AAAAAAAAAAHHH ! Ces lettres décrivaient à peu près ce que Cassandre ressentait à ce moment précis. Pour lui, son anxiété était évidente, mais son reflet ne laissait rien transparaître, si ce n’est des sourcils légèrement plus froncés et des mouvements plus rigides qu’à l’accoutumé. Il était chez elle, son mentor. C’était vrai, il avait essayé de se pincer ou d’ouvrir les yeux, mais il ne rêvait pas. Tout comme lui, elle était humaine et tout comme lui, elle avait fait partie de la BAV. La première fois qu’il l’avait vu, elle lui avait fait ravaler son ego. C’était une femme vive d’esprit à qui aucun détail n’échappait, c'est du moins l'idée qu'il s'en faisait. C'était son admiration pour la femme et ses conseils avisés qu’il l’avait fait tenir quand il voulait tout quitter. Il avait un profond respect pour elle et son départ l’avait attristé. S’il travaillait autant, c’était parce qu’il espérait un jour l'égaler.

Il n’était pas sans ignorer la tragédie qui s’était abattue sur cette famille et le déni dans lequel se terrait sa petite fille : Satomi Nakamura. Quoi que « déni » ne fût pas le terme exact. Pour un humain, il n’y a rien de plus naturel que de réfuter l’existence des vampires. Du peu qu’il avait entendu à son sujet, il imaginait que c’était une personne censée.

Cassandre avait été tellement touché par cette histoire et par cette grande dame, qu’il avait assuré qu’il mettrait tout en œuvre pour les protéger. Et c’était le moment. Takahiro Lekami avait mordu Satomi Nakamura. C’était déjà une faute à son devoir, il ne savait pas s’il oserait regarder sa grand-mère dans les yeux et encore moins elle. Il aurait dû savoir, il aurait dû faire attention. Non. Non, non, non, comment est-ce qu’il aurait pu se douter que cela arriverait de toutes façons ? C’était un casse-tête qu’il ne pouvait résoudre.


C’était son jour de congé, mais il avait préféré porter son costume. Peut-être qu’il se faisait trop d’idées, mais il estimait que les circonstances l’obligeaient. Elle n’habitait pas très loin, mais il avait pris la voiture et au moment de toquer à la porte, le trac le prenait tellement à la gorge qu’il avait hésité à s’enfuir. Au lieu de cela, il avait toqué, puis sonné avant de se dire qu’il avait peut-être fait un peu trop. Sa grand-mère lui avait ouvert, et là où il aurait voulu s’incliner convenablement ou trouver quelque chose d'intelligent à dire, il avait hoché la tête froidement. Il avait tout raté !! Pour compenser, après qu’elle l’ait salué et invité à rentrer, il lui avait poliment demandé comment elle se portait. Tout allait bien, tout allait trèès bien, il avait repris la situation en main.

Il se tenait droit comme un pic au milieu du salon et après diverses mondanités, sa grand-mère lui avait indiqué la chambre de sa petite-fille. Cassandre avait l’impression d’avoir de nouveau six ans, se rappelant la fois où il avait été invité à jouer chez des amis et qu’il était rentré dans la chambre d’une fille pour la première fois. Il ouvrit la porte en trombe.


Il avait oublié de toquer.


Il aurait bien voulu rétrécir, mais il fallait se rendre à l’évidence, du haut de ses deux mètres, on ne voyait que lui. D'ailleurs, entre le moment où il était rentré et où il avait posé les yeux sur Satomi, il s’était recoiffé trois fois et avait tordus ses gants dans toutes les positions possibles. De ce qu’il savait, Satomi était la fierté de la famille et à la voir, il comprenait mieux pourquoi : c’était une jeune femme très élégante. C’était la petite fille de son mentor et il n’en attendait pas moins.

