Il s'agissait d'une responsabilité partagée. Le poids et les ennuis d'agir en tant qu'assistant d'un enseignant-chercheur. Le laboratoire en avait plusieurs, tous des vampires, évidemment, qui travaillaient pour la cause, mais aussi et surtout pour leur propre mérite. C'était un peu décevant, mais pas particulièrement surprenant. Peu possédaient l'acceptation nécessaire pour abandonner leur ego pour une cause communes et plus grande qu'un seul et unique individu. Cependant, dans un effort d'éducation, et pour respecter leurs obligations contractuelles, ces enseignant-chercheurs étaient contraints d'effectuer un certain nombre d'heures de cours chaque année.

Et chaque année, une loterie de la terreur était organisée pour "choisir" l'assistant, à savoir le laborantin, qui allait l'accompagner. En une trentaine d'année, Benedikt n'avait jamais été choisi, et cela lui convenait absolument. Il n'avait aucune envie de se retrouver au milieu des masses stupides et grouillantes d'une université, à être forcé d'être poli avec ces imbéciles qui pensaient que parce qu'il avait l'air d'avoir leur âge, il avait aussi leur niveau intellectuel pathétiquement bas. Cette année n'était pourtant pas une année chanceuse, visiblement. Son nom était sorti, et même le rictus de ses camarades face à l'incapacité de leur chercheur à prononcer son nom correctement n'avait pas réussi à le sortir de sa consternation.

Cependant, malgré ses défauts, il y avait une chose qu'il était impossible de reprocher à Benedikt, et il s'agissait de l'approximation. Appréciait-il la tâche qui lui était confiée? Absolument pas. Cependant, personne ne pourrait dire qu'il n'avait pas accompli son devoir. Comme il l'avait toujours fait, quoi qu'il lui fut demandé. Même quand il avait eu une professeure, il avait fait l'effort d'écouter. Donc il fit de même, récoltant les matériel, effectuant les copies digitales, pour un cours de... biochimie, visiblement.

Le jour si peu attendu était arrivé, et Benedikt avait enfilé une tenue préparée par Eri, un pantalon chino avec des bottines fourrées, un pull en cachemire à large col roulé, et un caban mi-long en laine, des gants chauds, et une écharpe volumineuse, le tout dans des tons de bleu et blanc, pour faire professionnel et malgré tout jeune, selon elle. Il avait mis tout cela avec indifférence, sauf le pull. Il comprenait l'intérêt de dissimuler son tatouage, même s'il pouvait être entraperçu si quelqu'un le regardait attentivement.

Il rejoignit le chercheur jusqu'à son cours, et, contrairement à ce à quoi il s'attendait, fut promptement sorti de la pièce. Sur une plaisanterie particulièrement cruelle, il lui fut demandé d'aller faire ce que tous les jeunes idiots faisaient, apparemment. Il quitta la salle, cherchant une bibliothèque. Il devait bien y en avoir sur le campus. Il y aurait peut-être même du silence, et un texte intéressant ou deux. Il doutait qu'il y en ait plus, ou qu'ils aient été touchés depuis des décennies. Il soupira, et s'apprêta à repartir, quand il fut attrapé par une jeune femme. Elle lui indiqua, d'une voix qui lui aurait causé une migraine des années plus tôt, qu'il allait être en retard en cours.

Refusant de causer un scandale, il la suivit, se retrouvant dans un cours de pharmacologie. Pas exactement sa spécialité, mais il avait eu l'occasion de toucher à plus de sujets que le commun des mortels pendant sa carrière. Il fut assis presque de force à côté d'un jeune homme. Heureusement qu'il s'était nourri la veille, ou cette journée aurait pu très mal tourner. Tant de corps chauds. Tant de bétail. Et pas beaucoup plus conscient des prédateurs parmi eux. Il observa son voisin d'un regard rendu lavande par les lentilles. Ce n'était pas confortable, mais elles pouvaient dissimuler au moins un début de manque de contrôle. Ce serait déjà suffisant pour le sauver en cas de problème.

Un instant, il se demanda s'il devait se présenter, puis se rendit compte qu'il se moquait bien de l'identité de son "partenaire de TD", puisqu'ils se lançaient sur ça. Il haussa un sourcil en regardant l'exercice à faire. C'était d'une simplicité. Et presque d'une inexactitude. Ils étaient vraiment incompétents. Ils avait dépassé le stade de la masse grouillante, pour descendre plus bas encore. Il se prit un coup de pied dans le bas du dos, et se retourna vers la fille derrière lui, qui lui murmura qu'il devrait être honoré d'être installé à côté du... une stupidité comme le prince de la médecine. Il leva les yeux au ciel et se retourna. Même une vache était plus intéressante, et il aurait pu le savoir, ils en utilisaient beaucoup pour leurs tests, leur biologie se rapprochant de l'humain. Oui, c'était un champ de vaches stupides, regardant le professeur de leurs yeux morts comme leurs cousins bovins regardaient les trains passer, et avec autant de concentration et d'air dans leurs corps gonflés par la malbouffe. Pathétiques.

