tend, visiblement, mais c'est aussi normal. Très doucement, pour lui laisser le temps de refuser si elle veut, je prends ses mains dans les miennes. Je fais très attention à ce que le dos de mes mains soit vers le bas. Certaines personnes réagissent mal aux tatouages. Peu à peu, son regard remonte de nos mains jusqu'à mon visage. C'est ce qui est le plus compliqué, avec le choc. Si on force les questions, ça bloque les gens. Il faut être patient. Très patient.

Je lui adresse un sourire gentil, et j'attends encore un peu que ses yeux se fixent. Elle a les pupilles complètement éclatées. La pauvre, elle est hyper traumatisée.

"Hey, bonjour... comment vous vous appelez? Moi c'est Dewei, Sakurai, et le beau gosse à côté de vous c'est Shiomi Asano." Je lui adresse un petit clin d'oeil qui lui arrache un fantôme de sourire. "Nous sommes enquêteurs à la brigade des affaires violentes."

Je la laisse digérer ça tranquillement, me donner son nom si elle le veut, je ne la presse pas. Mon ton reste doux, parce qu'il faut.

"Nous n'allons pas vous harceler de questions, ne vous en faites pas, mais si vous le souhaitez, quand vous vous sentirez prête, j'aimerais bien que vous nous expliquiez ce qui s'est passé, pour que nous puissions arrêter la personne qui vous a fait du mal, d'accord?"

Je continue à la regarder, aussi gentiment que je peux, et j'attends. Qu'elle soit prête, qu'elle nous donne sa version des faits, qu'elle nous explique ce qui s'est passé. Et on traitera le reste ensuite.

Enfin, alors que je vois déjà Asano-san ronger son frein sur le banc, la jeune femme commence à parler. Kyoko, se présente-t-elle. Son agression apparaît banal. Le maniaque, complètement dérangé, pour lui avoir mordu le bras, comme ça. C'est surprenant, d'ailleurs, le bras. C'est pas là où j'irais croquer quelqu'un, d'instinct, si j'étais un vampire. Parce qu'à part l'aisselle, y a pas vraiment de gros gros vaisseau qui passe par là. Ce serait un peu spécial. Enfin, chacun ses goûts, même chez les vampires, j'imagine.

Le discours est décousu, ce qui n'est pas foncièrement surprenant avec une victime traumatisée, mais j'entends le léger claquement de langue de mon partenaire. Tenant toujours les mains de la jeune femme, je détourne le regard vers lui, et lui adresse un clin d'oeil assorti d'un sourire. Chaque chose en son temps, Asano-san, chaque chose en son temps. Je la laisse finir de parler et, avant qu'elle ne soit trop perdue dans ses pensées, je repars à mon doux assaut.

"Kyoko-san, je comprends la difficulté de revivre tout cela, mais pourriez-vous nous dire à quoi ressemblait cet homme étrange? Cela nous aidera à le retrouver, et à éviter qu'une autre personne vive ce que vous avez vécu."

Je n'étais pas spécialement inquiet sur une intervention de mon partenaire. Il voulait me tester, et je lui avais dit que c'était mon point fort. Il voudrait certainement voir jusqu'où je pourrais aller. Ce que j'arriverais à lui tirer, comparativement à une suggestion. Bien entendu, ça ne fonctionne pas sur tout le monde, mais la plupart des gens traumatisés veulent ne pas être agressés, en réalité. Et ça, je savais faire.

Je prends le temps de me redresser, laissant à mon cher collègue l'opportunité de faire ses affaires en privé. Je retiens un sourire, parce que la situation n'est pas amusante du tout, mais mon esprit a du mal à ne pas tout tourner à la dérision simplement pour ne pas trop m'appesantir sur tout ce qui ne va pas, dans cette ville de façon générale, ou dans ma vie. Tous les sujets auxquels je ne veux pas penser, en somme, donc auxquels je ne pense tout simplement ça. La méditation, c'est pour les faibles. Réfléchir? J'en parle même pas.

Je regarde la jeune femme, qui semble désormais convaincue qu'elle a été mordue par un chien (un sacrément gros, parce que pour la mordre au bras, faut y aller, même si elle n'est pas bien grande), et qu'elle doit rentrer chez elle. Je ramasse la couverture quand elle s'en va, la repliant avant de partir avec, histoire de ne pas trop laisser de traces. Je jette un oeil à Shiomi-san, qui se frotte le front. Je n'ai pas été briefé sur le sujet. Est-ce que la suggestion peut peser autant sur le vampire? est-ce que mon partenaire de jour se nourrit correctement?

Je le fixe pendant un instant avant de le suivre. Je souris en entendant ce qu'il m'annonce, presque entre des dents serrées. Mal de tête, ou ça arrache sa face de pamplemousse de me dire que j'ai fait quelque chose de bien? Une seule façon de le savoir. Il ne veut pas qu'on lui mente, alors je serai aussi brutalement honnête qu'il le veut. Et il mangera ses mots avec un filet de jus de citron, à n'en pas douter.

"Et je gagne quoi, pour avoir bien travaillé? Une médaille en chocolat? Un petit biscuit? Une tape sur la tête et un "brave petit"? Je vote pour le troisième, comme ça je deviens officiellement la mascotte de notre équipe, et plus personne ne pourra me détacher de là."

Je le surveille quand même, pendant que je parle, même pas surpris quand on s'arrête pour attendre un taxi. S'il me fait une tape sur la tête sans discuter, je l'emmène directement chercher des poches de sang, parce que je me doute que ça n'est pas son comportement normal. Je laisse un peu de temps passer, et quand le taxi arrive, je hausse un sourcil, toujours en souriant, parce que le jour où je ne sourirai plus, il se demandera ce qui se passe. Une idée pour une autre plaisanterie, un jour.

"Ce serait un bon entraînement pour moi de faire le rapport version BAV, voir si c'est fort différent de ce qu'on fait dans la police traditionnelle. Je vous le ferai relire demain."

Je lui fais un clin d'oeil. Je plaisante, et en même temps pas. Je m'inquiète pour lui. Je suis une bonne âme, que voulez-vous que je vous dise. Appelez-moi Mère Theresa. Ou pas, en vrai, ce serait vraiment bizarre. Cela dit, je suis quand même intrigué. Si je pose la question, je sais qu'il ne me répondra pas, alors je me contente de lui ouvrir la porte du taxi avec une courbette exagérée pour l'inviter à rentrer. Je m'installe à la suite. Je pense qu'il va me dire non, en vrai, mais... Eh, ça ne fait qu'un jour, on ne se fait pas encore entièrement confiance. Mais je sais que ça viendra. Pour certaines choses, en tous les cas. Je lui adresse mon plus beau sourire, attendant sa réponse. Un jour.