Cassandre allait prendre la voix la plus courtoise possible, mais se rappela que c’était tout bonnement inutile, car il était incapable d’être autre chose que froid et taciturne :

« Bonjour, je suis Cassandre Roy, membre de la Brigade des Affaires Vampiriques. Je me suis occupé de l’interrogation du Takahiro Lekami et je viens m’entretenir avec vous aujourd’hui. » annonça-t-il gravement

La demoiselle n'avait pas franchement tort et Cassandre ne pouvait pas le nier. Il n'était pas le genre à s'émouvoir du manque de formalité. Il était, la plupart du temps (et surtout lorsqu'il était occupé à démêler le fouillis de ses propres émotions) trop occupé à réfléchir à ce qui devait être fait. Bref, elle avait beau être plus jeune que lui, elle l'avait grondé comme sa mère l'aurait fait (et Dieu sait qu'elle l'aurait fait.). Il hocha la tête d'une manière qui étant censé vouloir dire tout ce dont il venait de penser, sans être sûr que ce simple geste suffisait à retransmettre tout cela. Il l'espérait du moins. La dernière chose qu'il voulait était froissée (une seconde fois) la petite fille de Madame Nakamura. Il s'efforça de ralentir sa respiration et de desserrer l'étreinte sur ses gants. Il était là dans un but précis : voir si elle tenait le coup, répondre à ses éventuelles questions, s'assurer de son silence. Il n'avait pas pu s'empêcher de remarquer l'ouvrage qu'elle lisait. Stephen King. Bon choix. Un peu sombre mais toujours agréable. Son cœur se remplit de joie en voyant les quelques plantes qui trônaient dans son élégante chambre. Elles étaient bien entretenues. Pas trop au soleil sans trop être à l'ombre non plus. Elle respectait les fleurs. Il en aurait presque souri.

Pour une personne dont les croyances venaient d'être balayées d'un revers de la main, elle semblait on ne peut plus calme. Il fronça les sourcils en s'installant dans le fauteuil. (pour une fois, il était presque, presque, assez grand pour lui, ce qui le ravi.) Satomi Nakamura était loin d'être en sucre et il le savait, mais si sa grand-mère avait jugé la venue de Cassandre nécessaire, c'est qu'elle s'inquiétait pour elle, peut-être à raison. On ne comptait plus les jeunes influents du Japon qui s'étaient effondrés du jour au lendemain sous le coup de la pression. La tutoyer ? C'était tout bonnement hors de question. Il leva un sourcil :

"C'est très aimable de votre part, mais non merci. D'une part, car je suis presque sûr que votre grand-mère me tuerait et de l'autre, car je n'aime pas donner l'illusion d'une proximité quelconque."


Comprenez : "Je ne veux pas faire semblant d'être proche de toi, car je suis une personne sincère" Conclusion : il n'aime pas les faux-semblants et un petit ego. Il se dit que refuser la demande d'une dame était sans doute impoli, mais il n'était pas prêt à céder toutes ses valeurs pour la jeune femme. Il n'était pas censé faire comme s'ils étaient proches, il devait construire un vrai lien de confiance.

- En revanche, je vous invite à appliquer votre propre conseil et à me tutoyer.

Il n'y avait aucune animosité dans sa voix, mais il sentit bien que quelque chose clochait. Il ajouta :

- Je veux dire par-là que vous pouvez me tutoyer si vous le souhaitez.

Même habillée si peu formellement, Satomi Nakamura était dotée d'une élégance naturelle. Cassandre n'était pas psy et il se doutait bien que s'il lui demandait simplement de lui partager ses états d'âmes, il n'obtiendrait rien de concluant. Il tenta une approche :

- Je m'excuse pour l'entrée chevaleresque. Je voulais avoir votre opinion sur le sujet des vampires...Apprendre leur existence doit être un véritable bouleversement. Ai-je tort ?