Sur tes épaules, tu portes beaucoup de choses, Hisao. Sans doute, ignores-tu le poids de ces dernières. Peut-être, n'as-tu même pas conscience que tu portes autant. Tel un chêne centenaire, tu restes droit, sans plier. Mais quand arrivera le jour où tu te feras déraciner par le vent ?

[...]

Tu es parti tôt ce matin, sans te retourner. Tu t’es levé et tu as pris ton petit déjeuner seul dans la cuisine. En soi, c’est une habitude que tu as pris depuis que tu es petit, encore plus depuis que tu vis seul dans ton appartement à Nagata, mais tu ne peux t’empêcher de te dire que, d’une certaine manière, Ayana aurait dû être là pour te raconter ses rêves de la nuit dernière, qu’elle devrait aussi être présente pour te raconter sa journée lorsque tu rentres tard le soir. Tu ne peux t’empêcher de te dire que dans le penthouse familial, il y a trop de pièces, que même ton appartement est trop grand pour toi. Ta présence et celle de Maru (son chat) ne suffit pas à combler le vide que ta petite sœur a laissé en partant.

Partout où tu iras, il y aura toujours un vide.

Tu soupires.
Casque sur la tête, musique dans les oreilles, tu marches sur le chemin de l’université, perdu dans tes pensées. C’est toujours comme ça lorsque tu fais route seul. C’est pour ça que tu apprécies lorsque tu fais le trajet avec des amis. En général, vous vous rejoignez sur le chemin, mais pas cette fois-ci. Tu avais envie de prendre un peu de temps pour toi, pour tes questions sans réponses qui cavalent sans arrêt au galop dans ton esprit.

[...]

Lorsque tu arrives sur le campus, tu ranges directement ton casque alors que plusieurs étudiants viennent à ta rencontre pour te saluer.

“ Bonjour Moarai ! ”
“ Hisao !! Comment vas-tu ? ”
“ Hisao, on va à la bibliothèque ensemble après le cours ? On pourra aller au café après ! ”

Tu offres un sourire à toutes ces personnes que tu connais plus ou moins bien et tu les salues en retour.

- Bonjour ! Je vais très bien et vous ? Oh et pourquoi pas pour la bibliothèque, mais je vais rester tard donc je ne pense pas pouvoir aller prendre un café.

Alors que tu fais route avec tes amis jusqu’à la salle de classe, tu te dis que tu as de la chance d’être bien entouré. Puis vous arrivez dans votre salle de classe et tu leur dis à tout-à-l’heure. Tu vas t’installer à ta place, à côté d’un étudiant à la chevelure lavande. Par politesse, tu lui offres un sourire.

- Bonjour, je m’appelle Moarai Hisao. Je serai votre partenaire de TD pour aujourd’hui.

Même s’il ne se rappellera pas forcément de ton nom, s’il doit t'interpeller pour x ou y raison, le connaître devrait tout de même lui faciliter la tâche.

Un rapide coup d’œil aux consignes du TD te suffit pour t’arracher un petit soupir, à peine remarquable. La difficulté est au rendez-vous, mais tu arrives sans problème à déceler ce dernier et à avoir une idée du résultat final. En soi, tu ne trouves pas ce dernier très compliqué.

- Qu’en pensez-vous ? Ce n’est que mon avis, mais je dirais qu’on ne devrait pas avoir trop de difficulté à faire ce TD.

Tu entends une petite voix derrière toi, mais tu fais comme si tu ne l’avais pas entendu. Recevoir des compliments à outrance, ça te met rapidement mal à l’aise.

“ Digne du prince de la médecine ! Décidément, il est trop fort notre Hisao. ”

Benedikt retint un soupir. Visiblement, son partenaire de TD n'avait pas eu la même idée. L'indifférence aurait été presque rassurante, alors qu'il pouvait rire intérieurement des difficultés de la stupidité ambiante face à cet exercice qu'il aurait su résoudre avant ses dix ans. Le monde n'était pas meilleur pour avoir refusé la supériorité de la race aryenne. Ils avaient, à défaut d'un meilleur terme, dévolué. Il suffisait de regarder ce qu'ils pensaient être un exercice digne d'une université, quand il ne l'était même pas pour des primaires. Le temps de la vraie avancée était passée, lui semblait-il. Mais ce tonneau de vers de terre d'un intellect plus que limité semblait dominé par un d'une couleur ou d'une station supérieure. Difficile à dire.

