« On dirait que ça a enflé… » Le barbu grisonnant termine sa phrase dans une cacophonie. Sa toux est si grasse qu’il lui faudrait peut-être l’aide d’un plombier pour déboucher tout ça. Au milieu des poils hérissés sur ton bras nu, on remarque une zone très irritée couleur cramoisie qui forme une petite dune et qui te démange la peau.
Cette nuit, tu t’es réveillé en sursaut en sentant quelque chose te chatouiller à cet endroit. Encore dans le flou et sans éclairage, tu n’as rien remarqué de particulier. Cependant ce matin, il y avait bien une marque à cet endroit et même un peu de sang séché. La plaie a alors été rincée auprès d’une fontaine et puisqu’elle ne te faisait pas souffrir, tu l’as simplement oubliée comme toutes les autres.

Ce n’était peut-être pas une si bonne idée. Dans l’après-midi, alors que tu t’étais proposé pour laver les vitres d’un café en échange d’un chocolat chaud, tu as commencé à sentir une gêne près de ton poignet gauche.
Le vieil homme avec qui tu avais partagé l’évènement de la nuit passée ce matin a alors jeté un coup d’oeil sous ta manche et n’avait rien évoqué de rassurant.

C’est pourquoi tu te retrouves légèrement paniqué devant les portes de l’université. En arpentant le campus pour la première fois, tu te demandes si t’aurais pu rejoindre ce genre d’établissement en ayant terminé le lycée. Quelle genre de filière t’aurais choisi aussi. Beaucoup de choses d’intéressent, mais aucune ne te passionne. S’il avait fallu faire un choix, peut-être que tu aurais tenté quelque chose d’artistique comme le dessin.
En observant un groupe d'étudiants se livrer à cette même activité, tu penches la tête un chouilla hésitant. Peut-être qu’avec ton sac à dos, on va penser que toi aussi, tu étudies ici? Alors tu t’approches et tu questionnes.
Personne ici ne semble savoir où se trouve un dénommé Moarai… Que faire.

La chance à voulu que tu le reconnaisses un peu plus loin. Malheureusement pour toi, il semble accompagné et encore une fois, tes pas s’arrêtent et on ne sait pas si tu as froid ou envie d’aller aux toilettes à te voir trépigner ainsi sur place. Très fort, tu pries pour qu’il te remarque et pouvoir l’attirer vers toi sans qu’on te voit.
Les rares élèves qui acceptaient ta compagnie avaient souvent honte de te présenter au reste de leurs amis. Au moins de cette manière, tu espères ne pas trop le déranger, ni l'embarrasser. Si jamais il passe son chemin, le message sera reçu cinq sur cinq et tu tenteras ta chance une autre fois.
Peut-être que tu as vraiment envie de soulager ta vessie maintenant.

“ Waaaaa le cours est enfin terminé !! Il était vraiment complexe cette fois-ci ! ”
“ Tu parles, j’ai dû me concentrer à fond pour ne pas décrocher. ”
“ Je suis certaine que Hisao a tout compris sans faire d’efforts. N’est-ce pas ? ”

Akiko te donne un petit coup de coude alors que tes joues s’empourprent d’une légère teinte rose dragée. Tu restes silencieux alors qu’elle reprend la parole.

“ Il rougit ! J’ai raison. Il ne veut cependant pas l’avouer parce qu’il supporte mal les compliments à outrance. ”
“ Ohhhhh, tu es vraiment adorable Hisao ! ”

Tu esquisses un faible sourire alors que la teinte de tes joues s’accentue légèrement plus. Pour ne pas qu’on fasse de remarque supplémentaire te concernant, tu détournes le regard quelques instants et tout le petit monde autour de toi comprend qu’il ne faut pas en faire une de plus. Alors, le sujet change rapidement et vous passez à autre chose, sans doute pour ne pas te mettre plus mal à l’aise que tu ne l’es déjà.

Tu as toujours eu des facilités en plus d’une excellente mémoire. Suivre les cours auxquels tu assistes n’est pas plus compliqué que ça à tes yeux. Tu travailles cependant comme un acharné, sans te reposer sur tes acquis, alors tes efforts te hissent aux premières places des classements. Sur ce ring, personne ne peut te battre. On te donne même le surnom de “prince de la médecine”, chose qui ne ravit que tes parents puisque ça te gêne plus qu’autre chose.

[...]

Votre conversation fait bon train alors que vous êtes sortis dehors pour prendre un peu l’air. Il vous faut bien ça avant de retourner travailler à la bibliothèque. Tu aurais pu enchaîner sans problème, mais tu comprends aussi que les autres ont besoin d’une pause avant de pouvoir reprendre les révisions. Il faut tout de même avouer que le cours qui vient de se finir était particulièrement dense.

C’est lorsque tu relèves la tête que tu aperçois une tête qui t’est familière. Ce garçon un peu plus jeune que toi, tu l’as déjà soigné par le passé. À la base, ce n’était rien de bien grave. Mais comme il avait laissé le tout s’infecter, il y avait eu quelques complications. Heureusement, tout s’était bien terminé. Sans doute, revient-il aujourd’hui parce qu’il a besoin de toi. Dans le doute, tu préfères directement aller lui demander. Tu indiques donc à tes amis que tu vas t’absenter, puis tu rejoins le jeune Koni à qui tu offres un doux sourire.

- Bonjour Koni ! Comment vas-tu ? Tu as besoin de quelque chose ?

Tu ignores les regards plus ou moins discrets qui se posent sur vous. Certains étudiants doivent se demander pourquoi un jeune homme de ton rang discute avec quelqu’un que personne ne connaît.