Tout droit sorti d'un livre et pourtant bien réel, le monde ne semble plus être le même. Il en avait vu certains, à qui ça ne se faisait rien. Puis ils implosaient plus tard, alors la BAV revenait effacer leur mémoire. Cette option, il pouvait la proposer à mademoiselle Nakamura, mais mieux valait ne pas la brusquer et risquer et lui imposer un choix difficile d'entrée de jeu. Pour elle, cette vérité impliquait beaucoup de choses.

Certes, elle décidait pour elle. Très bien, il n'empêche qu'au moindre faux pas, Madame Nakamura lui tireraient les oreilles. Ou pire. S'il avait bien compris : s'il ne jouait pas en suivant ses règles, il était cuit. Et s'il allait à l'encontre de sa grand-mère, il était cuit aussi. Sacré caractère. Parfait. Il l'avait toisé d'un air curieux, presque amusé. Elle avait beau affirmer qu'elle avait des valeurs qui lui étaient propres, elle ressemblait beaucoup à la femme qu'il avait connu à la BAV. Il n'avait pas peur d'affronter le courroux de Satomi, aussi Cassandre ferait comme il l'entendait. Elle avait l'air contrariée. Ah non plus maintenant. Elle sourit. Malgré son visage d'ange, il comprit qu'elle était à l'affût. De quelque chose qui trahirait un quelconque manque de respect, d'une pensée qui ne lui plaisait pas. Elle était intransigeante. Mais, lui aussi.

Première fissure. Une inspiration. Un trop-plein d'émotion peut-être. Depuis le début de leur conversation, c'était la première fois qu'elle laissait transparaître son chamboulement. Il observait son visage avec obstination. Elle "croit que oui". Une réponse timide, mais néanmoins appréciée. C'est très bien, ce n'est jamais facile. Tandis qu'elle semble chercher ses mots, Cassandre a l'impression qu'elle ne le voit plus vraiment, qu'il n'est plus dans la pièce. Sa grand-mère l'avait averti : elle a un caractère bien trempé. En réalité, il était soulagé.  Elle était  coopérative. Il se demanda toutefois si la facilité avec laquelle il obtenait ses premières réponses, n'était pas l'expression d'une fragilité. Ou de la curiosité. En fait, il y avait mille et une raison et il ne pouvait pas encore définir lesquelles étaient exactes.

Cassandre ne bougeait pas d'un pouce, très statique dans son siège :
- Je suppose, qu'il n'y a pas vraiment de bonne manière d'introduire le sujet.

Les vampires, ce ne sont que des histoires. Comme le croque-mitaine ou le loup. Ça fait peur aux enfants et rire les adultes. Le décès d'une mère en revanche, c'est bien réel. Une douleur qu'il ne comprendra sans doute jamais. Elle avait les pieds bien ancrés sur terre, alors quand sa grand-mère était venue pour lui parler de ses chimères, c'était sans doute comme nier sa mort et ses sentiments avec.
- Qui croirait une chose pareille ?


Lui. Il y avait cru quand il lui avait dit. Il n'avait jamais posé de question, jamais douté plus que ça.
- Et pourtant, ils existent bel et bien et ce depuis toujours. J'en côtoie régulièrement. Certains sont des collègues, d'autres des criminels. Sachez mademoiselle que Takahiro Lekami a 75 ans.


Il articula chaque syllabe, laissant à son interlocutrice le temps de réaliser ce qui était en train de se jouer.
- Votre rencontre avec lui est la meilleure preuve que je puisse vous fournir. Vous devriez passer au centre-ville à l'occasion. Le QG de la Brigade des Affaires Vampiriques s'y trouve. Il donnera à mes mots, j'en suis sûr, une dimension plus concrète.


Avec des inspecteurs et des enquêteurs à chaque recoin, elle ne serait pas mieux protéger qu'en y pointant le bout de son nez. Bien sûr, il ne comptait aucunement la faire rentrer, seulement observer le bâtiment. Il se pencha légèrement, désormais moins crispé.
- Si vous êtes perdue, sachez que vous pouvez me poser n'importe quelle question. Aussi farfelue soit-elle. Sur le rôle de la brigade, de votre grand-mère, ce que sont les vampires, mon métier, peu importe.