Il tourna un regard partiellement blasé, partiellement sceptique, sur son interlocuteur. Il était objectivement, esthétiquement plaisant. Il avait peut-être même l'air gentil. Pour Benedikt, cependant, il avait l'air faux. Cependant, la plupart des humains déclenchaient cette impression dans leurs passions. Comme si, insectes qu'ils étaient, ils s'efforçaient de vivre au mieux pour compenser leurs vies si courtes, alors qu'un simple geste de la main pouvait les réduire à néant. Et que leurs efforts étaient, pour la majorité, vains et ridicules.

Il laissa passer suffisamment de temps pour qu'il commente l'exercice, et même que leur voisine de derrière s'extasie encore sur le jeune homme. L'humain idolâtrait facilement ce qu'il n'aurait jamais. Ici, la beauté, et une mesure d'intelligence. Pas foncièrement de bon sens, mais il ne pouvait pas forcément trop en demander. Il fronça le nez un instant, entortilla sa queue de cheval autour de sa main gauche, et haussa un sourcil.

"Vous pouvez m'appelez Bambi. Et c'est insultant de dire que qui que ce soit puisse avoir une quelconque difficulté avec ce torchon qui se qualifie de TD. C'est comme demander à un enfant de reconnaître des formes quand la seule proposée est le cube."

Son accent laissait peu de doutes sur son origine étrangère, bien que peu auraient reconnu la langue exacte. Il ne doutait pas que sa propre remarque ne recevrait pas le même accueil que celui de leur "prince", mais peu lui importait. Sa notion d'acceptation en classe, dans un temps fort lointain, était d'être le premier ou de recevoir des punitions physiques. C'était un autre temps. Et la faiblesse des générations actuelles lui rappelait encore une fois que le temps n'avançait pas toujours dans le bon sens.

"Allez-y, donnez le meilleur de vous-même, nous verrons bien si leur adoration est justifiée."

Probablement pas. Mais Benedikt pouvait parfois être surpris. Par des humains, rarement. Mais cela arrivait. Rarement. Très parcimonieusement. Un ver de terre qui aurait appris à voler, en quelque sorte. Presque impossible.

Peu sont les personnes qui te tournent le dos ou remettent en question tes capacités à faire quelque chose lié de près ou de loin, au domaine de la médecine. Sur le campus universitaire de Mihara, tu es connu et reconnu, mais sans doute, ne le remarques-tu pas vraiment. Tu es peut-être trop focalisé sur les autres et leur bien-être pour te voir toi, et la place que tu occupes au sein de la société. Cela ne fait pas de toi un ignorant pour autant. Tu ne portes simplement pas plus d’importance que ça à ta classe sociale, ta popularité et autres facteurs qui te rendent plus ou moins accessible.

C’est comme ça que les autres établissent leurs jugements, en se basant sur ces paramètres, Tu trouves ça dommage, que l’on s’arrête simplement sur la place que l’on occupe dans un milieu pour décider si oui ou non, on est respectable. Tu fais partie de ceux qui peuvent parler sans aucun soucis à tout le monde, sans distinction de classe. Tu ne veux pas voir les barrières imposées par la société. Tu veux être accessible, qu’on puisse venir te voir sans se poser de questions, sans se demander si oui ou non, on mérite de t’adresser la parole.

[...]

Si la jeune femme derrière toi est outrée par la remarque de Bambi, toi, tu ne réagis pas plus que ça. Le TD, à tes yeux, n'est pas spécialement très compliqué. S’il est aussi simple qu’un jeu d’enfant pour ton partenaire, alors c’est tant mieux pour lui. Sans doute, est-il on ne peut plus intelligent. Certes, tu n’adhères pas à sa remarque et ne le rejoins pas complètement dessus, mais ce n’est pas pour si peu que tu vas réagir et lui faire la morale. Après tout, ce n’est pas toi, le faiseur de vérité.

- Très bien. Faisons comme ça.

En soi, qu’il te laisse faire le TD seul, ça t’arrange plus ou moins. Tu travailles toujours mieux tout seul, puisque tu peux te concentrer uniquement sur tes faits et gestes. Pas besoin de te mettre d’accord avec ton partenaire pour passer d’une étape à une autre… C’est un vrai gain de temps.

Alors, tu commences à faire ce qui est demandé sur la feuille de consignes. Tes gestes sont clairs, nets et précis, et tu te permets même de sauter les étapes intermédiaires qui permettent juste de faciliter la tâche aux élèves. Tu travailles suffisamment pour savoir quoi faire, sans avoir besoin qu’on te tienne toujours par la main. Sans doute, fais-tu partie de ceux qui sont nés avec de l’or dans les mains.