Après une bonne semaine cloîtré dans l’appartement de Shiomi, tu peux enfin de nouveau mettre le nez dehors et retourner vaquer à tes occupations comme tu l’entends. C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que tu reprends le chemin vers le campus universitaire de Mihara. Tout ça t’a beaucoup manqué et tu as hâte de recommencer à suivre tes cours, écrire tes articles et faire tout ce qui touche de près ou de loin au journalisme. La semaine passée a été rude, tu en as bien bavé, mais c’était mérité. Inconsciemment, lorsque tu as mordu Satomi, tu savais qu’on allait pas te féliciter. Bien évidemment, tu ignorais que ça irait aussi loin, mais inutile de trop te torturer l’esprit avec tout ça puisque c’est maintenant derrière toi.

C’est donc avec plus ou moins d’assurance que tu fais route jusqu’au campus qui n’est pas très loin de chez toi, écouteurs dans les oreilles. Écouter de la musique te détend et te permet de réduire le stress. Sans doute, as-tu peur de croiser Nakamura au détour d’un couloir. Tu ne te sens pas encore prêt à affronter son regard, ni même à simplement sentir sa présence. Quelque chose te dit qu’il est beaucoup trop tôt pour lui faire face. Et puis, tant qu’à faire, si tu pouvais l’éviter jusqu’à la fin de l’éternité, tu le ferais.

[...]

Tu te figes sur place lorsque tu entends une voix qui t’es bien trop familière par-dessus ta musique. Parmi toutes les personnes sur cette planète que tu pouvais croiser, c’est sur elle que tu es tombé. Décidément, tu as un karma négatif et ta chance est inexistante. Tu soupires avant de te retourner vers elle, l’air livide.

Elle te demande quelques minutes, chose que tu lui accorderas puisque tu n’as visiblement pas trop le choix. Puis, elle te tend une pochette avec les cours que tu as manqué durant ta semaine d’absence. Tes yeux s’écarquillent sur le coup de la surprise et tu relèves la tête pour la regarder dans les yeux, incrédule. Tu dois avoir l’air tellement stupide.

- Mes cours…? Oh je… Merci.

Tu n’arrives pas à lui sourire, même si tu aimerais bien, au moins pour lui montrer que tu es reconnaissant envers elle. À la place, tu t’inclines en avant de bien quatre-vingt-dix degrés pour lui montrer ta gratitude. Puisque ton visage n’arrive pas à exprimer quoi que ce soit, tu es bien obligé de faire autrement, et tu t’en veux terriblement. C’est comme si tu avais enfermé tes sentiments dans une petite boîte fermée à double tour et que tu l’aurais rangée bien au fond de ton cœur.

Peut-être faudrait-il que tu lui demandes si ça va, si elle se sent bien ou autre, mais tu n’as pas envie de coopérer. Tu as juste envie de fuir le plus loin possible d’elle et de ne plus jamais la recroiser. Rongé par la peur, tu ressembles à une proie et elle le prédateur, alors que ça devrait plutôt être l’inverse. Ta faiblesse te répugne, mais tu ne peux rien y faire. Après tout, c’est de ta faute et uniquement de ta faute si tu es dans cet état.

Pour combler le silence, tu te délaisses de ton sac à dos avant d’ouvrir ce dernier pour ranger la pochette que Satomi t’a gentiment donnée quelques instants plus tôt. Une fois cela fait, tu refermes le sac et le remets sur tes épaules.

Tu n’arrives pas à soutenir son regard, alors tes yeux sont fixés sur ce qui se trouve derrière elle. Tu te demandes si tu dois ajouter quelque chose, si elle a envie d’entendre encore plus de remerciements de ta part. En soi, tu ignores même pourquoi elle n’est pas partie directement après t’avoir donné tes cours. Après tout, elle n’a aucune raison de vouloir te parler… À part peut-être pour te poser des questions.

- Il ne fallait pas…

Qu’est-ce que tu aimerais fuir.

Tu as bien merdé et tu as aussi bien payé, c’est un fait. Cependant, tu ne te remets toujours pas de certaines choses, comme de ton entretien avec l’inspecteur Roy qui s’est terminé sur une très mauvaise note, pour ne citer que ça. Les blessures sont encore trop fraîches, certaines plaies sont encore ouvertes et tu ne fais que les rafistoler avec les moyens du bord. Autant dire que ça ne fonctionne pas très bien et que les cicatrices qui resteront te rappelleront jusqu’à la fin de l’éternité le jour où tu as bravé l’interdit. Alors…Croiser Satomi Nakamura, la personne au cœur de l’affaire, ça ne peut que rouvrir les blessures qui peinent à se fermer. Elle représente tout et rien. Elle est la pomme que tu n’aurais pas dû toucher.

Face à sa première remarque, tu ne dis rien. Inutile de clamer ton malheur à quelqu’un qui ne peut pas comprendre ta peine. Ce n’est pas comme si tu pouvais comprendre la sienne non plus. Vous vivez tous les deux dans des mondes différents qui ne se croisent que de temps en temps, lorsque la faim se fait trop grande. Vous ne pouvez et ne voulez sans doute pas vous comprendre. Certaines choses ne demandent pas à être comprises non plus.