Ça y est. Avant d'aller plus loin, il devait lui dire. Ce petit speech ne servait qu'à s'assurer qu'elle disposait d'un minimum d'information pour faire son choix. Si elle était destinée à tout oublier, continuer était parfaitement inutile. Coudes sur les genoux, doigts entremêlés, il poursuivit sans attendre sa réponse :
- Cependant, une autre option est possible.


Un temps.

- Exprimez en le souhait, et la Brigade se chargea de vous faire oublier votre rencontre avec Monsieur Lekami. Révélez l'existence des vampires, et ce choix ne vous reviendra plus. Votre mémoire sera effacée avec ou sans votre accord.

La demoiselle l'écoutait silencieusement. Tantôt autoritaire, touchée puis calme. En somme, elle était insaisissable. Ou elle voulait l'être. À moins que ça ne confirme simplement l'hypothèse que Cassandre avait émise. Elle était bouleversée et ne savait pas comme elle était censée réagir ou à quelles émotions elle devait s'accrocher. Absente, elle avait doucement acquiescé lorsqu'il avait proposé de lui effacer la mémoire et quand il l'avait menacé. Si cet avertissement la gênait moins que son manque de politesse, elle était peut-être plus secouée qu'elle ne l'avait laissé paraître. Elle avait joué les dures et se renfermait sur elle-même maintenant qu'ils étaient rentrés dans le vif du sujet. D'accord. Il lui avait promis. Il l'avait promis à sa grand-mère. C'était son devoir, mais bon sang, il était nul avec les sentiments. Il pouvait plus ou moins estimer la stabilité mentale de quelqu'un, faire un rapport et demander à un médecin de réaliser un examen plus complet, mais ses compétences s'arrêtaient là. Satomi était sur le fil... Et ensuite ? Il devait laisser ses paroles infuser afin qu'elle prenne sa décision en âme et conscience. Il n'y avait rien à dire... Rien à faire... Il se recoiffa nerveusement.

Du calme.

Lekami ? Oui, ça, il maîtrisait. Il pouvait en parler. Cassandre craignait que cet incident ne la pousse à voir le danger à chaque coin de rue. Pour la plupart, les vampires savaient très bien se contrôler et les servants étaient chaperonnés par leur créateur. D'ailleurs, si ce dernier avait fait son boulot, la situation actuelle n'aurait jamais eu lieu. En soit, vu son profil, Lekami n'était pas dangereux, ce n'était qu'une erreur de parcours.

- Pour l'instant, il est consigné chez lui. Il ressortira dans environ une semaine. Et si l'envie lui prenait d'aller s'attaquer à quelqu'un d'autre... - Un léger sourire naquit aux coins de ses lèvres- je veillerais tout personnellement à ce qu'il en paie le prix.

Il n'allait pas faire dans la dentelle juste parce que c'était un bon petit étudiant. Selon l'inspecteur, la paix entre humains et vampires ne tenait qu'à un fil. Un coup de crocs mal placé et c'est toute la société qui serait bouleversée. Cassandre ne faisait qu'appliquer les règles et on ne pouvait pas lui reprocher. Il nota qu'elle avait utilisé son prénom. C'était "Lekami" et non pas "le vampire" ou "lui."

- Vous craignez qu'il ne revienne vous chercher ? Ou bien, vous vous souciez pour lui ?

Vu son rôle de protecteur pour la famille Nakamura, la dernière option ne l'enchantait pas. Mais en même temps, ses propres convictions étaient là pour le rappeler à l'ordre : si tu veux un jour voir un monde où vampires et humains vivent paisiblement, il faut leur donner l'occasion de se fréquenter. Oui mais... Il souffla intérieurement, terrant ses états d'âmes au fonds de lui-même. Il n'avait pas le temps d'hésiter.

