Tu es puni.
Toi, du haut de tes soixante-quinze ans d’existence, tu es puni. Interdiction de sortir de l’appartement pendant une bonne semaine. Résultat des courses, tu vas devoir louper des cours et ça ne t’enchante pas vraiment. Shiomi est une vraie plaie sur ce coup là, mais à ton plus grand regret, tu ne peux pas vraiment lui en vouloir. Tu as merdé en mordant Nakamura Satomi, c’est un fait que tu ne peux pas contester. Si tu ne veux pas te voir mettre à mort, tu vas devoir faire beaucoup plus attention à tes faits et gestes, de manière à ne pas avoir d’autres problèmes avec la BAV.

[...]

Ta sortie du jour est exceptionnelle. Elle ne t’enchante pas vraiment puisque tu te rends dans les locaux de la police, mais tu ne vas cependant pas te plaindre. Une sortie reste une sortie, tu peux en profiter pour prendre l’air et ce n’est pas de refus.

Sur le chemin, tu traînes un peu le pas, sans pour autant avancer à la vitesse d’une tortue. Tu as envie de profiter de chaque particule d’azote et d’oxygène entrant dans ton système respiratoire, car tu sais qu’une fois dans les bureaux de la BAV, tu vas oublier comment respirer proprement. Il faut dire que l’atmosphère qui y règne est tellement pesante qu’elle t’écrase la tête au point où tu ne peux plus réfléchir convenablement. Être convié par la police, tu ne veux plus jamais l’être. Avoir l’impression d’être un criminel de guerre, ça ne t’enchante que très peu, pour ne pas dire pas du tout.

[...]

Lorsque tu pousses la lourde porte du bâtiment, tu sens tout de suite la pression monter d’un cran, et c’est timidement que tu t’avances jusqu’au comptoir pour donner à la réceptionniste ton nom ainsi que ton prénom.

“ C’est monsieur Roy qui va vous recevoir, je vous laisse patienter sur l’une des chaises. ”
- Merci madame. Passez une bonne fin de journée.

C’est tout penaud que tu vas poser ton arrière train sur l’une des chaises libres de la grande salle. Tu n’oses pas sortir ton téléphone alors tu te tritures les mains pendant qu’un flot de pensées négatives t’envahit. Tu n’es pas familier avec les membres de la BAV, mis à part Haruna Takashi et ton créateur, Asano Shiomi. D’une certaine manière, ils t’effraient. Sans doute parce qu’ils représentent les lois et qu’ils ont un pouvoir sur toi que tu ne possèdes pas. Tu as beau ne pas aimer Shiomi, tu ne peux pas faire grand chose à part te plier face à lui. Il utilise constamment son pouvoir de suggestion sur toi et de toute manière, sans son aide, tu ne peux plus vivre correctement.

C’est quand tu entends ton nom que tu relèves la tête pour découvrir un homme immense à la chevelure de jais. Il est très bel homme et tu sens que ça ne va pas t’aider à boucler ton dossier. Non pas que tu vas être distrait, mais tu as encore plus de difficulté à parler face aux gens que tu trouves beaux physiquement.

Quelle plaie.

- Bonjour… C’est moi, Lekami Takahiro. Enchanté.

Bien, un problème de comportement. Cassandre n'aimait pas s'occuper de ce genre de cas. Non pas qu'il trouvait cela inutile ou rabaissant. C'était simplement une perte de temps, du gâchis. Surtout de la part d'individu comme ce Takahiro Lekami. Il avait étudié son dossier. Ce n'était pas un véritable voyou, il n'était pas turbulent et il l'estimait parfaitement apte à se contrôler. Et s'il l'avait fait, il aurait pu se concentrer des meurtriers qui n'avaient pas la capacité, ou bien pas l'envie de réprimer leurs pulsions. Le Japon avait besoin de plus d'éléments comme monsieur Lekami, des vampires pour montrer l'exemple. C'est précisément pour cette raison qu'un inspecteur devait s'entretenir avec lui.