Visiblement, les rumeurs vont bon train puisqu’elle est au courant que tu as été enfermé pendant une semaine dans l’appartement de ton créateur. En soi, ça ne t’embête pas qu’elle le sache, comme ça ne t’embête pas qu’elle pense haut et fort qu’elle est mieux éduquée que toi. Là, tu n’as aucune envie de débattre sur le sujet, ni aucune force pour le faire. Pour toi, c’est comme si tout ce qui t’entourait n’existait plus, comme si vous étiez hors du temps. Tu ne voulais pas la croiser, et pourtant, c’est elle qui est venue à ta rencontre. C’est elle qui insiste pour faire la conversation…

Nakamura… Tu ne la comprends pas et tu ne veux pas la comprendre. Tu ignores la raison qui la pousse à venir te parler de la sorte, mais tu ne veux pas la connaître non plus. Tu aurais aimé qu’elle se contente de tes réponses bateaux et qu’elle te lâche la veste. Tu n’es pas d’humeur à faire celui qui a envie de papoter, ni celui qui a l’air heureux alors qu’il ne l’est pas. Tu n’es pas quelqu’un de totalement faux. Tu sais très bien mentir, mais là, tu n’en vois pas l’intérêt. Tu n’en as simplement peut-être pas la force.

- C’est derrière moi maintenant.

Ta réponse est on ne peut plus vague, tu la laisseras interpréter ce qu’elle désire, tu t’en moques éperdument. Visiblement, elle ne se gênera pas pour tirer des conclusions hâtives et te classer dans la catégorie des plus gros cassos de cette planète, alors que grand bien lui fasse.

- Bref, merci encore pour les cours Nakamura. C’est gentil d’avoir pensé à me les prendre.

Tu ne veux pas mettre fin à votre conversation sur une note négative. Il y a déjà beaucoup trop de négativité dans l’air ambiant, alors tu as fait l’effort d’au moins reconnaître sa gentillesse par rapport à ça. Tu te dis cependant qu’elle veut quelque chose en retour. Tu ne la vois pas récupérer tes cours gratuitement juste par bonté de cœur. Sans doute, a-t-elle quelque chose derrière la tête.

- Il y a quelque chose que je peux faire pour te remercier ?

Tu es juste poli. Tu aimerais qu’elle te réponde par une négation et qu’elle te laisse enfin partir. Cependant, quelque chose te dit qu’elle n’a pas terminé de te cuisiner.

Les mots de Nakamura… Ils te crèvent le cœur. Ce serait mentir si tu disais que tu n’étais pas touché par de telles paroles, que ton cœur ne s’était pas emballé juste en entendant ce qu’elle t’a dit. Tu sais que ça a été difficile pour elle de s’ouvrir de cette manière, de mettre sa fierté de côté pour avouer qu’elle voudrait qu’on ne te fasse pas de mal. Elle s’est inquiétée pour toi, qui est un parfait inconnu insignifiant à ses yeux. Elle doit sans doute te voir comme un monstre, mais elle a tout de même ressenti des choses à ton égard. Sa bienveillance te troue l’estomac, car toi, tu as souhaité qu’elle disparaisse et qu’elle crève dans d’atroces souffrances.

Tu es horrible, Takahiro. Tu ne mérites pas la gentillesse des autres et tu es toi-même loin d’être pur. Sous les traits angevins de ton visage, se cache probablement l’une des pires personnes que tu n’aies jamais connue. Celle-là, tu aimerais l’effacer, qu’elle disparaisse de ta vie.

Il est possible que tu ne mérites pas la bienveillance de la brune. Par rapport à ce que tu voulais pour elle, il est même certain que cette dernière aurait dû être adressée à quelqu’un d’autre. Ceci-dit, si Satomi a souhaité que les choses se passent autrement pour toi, c’est que peut-être, tu mérites tout de même un peu de douceur dans ta vie. Même si Shiomi est à tes côtés, il n’empêche que tu te sens terriblement seul dans ton quotidien.

Tu ne cherches pas à retenir la jeune femme qui semble ne pas vouloir rester plus longtemps, mais tu ne peux pas non plus la laisser filer comme ça sans lui dire aussi ce que tu as sur le cœur. Alors, tu attends qu’elle soit retournée pour parler, sans doute parce qu’il est plus simple de dire les choses sans avoir à affronter son regard.

- Merci, Nakamura. Je n’oublierai pas ton geste.

Tu serres les dents l’espace de quelques instants.  

- J’espère que si nos chemins doivent à nouveau se croiser, ce sera dans d’autres conditions.

Sans t’en rendre compte, tu esquisses un fin sourire avant de toi aussi, tourner les talons et t’en aller de ton côté. Même si tu n’as pas spécialement envie de revoir Satomi Nakamura, tu sens que quelque chose en toi par rapport à elle à changé.  

Vous n’êtes pas des amis, juste des connaissances qui gardent bien précieusement un secret commun. Mais d’une certaine manière, cela vous lie, et tu sais très bien que tu ne pourras pas fuir éternellement. Un jour, même sans le vouloir, tu sais que tu lui revaudras son geste.