De l'arrogance ? Non, jamais. On pouvait lui reprocher beaucoup de choses : froideur, maniaquerie, rigidité... mais il ne s'estimait pas mieux que les autres. S'il l'avait dit, il le ferait. Il n'y avait pas à chercher plus loin que cela :

- Être arrogant signifierait surestimer mes capacités. C'est quelque chose que je ne fais pas. Lekami n'échappe pas aux règles, s'il recommence, il sera puni. C'est tout.

Il comprenait pourquoi cette question lui était venue, il trouvait même cela légitime. Tout comme lui, elle essayait de cerner la personne qui était en face d'elle. Tout de même, il devait admettre être satisfait de l'entendre poser des questions. Elle avait regagné un peu d'énergie.


"Il n'a pas été violent" rajoute-t-elle, eh bien oui. Heureusement. Ce n'était pas un sauvage, mais ça n'excusait rien. Malgré sa réponse, il percevait en elle l'étrange envie de défendre son agresseur. Ah, il commençait à comprendre. Elle jugeait les fautes de chacun, et selon elle, Lekami était victime d'une injustice. Cassandre fronça les sourcils. Non. Décidément, il n'était pas d'accord.

La proximité qu'elle lui imposa le mit mal à l'aise. Il se crispa, guettant ses mouvements. Il aimerait se renfoncer dans son siège, mais ça serait admettre qu'il était tendu. Sa crédibilité professionnelle (et personnelle) l'en empêchait. Son entourage... En vérité, il n'en avait pas beaucoup... Humain ou vampire. Cela faisait un moment qu'il s'était habitué à une solitude que seul son travail venait briser. Il réfléchit à une réponse et se prit de passion pour les meubles de la pièce. Il n'était pas contre l'idée d'avoir des amis, mais il faisait très bien sans. Et non, il ne prenait aucun plaisir à arrêter des criminels, des tueurs, ou des servants à qui personne n'avait donné l'occasion de faire les bons choix. Il repensa à lui. Son ami d'enfance. Il ne savait pas ce qu'il devenait. Il l'espérait plus innocent que coupable et l'idée qu'il puisse un jour l'arrêter lui serrait le cœur. Il articula sa réponse avec une mine morne :

- Je ne le prends pas mal. Votre question est légitime. Je me suis mal exprimé. Je n'arrête jamais personne par plaisir, je le fais seulement parce que c'est nécessaire. Je n'éprouve aucun ressentiment pour les vampires.


Il se racla la gorge :
- J'ai moi-même eu un proche qu'il l'était. Dites que je suis un idéaliste si ça vous chante, mais je veux construire un monde dans lequel ils n'ont pas à se cacher.

Il soutint son regard et la prévint :
- Mais nous ne devons surtout pas les sous-estimer. Ils ne sont pas plus des criminels que les hommes, mais ils sont beaucoup plus puissants. Voilà tout. Ai-je répondu à votre question ?


Comme la demoiselle venait de le dire, le plus gros problème était sans aucun doute que Lekami et Satomi auraient pu être vus. Cependant, Cassandre la soupçonnait de ne pas prendre la mesure des répercussions que cela aurait pu avoir. Certes, lui était là dans un but purement personnel. Et pour ça, il était égoïste. Mais si le monde apprenait que la fille d'une figure importante s'était faite mordre ... Disons que ce scénario suffisait à lui donner la migraine. Il n'était pourtant pas bête au point de ne pas comprendre son résonnement. Elle défendait ce en quoi elle croyait et refusait ses privilèges. Il la pensait sincère. Elle forçait le respect. Le grand brun l'écouta silencieusement. Elle lui tourna la tête et il se mit à scruter ses cheveux avec grande attention, avant de revenir vers son visage. Hm ? Ah oui, elle ne répéterait rien. Il l'a cru. Lui faire confiance ? À ses mots, son attention revint pleinement sur la conversation. Cassandre prenait sa demande très au sérieux. Très bien.