Après tout, pour les hommes, un vampire en liberté reste un pari risqué, et cette fois, ils avaient perdu. Il avait dérapé, Cassandre devait faire état de sa psychologie, mais surtout lui ficher la frousse. Pile de dossiers à la main (dont les 35% de paperasse inutile), il longe les couloirs à vive allure. Soyons efficace surtout. Il s'arrête un instant dans l'angle de la porte et le considère. Penaud, assis sur sa chaise, comme avant un examen. Cassandre plisse les yeux, dans tous les cas, aujourd'hui, c'était un criminel et il serait traité en conséquence.

- Monsieur Lekami ?
- Bonjour… C’est moi, Lekam-

Il l'entend le saluer, mais pas la fin de sa phrase, Cassandre repart déjà en direction de son bureau sans penser un seul instant que son interlocuteur pourrait ne pas comprendre que non, il ne s'enfuyait pas - quoique quelques heures de repos ne soient pas de refus, et il devait vérifier si Gwendolyne avait été bien arrosée-, c'était une invitation à le suivre. Les formalités le mettaient un peu mal l'aise. Il n'y a rien à répondre à l'annonce d'un nom et d'un prénom. Après de grandes enjambées, avoir tourné deux fois à gauche puis trois fois à droite, il se trouve enfin devant sa porte. Naturellement, il lui ouvre et l'invite à s'asseoir avant de rejoindre son propre siège situé de l'autre côté du bureau. Ses genoux cognent contre ce dernier. Aïe. Note pour plus tard : il faudra penser à acheter une autre chaise, celle-là aussi est trop petite. Au moins, Gwendolyne, le ficus lyrata est en pleine forme, et les autres aussi. C'est sûrement de bonne augure.

Il dépose (doux euphémisme pour ne pas dire "jeter") le dossier sur la table. Ses deux longs bras accoudés au bureau et ses doigts entrelacés, il prend une grande inspiration. Voyons voir, Takahiro Lekami paraît être angoissé, le mieux serait de lui laisser quelques minutes pour souffler. Cassandre laisse donc planer un long silence, les yeux rivés sur l'étudiant, une expression insondable sur le visage.

Un...
Deux...
Trente longues secondes passent sans qu'il ne dise un mot.

Puis, il entame en douceur :

- Est-ce que vous savez pourquoi vous êtes ici ?

Commençons par ça. Naturellement, tous les deux savaient parfaitement pourquoi ils étaient ici et il ne s'agissait pas de perdre du temps en formalité. Le mot d'ordre : observation et sûrement culpabilisation et peut-être même d'autres adjectifs en tion.

Visiblement, l’inspecteur qui va t’interroger n’est pas quelqu’un qui a envie de perdre son temps avec toi, il ne t’a même pas écouté lorsque tu t’es présenté. Outre le fait que cela te mette encore plus mal que tu ne l’es déjà, tu le trouves très irrespectueux et malpoli. Sans ajouter un mot de plus, tu te lèves donc de ta chaise et tu le suis jusque dans son bureau, quelques couloirs plus loins. Sur le chemin, tu n’oses pas lever les yeux pour regarder ce qu’il y a autour de toi, ça ne t’intéresse pas. Ce que tu veux, c’est partir d’ici au plus vite. Tu espères donc que cet interrogatoire ne va pas durer trois heures et que tu vas pouvoir rapidement rentrer chez toi te terrer dans ton lit, sous tes cinq couvertures.

Lorsque tu rentres dans son bureau, la première chose que tu remarques, c’est les plantes. Il y en a plusieurs et tu n’espérais pas voir de la verdure dans une pièce pareille. Non pas que cela te perturbe réellement, mais vu le personnage qui va te flanquer une raclée verbale, tu imaginais plutôt quelque chose de très austère, un bureau simple aucunement décoré.

Tu ne fais aucune remarque lorsque tu entends l’inspecteur se cogner le genoux contre son bureau. En le suivant, tu as bien remarqué qu’il était bien plus grand que toi. Ça ne doit pas être pratique au quotidien de faire cette taille, surtout au Japon.