Il t’a vu.
Il s’approche.
Tu fais un pas en arrière.

Dans le creux de ta main, la lanière de ton sac se tend. Indéniablement nerveux de retrouver celui qui allait finir par devenir ton infirmier attitré. Tu ne sais pas encore comment t’y prendre pour lui avouer que tu as fait le déplacement pour l’embêter. Tes pupilles se pressent d’un côté puis de l’autre, scrutent curieusement son visage puis retombent sur le bout de tes pieds. Les gerçures sur ta lèvre inférieure sont passées en revue, une petite peau finit sous une dent.
Certaines personnes sont difficiles à regarder en face, des gens comme Hisao. Trop brillants. Passer ton temps dans l’ombre te rend sensible au soleil.

« J’crois! Ou-Oui- En fait…J’ai un problème! » L’inquiétude à pris le dessus et tes paupières s’écarquillent un instant en lui faisant face. C’est le temps qu’il te faut pour te rendre compte que répondre à sa question n’est pas la première chose que t’aurais dû faire. « Ah- Uh. Non! J’veux dire- bonjour… » L’embarras t’avale d’une seule bouchée, tu disparais à moitié derrière ton écharpe ravagée par les mites.

C’est ainsi que tu comprends que vous êtes la cible de quelques regards interrogés. C’est ta faute, mais tu ne sais pas quoi faire pour réparer ton erreur. L’étudiant pensait-il vraiment ce qu’il t’a dit quand il t’a incité à revenir le voir? Tu ne sais pas.
Tu ne sais pas, mais tu n’as pas d’autres choix, si?

« Désolé, j’savais pas trop quoi faire… J’ai paniqué…J’suis v’nu là…Comme t’as dis l’aut’e fois…Tu sais? » D’une petite voix, étouffée par l’épaisse couche de laine, tu marmonnes quelques mots pour tenter de t’en tirer. Et puis, tu te décides à lui montrer ton bras avant d’être trop tenté par l’idée de partir en courant. « J’ai ça! Je-J’sais pas c’est quoi! C’tait pas comme ça t’à l’heure! C’matin! Pis on m’a dit que… c’tait p’tet un rat, ou une bestiole malade… On m’a dit aussi- On m’a dit qu’il fallait couper l’bras si jamais ça ganrène…ou…gan-ganveine? ‘fin ch’ai p’u’ trop. S’te plait, j’veux pas qu’on m’taille le bras… » T’as raconté tout ça d’une traite pour ne pas perdre ton courage à mi-chemin. Ce que t’as perdu par contre, c’est ton bon japonais. Tu voulais faire l’effort pour l’étudiant. C’est quelqu’un d’important. Il parle lui, il cause pas. « Hmm- » De l’autre main, tu attrape le haut de l’écharpe pour la rabattre sur ton nez, la larme à l’oeil, légitimement terrifié à l’idée de te faire mutiler.
« Y'a tout l'monde qui r'garde... »

Zut.

Tu n’es pas à l’aise à faire la conversation au beau milieu de tout ce monde. On vous regarde de manière beaucoup trop insistante, tu ne te vois pas examiner la blessure de Koni dans ces conditions. Premièrement car ce serait impoli de ta part, deuxièmement car tu sens que le jeune homme a déjà dû faire un effort pour venir à ta rencontre et que tu ne veux pas lui en demander plus.

- Tu as bien fait de venir me voir. Je vais regarder ta blessure, mais pas ici.

Ta voix est douce, tu lui offres un sourire rassurant.

- On va aller chez moi. Il faut marcher un peu, ceci-dit. J’espère que ça ne te pose pas de problème.

Tu attends sa réponse avant de te mettre en route. D’un geste de la main, tu dis au-revoir à tes amis qui te regardent tous avec de drôles de regards d’incompréhension. Sans doute, se demandent-ils pourquoi tu t’abaisses à parler avec un jeune homme pareil. Vous deux, vous ne jouez pas dans la même cour de récréation, doivent-ils penser. Tu trouves leur réaction déplacée, alors tu tires une petite moue déçue avant d’enfin tourner les talons pour de bon. Ce n’est pas la peine d’aller leur parler et d’essayer de leur expliquer, ils ne comprendraient pas.

[...]

Le chemin du retour  jusqu’à ton appartement se fait en silence, sans que tu ne parles de quoi que ce soit. Tu es perdu dans tes pensées, tu divagues légèrement sans pour autant trop te perdre dans les méandres de ton esprit. Après tout, tu dois pouvoir répondre à Koni s’il vient à te parler.

Lorsque vous arrivez enfin devant l'immeuble dans lequel tu habites, tu déverrouilles la lourde porte avant de l’inviter à entrer.

Le marbre court du sol jusqu’au plafond, un immense lustre est suspendu et d’autres luminaires parsèment la pièce sans doute beaucoup trop éclairée. Les immenses miroirs jonchent les murs pour agrandir l’entrée déjà immense.

Tu te diriges vers les ascenseurs et tu en appelles un en effectuant une légère pression sur le bouton. Lorsque ce dernier arrive, tu laisses le jeune homme entrer en premier avant de le suivre. Puis, après une ascension jusqu’au dernier étage, il ne reste que quelques mètres à parcourir. Une fois ces derniers faits, tu ouvres la porte et attends que ton invité entre. Ensuite, tu le suis et tu refermes la porte derrière toi sans pour autant la claquer.

- Tu as faim ?

Tu te délaisses de ton sac à dos que tu poses à l’entrée, puis tu fais directement route vers la grande cuisine pour vous servir des verres d’eau. On t’a appris à recevoir, il est hors de question que tu laisses tes invités dans le besoin.