- Je vous fais confiance. Vous n'avez pas à vous excuser. Vous dîtes ce que vous pensez sans détour. C'est nettement mieux que de tourner autour du pot.

Mais.

- Mais pardonnez les miennes : que vous refusiez ou non d'être une excuse, cela n'a pas grande importance aux yeux de la BAV. Vous dîtes ne pas en être une. Soit. Mais vous ne pouvez pas nier votre statut social. Que cela vous plaise ou non, l'opinion publique accorde plus de valeur à votre vie à qu'à celle d'un autre. C'est malheureux, mais c'est ainsi. Les retombées d'un tel évènement auraient été catastrophiques.


Il prit une inspiration :

- Deuxième chose : vous vous surestimez. Vous n'êtes ni morte ni blessée, c'est vrai. C'est une question de chance. Vous n'êtes vivante que parce que Lekami a réussi à se contrôler. Un vampire plus jeune vous aurez laissé pour morte. Vous êtes plus vulnérable que vous le pensez. Évitez ce genre d'erreur de jugement.

Oh, elle n'avait pas l'air contente. Pas du tout même. Il l'avait vexé. Il s'y attendait un peu. Elle n'était pas prête à entendre la vérité ? Ça lui était bien égal. Il lui avait présenté les choses telles qu'elles étaient. Tant pis pour elle. Toutefois, sa réponse le prit de court. Il fronça les sourcils et ouvrit la bouche, mais la referma aussi tôt. Rien ne lui venait. Il se contenta de la dévisager, la mâchoire serrée.

Sa réponse l'agaçait. Au final, il ne savait plus très bien ce qu'il devait penser de cette Satomi Nakamura. Il était tiraillé entre plusieurs émotions. D'un côté, il était en colère contre la BAV. Ils avaient raté. Ils n'avaient pas bien fait leur boulot. C'était vrai. D'un autre, elle n'avait dit ça que pour le piquer. Lui clouer le bec. Ça n'avait aucun rapport avec ce dont ils étaient train de discuter. Ce n'était qu'une enfant immature. Mais au fond, il s'en voulait et la colère commençait à monter. Se dire que lui n'y était pour rien, qu'il ne faisait même pas parti de la BAV à l'époque revenait à fuir ses responsabilités. Il faisait partie d'un système. Un système qui avait échoué. Lui qui avait tout fait pour ne pas la brusquer, amener le sujet en douceur, éviter d'évoquer sa mère... Il était censé la mettre en confiance et il venait de faire l'exact contraire. Il était désolé.

Il prit une grande inspiration, penaud et terriblement silencieux. Elle était trop fière pour l'admettre ? Parfait. Elle se heurterait à la réalité et lui irait la ramasser à la petite cuillère. De toutes façons, Cassandre n'était ici que parce qu'il avait du respect pour sa grand-mère. Non, il n'avait pas d'autres questions pour elle. Elle voulait prendre congé et lui aussi. Il était excédé et ne s'en cachait pas.

- Non, je n'ai rien de plus à vous apprendre.

Il se releva et s'inclina avant d'ajouter sèchement :
- Merci d'avoir pris le temps de me recevoir et bonne continuation.

Il prit la porte sans un regard un arrière, et la culpabilité succéda pleinement à la colère. Il avait été con. Très con. Il ne comprenait même pas pourquoi sa grand-mère l'avait sollicité. L'issu de cette rencontre était prévisible. Il l'en avait averti, elle ne l'avait pas cru. Madame Nakamura s'enquit de leur rencontre alors qu'il enfilait ses gants d'un geste pressé : "Oh, parfaitement bien. Mon franc parlé lui a fait une très forte impression et j'ai bien peur que cela soit réciproque." Cassandre lus dans ses yeux qu'elle s'y attendait un peu. C'était peut-être même fait exprès. Il ne s'attarda pas trop, il ne voulait pas savoir ce qu'elle en pensait. Il marmonna qu'il fera de son mieux pour la suite et parti sans plus de formalités.