Tes mirettes arborant de douces nuances de bleu lorgnent sur le dossier qu’il a jeté sur son bureau. Tu retiens un soupir. Visiblement, l’homme en face de toi est un vrai malpoli qui n’a pas appris les bonnes manières. Être beau garçon n’excuse pas tout. À tes yeux, il n’a plus beaucoup de charme, chose que tu apprécies grandement étant donné que tu aurais eu du mal à répondre à ses questions si son faciès te perturbait de part ses traits bien dessinés. Maintenant, tu sens que tu vas pouvoir être plus posé, même si ta nervosité ne semble pas vouloir lâcher tes baskets une seule seconde.

Ce n’est que quand tu en as l’autorisation que tu prends place en face du bureau, toujours en triturant tes mains. Le silence que tu as tendance à apprécier est pour une fois terriblement lourd et tu peines à garder les yeux rivés en face de toi, sans pour autant oser croiser le regard de l’inspecteur qui te scrute de ses orbes obsidiens.

Les secondes s’écoulent et toujours rien. Tu sens que tu vas finir par imploser. Le tic tac régulier de l’horloge fixée au mur résonne dans ton cœur, le faisant battre plus vite que nécessaire. Si seulement tu pouvais t’en aller…

Il prend finalement la parole, chose qui te fait légèrement sursauter.

- Oui, j’ai commis une infraction. Mi-décembre 2022, j’ai mordu Nakamura Satomi, aux alentours du campus universitaire de Mihara.

Tu ne cherches pas à te justifier, à dire que cette dernière t’a bien donné l’autorisation et qu’elle consentait à se faire mordre. L’inspecteur n’en a sûrement pas grand chose à faire de ta parole. De plus, il doit déjà avoir réuni tous les éléments nécessaires pour te clouer le bec alors nul besoin d’argumenter. Et puis, c’est mal vu de répondre trop personnellement aux forces de l’ordre. Énoncer les faits est donc amplement suffisant.

Takahiro Lekami ne le savait peut-être pas, mais Cassandre avait préalablement installé en enregistreur vocal dans le tiroir de son bureau. C'était un peu malhonnête, il fallait le reconnaître, mais s'il voulait mettre le vampire à l'aise, mieux valait ne pas prendre des notes sous son nez. C'était aussi un moyen pour lui d'être plus tranquille, il savait qu'il pouvait revenir sur l'enregistrement à tout moment. Un lapsus, un ton de voix particulier... Une erreur est si vite arrivée... C'était une formalité et son interlocuteur ne s'en souciait peut-être pas. De ce qu'il venait d'entendre, il avait l'air décidé à montrer qu'il n'avait rien à cacher. Logique. Sa réponse était courte, dénuée d'émotions et il n'essayait aucunement de se justifier. S'il avait caché l'enregistreur, c'était précisément, car il voulait avoir une conversation avec lui. L'entendre gentiment répéter ce qu'on attend de lui ne l'intéressait pas. Peu importe, ce n'était que le début et il avait encore tout le temps d'en apprendre plus sur lui.

Note mentale : au vu de sa réponse, Takahiro Lekami semble ne pas vouloir s'attirer plus d'ennuis ou compliquer le processus.

Comme il l'avait si bien dit, il n'avait pas mordu n'importe qui. Il tapota du doigt sur la table. Dans ses veines coulait un véritable poison pour vampire, si la soif de Takahiro Lekami était si insatiable, il entendait bien lui faire passer l'envie de mordre n'importe qui. L'inspecteur était respectueux des lois et des protocoles, mais il pourrait bien faire une exception si la situation l'exigeait.

Il s’adossa à sa chaise le considérant avec attention. Pour quelqu'un de soixante-dix ans passés, en plus d'être nerveux, il était très candide. C'était anormal. Même après ce qu'il avait fait, il semblait plus humain que vampire. Pour lui, une autre contradiction se superposait à celle-ci. Si un simple entretien de police avec un humain suffit à vous rendre nerveux, on n'a pas idée d'aller croquer la fille du PDG d'un grand groupe automobile. Sauf avec l'assurance de s'en sortir sans faire de vague. Devinez quoi ? Cette assurance, il ne l'avait pas. L'idée qu'il puisse réellement croire qu'une invitation à mordre un humain était une excuse suffisante pour se jeter sur la première venue sans en subir les conséquences le fit doucement rire. Il ne le pensait pas méchant, mais d'une incroyable naïveté. Le mythe du vieux sage s'effondrait, il avait connu des enfants avec plus de bon sens. Il était peut-être dur, mais si l'évidence ne l'avait pas encore frappé, il se chargerait de le faire.

D'un ton parfaitement désintéressé, il continua son interrogation :
- Pourquoi ce geste ? Et qu'est-ce que tout cela vous évoque ? Cette morsure... que ressentiez-vous avant ? Après ? Et maintenant ?

Il espérait mieux comprendre l'individu assis en face de lui. En réalité, il ne pouvait pas le nier. À titre personnel, elle lui laissait un goût amer en bouche, mais par rapport à ce qui se voyait à la BAV, l'infraction était mineure. En revanche, comprendre ses motivations et états d'âmes était indispensable. Par exemple, si Monsieur Lekami était en réalité un fin menteur qui projetait d'attaquer toutes les figures importantes du pays, un servant sous le joug de son créateur, ou une personne instable, alors il pourrait suggérer une sanction plus lourde.

Il vient à peine de commencer et pourtant, tu en as déjà marre, de cet entretien. Tu n’as qu’une envie; retourner t’emmitoufler dans tes nombreuses couvertures pour être loin de tous ces problèmes et de cet inspecteur qui te fout les chocottes. Tu sais que tu as fait une erreur, que tu n’aurais pas dû mordre Nakamura Satomi, et ce même si la faim te tiraillait les entrailles au point où tu avais envie de te les arracher de ton abdomen. Et pourtant...Et pourtant…Non. Tu es simplement faible, Takahiro. Tu  as beau être beaucoup plus Humain que la plupart des vampires, ça ne te sauvera pas. Pas cette fois-ci.

Tu sais qu’il est en train de faire plein d’assumptions dans sa tête, qu’il te prend sans doute pour l’un des pires idiots de cette planète. À vrai dire, mis à part son regard un peu trop appuyé sur toi qui semble presque vouloir scruter ton âme, tu n’es pas plus touché que ça. Qu’il pense ce qui lui chante, tu n’en a rien à faire de son avis. Tout ce qui t’importe, c’est de connaître l’issue de votre entretien. Tu veux savoir si tu vas recevoir une lourde sanction ou si tu t’en sortiras avec un simple avertissement.

Tes yeux sont fixés sur tes mains que tu tritures depuis tout à l’heure.

- La faim me tiraillait l’estomac au point où je n’ai pas su me contenir une minute de plus. Le fait que je sois en présence d’une humaine n’a pas non plus aidé, je suppose…

Tu te contentes de rester droit sur ta chaise, sans rien dire qui pourrait te mettre dans une situation délicate. Tu ne voudrais pas avoir plus de problèmes que nécessaire alors tu te contentes de faire le minimum. Certes, ça ne doit pas plaire à l’inspecteur, mais tu n’as pas forcément le choix. Si tu veux t’en sortir sans trop d’accroc, tu dois faire profil bas et ne pas trop t’étaler sur les détails.

- Avant, je ne ressentais que le besoin de me nourrir. Puis, il y a eu un soulagement lorsque je l’ai mordue et la faim s’est finalement apaisée.

Tu marques une pause.

- Aujourd’hui, je le regrette.

C’est tout ce que tu diras à Roy concernant la morsure. Tu n’as aucune intention de t’étaler sur cette dernière au vu des mauvais souvenirs qui y sont liés. Si tu pouvais remonter le temps, tu le ferais sans une once d’hésitation. Tu fuirais Satomi pour ne pas la mordre et au diable le fait qu’elle te prenne pour un fou. Malheureusement, voyager dans l’espace temps, ce n’est pas une des capacités des vampires.

Monsieur Lekami n'était pas très loquace, en même temps, Cassandre ne pouvait pas dire qu'il était surpris. Il ne s'attendait pas à une effusion de sentiments, mais il aurait aimé mieux comprendre l'état psychologique de son interlocuteur. Il avait peur, il était ennuyé, agacé, désabusé. Le servant en face de lui n'était pas fier, manquait clairement d'assurance, il était frêle. Il soupira intérieurement, il allait falloir lui mettre du plomb dans la tête. Il ne se risquerait pas à trop le sous-estimer, mais tout portait à croire que, en dépit de ses manières farouches, il ne serait pas difficile d'obtenir ce qu'il souhaitait. S'il y avait pensé, et s'il en avait vu l'utilité, Cassandre aurait hoché la tête d'un air compréhensif. Au lieu de cela, il observait ses mains, ses gestes nerveux, sa crispation. Ce qu'il aurait aimé savoir, c'est s'il ressentait réellement de la culpabilité, ou s'il était juste désolé d'avoir été attrapé :

- Fort heureusement monsieur Lekami. À moins que vous ne soyez simplement navré que l'on vous a attrapé. Ce serait facile de le penser vu la performance que vous venez de m'offrir.


Cassandre ouvrit le dossier, complètement désintéressé par l'expression qu'aurait pu afficher son coupable. Il prit un des premiers documents et le lut avec attention. Évidement, il connaissait le dossier par cœur, mais c'était toujours bon de se rappeler que ce n'était pas une mauvaise blague : un membre de la BAV était censé gérer ce gosse. Il ne fallait tout de même pas être de mauvaise foi. Que Lekami n'ait pas réussi à se contenir, c'était une certitude. Cassandre ne pouvait tout bonnement pas lui dire de "faire plus attention" ou l'endormir à coup de "Quand on veut on peut !". Premièrement, ce n'était pas vrai. Deuxièmement : il avait autre chose à faire. Il décida néanmoins de reconnaître cette vérité.

- "Je n'ai pas su me contenir". Répéta-t-il nonchalamment, son document toujours du bout des doigts. Vous n'auriez même pas dû à avoir vous contenir. Vous en êtes incapable. Je ne crois pas en vos regrets.

Il réfléchit un instant et se reprit :
- En faits, sincères ou non, ça m'est franchement égal, pour la simple et bonne raison que Monsieur Asano aurait dû vous retenir en n'en a pas été capable.

Il pensait chaque mot qu'il avait prononcé, c'était indéniable. Il devait cependant confesser que c'était là une façon de délier la langue du vampire. Il ne savait rien de la relation qu'ils entretenaient, il était même possible qu'ils se détestent. Si c'était le cas, Lekami le jetterait sous le train, et Cassandre pourrait en conclure qu'il n'avait aucun honneur et qu'il était lâche. Même une fois affranchi de son créateur, il pourrait toujours crier que ce n'était qu'une erreur, que sa faim avait parlé, en somme que ce n'était pas tant de sa faute que cela. S'il tenait à Shiomi, alors cela susciterait une réaction. À vrai dire, il valait mieux que ce soit le cas, il se montrerait alors plus compréhensif.

Il releva la tête, un regard aiguisé à l'intention du petit servant :
- Vous ne saviez pas ce que vous faisiez, vous l'avez dit vous-même. De fait, vous reconnaissez la culpabilité de Monsieur Asano. Je suppose donc qu'il profiterait bien d'une petite mise à pied.

Il ajouta enfin :
- Ne me faites pas perdre mon temps. Si vous n'avez rien de mieux à me dire que des banalités, je pense que cet entretien se conclura sur une note qui ne vous plaira pas.

Certes, il avait lui-même demandé à Monsieur Lekami de lui confier ses sentiments. Sauf qu'il ne jouait pas le jeu, il ne faisait aucun effort. Un autre inspecteur aurait bouclé cette affaire en vitesse, mais certainement pas lui. S'ils devaient rester trois heures (et il ne le souhaitait pas.), alors trois heures, ils resteraient.

Il ne te croit pas. Quel chieur.
Tu pousses un léger soupir parce que tu ne peux pas faire grand chose de plus, mis à part faire un scandale dans le bureau de l’inspecteur, chose qui n’est clairement pas envisageable au vu de la position dans laquelle tu te trouves. Il pense que tu es juste triste de t’être fait chopper, alors que la véritable raison pour laquelle tu éprouves des regrets, c’est celle d’avoir fait du mal à quelqu’un d’innocent. Tu as envie de te terrer dans un trou de souris et de disparaître, mais encore une fois, ce n’est pas possible.

Pitié, que cet entretien se termine rapidement. Tu n’en peux déjà plus.

[...]

Lorsqu’il mentionne Shiomi et son incompétence à te garder sous contrôle, ton sang ne fait qu’un tour et tu ne peux t’empêcher de serrer les poings.

- Merci de ne pas inclure Asano Shiomi dans cette affaire, il n’est en aucun cas responsable de mes actes.

Le ton de ta voix et d’une froideur sans nom, tu n’as aucune envie qu’on te fasse répéter ce que tu viens de dire. L’inspecteur possède des pouvoirs, certes, mais tu feras bien attention à ce qu’il n’en abuse pas pour punir Shiomi alors que tu es l’unique responsable dans cette affaire. Il n’est en aucun cas dans l’obligation de payer à ta place, bien que tu sois son servant, et lui ton créateur. Ce lien qui vous uni ne vous lie pas pour autant dans tout et n’importe quoi.

- Je suis prêt à assumer les conséquences de mes erreurs, mais je ne vois pas pourquoi quelqu’un d’innocent paierait pour mes fautes.

Roy a éveillé en toi quelque chose de mauvais, quelque chose que tu gardes caché bien au fond de ton cœur. Tu n’aimes pas lorsque les autres découvrent cette partie de toi, mais là, on ne te laisse pas vraiment le choix. Tu as beau être le fautif, rien ne t’empêche de défendre ceux qui n’ont rien à se reprocher. Sans doute, aggraves-tu ton cas, mais tu es prêt à le faire si ça peut permettre à la Justice d’être bien faite.

- Asano n’était pas présent au moment des faits. Il travaillait. De plus, il n’a pas l’obligation d’être toujours avec moi ou de payer pour moi.

Tu détestes ça, faire face à l’injustice de cette manière. Cassandre Roy abuse du pouvoir qu’il détient et ça ne te plaît pas. Si au début, tu pensais qu’il était simplement un inspecteur nonchalant et qu’il n’avait rien de particulier, ton avis sur lui commence petit à petit à changer. Tu te dis qu’il est peut-être corrompu, au vu des conneries qu’il arrive à te sortir.

En tous cas, tu ne le laisseras pas passer concernant Shiomi.

Un soupir. Cassandre avait réussi à obtenir de lui plus qu'un regard désolé. Cet entretien le fatiguait, il était agacé par l'inspecteur et lui signifiait clairement son mécontentement. Ce simple geste aurait suffi pour qu'il décide de le retenir plus longtemps, mais il n'en tint pas rigueur. Ils étaient là pour aller droit au but. C'était bon de constater qu'il était autre qu'un adolescent mou, c'était un vampire, prêt à défendre son servant bête et ongle. Pas un lâche donc. Il avait évité le pire. Sa candeur avait laissé place à un ton glacial. Lekami n'avait pas l'air d'être du genre à se rebeller. Visiblement, il avait touché un point sensible. À moins qu'il eût enfin laissé tomber le masque pour lui révéler son vrai visage ? Peu importe la réponse, il n'avait pas fallu grand-chose.

Tout portait à croire que l'étudiant ne souhaitait pas que son maître ait à éprouver la moindre culpabilité. Il n'y était apparemment pour rien, il n'aurait rien pu faire (etc...) Il était prêt à lui fournir toutes les excuses possibles. Cassandre en conclut qu'il n'avait finalement pas feint ses excuses. C'était déjà ça d'écarté. Il ne voyait cependant pas bien l'intérêt de préciser que Shiomi Asano travaillait, il n'était pas idiot. Lui aussi travaillait à la BAV, et pour les avoir étudiées, ils connaissaient très bien les allées et venues de son créateur.

- Il n'a peut-être pas l'obligation d'être toujours avec vous, mais il a celle de veiller sur vous. Chose qu'il n'a pas faite ce soir-là. Il reviendra à moi de décider si une sanction doit être appliquée.

Il avait répondu du tac au tac. Ce détail avait-il été omis involontairement ? Ou est-ce qu'il était de mauvaise foi ? L'inspecteur penchait pour un subtil mélange des deux. Défendre quelqu'un ne dispensait tout de même pas de se montrer objectif, mais peu importe. En réalité, il ne le piquait que pour s'assurer qu'il ne redeviendrait pas mollasson. Ces paroles héroïques ne suffiraient pas à l'amadouer. Surtout, Cassandre n'oubliait pas son devoir. Il ne lui dirait pas franchement, mais il devait absolument l'empêcher de retoucher à la fille des Nakamura. Que Lekami fasse le lien entre lui et cette famille serait un problème. Il n'était pas censé faire de préférences et il avait plutôt intérêt à ne pas attirer l'attention sur eux s'il vous les protéger convenablement. Il n'oubliait non plus pas l'enregistreur placé dans son tiroir :

- Vous semblez décidé à prendre vos responsabilités et être le seul coupable, alors laissez moi vous avertir en conséquence : touchez  ne serait-ce qu'un seul cheveux d'un être humain sans son accord et c'est mon sang qui coulera dans vos veines.

En d'autres mots, il lui ferait passer l'envie de s'attaquer de nouvelles à elle. Son regard était dur. Une transfusion de Blood O le laisserait affaibli et serait peut-être plus efficace que d'être confiné chez soi. Surtout, l'inspecteur n'avait pas le droit de s'en prendre directement à lui, utiliser la BAV pour protéger les Nakamura était sa meilleure chance.

- Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?

Si le ton du petit Takahiro était froid, celui de Cassandre était tout autant cassant. Il devait comprendre qu'il n'était nullement intimidé par les colères d'un servant à peine sorti du nid.

Il se détendit. Il l'agacerait encore un peu, la deuxième était de le faire se sentir coupable. Au vu de ses dernières paroles, il l'était...peut-être. Mais cette fois, il enfoncerait un peu plus le clou. Il reprit d'un ton plus doux... ou du moins d'un ton moins agacé :

- Si vous aviez été quelqu'un d'autre, je n'aurais pas hésité à recommander cette sanction dès le départ. Vous êtes un étudiant sans histoire Monsieur Lekami, vous valez mieux que ça.

[TW : Un peu de gore dans cette rep]

Les Humains… Les Humains, tu les envies plus que tu ne les aimes. Ils vivent dans un monde que tu ne peux qu’observer de loin, un monde où tout semble aujourd’hui t’échapper. Derrière le miroir, tu les regardes, tu les étudies méticuleusement et, terriblement, tu les jalouses. Une jalousie maladive qui te ronge jusqu’à la mœlle, au point de te faire penser que la haine est plus puissante que tout le reste.

Cet humain, qui se tient droit devant toi et qui te toise comme s’il t’était supérieur, à tes yeux, il est déjà mort quinze fois. Tu vois ses tripes étalées sur le sol, ses yeux pendre en dehors de leurs orbites, ses membres éparpillés dans la pièce dont les murs sont recouverts de son sang.

Il ne peut plus t’atteindre.
Sa voix est étouffée par tes pensées qui bourdonnent tel un essaim d’abeilles dans tes oreilles, au point où tu en es rendu à faire semblant d’écouter les âneries qu’il dégueule à la pelle.

Un règlement de compte, voilà où vous en êtes. Il te menace, mais ces dires ne sont que purement personnelles, et n’ont rien à voir avec le simple interrogatoire qui était prévu à la base. Nakamura Satomi… Nakamura Satomi.. Elle aussi, à tes yeux, elle est morte. Que Cassandre Roy, le héros sans cape, intervienne et fasse justice. Qu’il finisse rongé par le poids de la culpabilité de ne pas pouvoir la protéger comme il le voudrait. Qu’elle décède dans ses bras, et qu’il la regarde crever, impuissant.

[...]

Les Humains te dégoûtent. Leur vie ne vaut pas grand-chose, si ce n’est que celle de te servir de garde-manger. Leur existence ne tient qu’à un fil, et ce dernier peut si aisément être coupé.

La vie Humaine…

Elle est précieuse.
Il n’y a rien de plus beau qu’une chose aussi éphémère que celle de l’être humain. Tu te dois de la protéger, de la chérir jusqu’à la fin des temps, comme tu l’as toujours fait.

- Oui. J’ai bien compris.

Tu n’ajoutes rien de plus.
Ton regard s’est posé sur tes mains que tu tritures nerveusement.

On dirait que tu as honte, que tu t’en veux terriblement pour ce que tu as fait. Et pourtant… La raison pour laquelle tu es dans cet état est bien loin de ce que tu renvoies. Tu as laissé une partie de toi-même s’exprimer, et tu aurais préféré que cela n’arrive jamais.

Désormais, tu n’attends plus qu’une chose; qu’il t’indique de disposer.

Cassandre soupira. Cet entretien touchait à sa fin, il était temps de conclure. Il devait avoir compris la leçon et c'était l'essentiel. Maintenant, c'était la partie la plus compliquée. Faire preuve de bons sentiments pour s'assurer qu'il se sente coupable. Il devait reconnaître qu'il n'était pas le plus doué pour les élans d'émotions, les compliments ou ce genre de choses. Et après ce petit interrogatoire, Monsieur Lekami ne devait pas être dans de très bonnes dispositions. Enfin, il paraissait pensif, son dernier compliment n'était peut-être pas tombé dans les oreilles d'un sourd. Il le détailla avec attention, laissant de longues secondes s'écouler sans rien dire. Le complimenter pour qu'il se sente coupable, ce n'était pas nécessaire après tout. Il réorganisa machinalement les papiers sur sa table et replaça correctement ses stylos.

- C'est tout pour aujourd'hui. Vous pouvez partir et j'espère ne plus jamais vous revoir.

Voilà, il l'avait encouragé une seconde fois, à ne plus croiser le chemin de la BAV. Donc, il lui avait souhaité un avenir rempli de félicités. Il y penserait à deux fois avant de mordre quelqu’un et il se remémorerait possible ce petit passage dans leurs QG. Par la même occasion, il avait écarté un danger potentiel de la famille Nakamura. En somme, il avait accompli sa mission, du moins, une partie. Il pouvait se concentrer sur autre chose, toutes ces histoires d’attaques, de meurtre… Il ouvrit son tiroir en sortit l’enregistreur :

- Avant que nous ne nous en allions, je dois vous informer que notre échange a été intégralement enregistré. Si vous y voyez un inconvénient, manifestez-vous maintenant, ou je partirais du principe que vous avez donné votre consentement.

Il n’aimait pas les cachotteries et il était légalement tenu de le prévenir. Vampire ou non il était soumis aux mêmes devoirs, mais aussi aux mêmes droits. Chose que beaucoup semblaient oublier. Il attrapa le dossier et se dirigea vers la porte, invitant Takahiro Lekami à s’en aller.

- Vous connaissez le chemin.

Il claqua la porte de son bureau et le ferma à clef. Cassandre tourna les talons sans demander son reste.